Cannes 2025. En guise de bilan tout à fait subjectif: Des moignons et des ruines.

 

L’année passée, je m’étais livrée à ce petit exercice de bilan du festival, tentant d’y déceler quelques lignes saillantes. Deux éléments récurrents s’étaient imposés à moi : la musique et l’aspect référentiel de nombreux films. Comme si, pour échapper à un réel en décomposition, l’art constituait le seul refuge viable. C’était encore un acte de foi. L’édition 2025 semble plus sombre, donnant à voir des êtres et un monde mutilés.

On ne compte pas en effet le nombre d’estropiés dans les films présentés cette année. Ils exhibent une humanité diminuée confrontée à l’effondrement d’un monde. 

Les protagonistes de Sirat (Oliver Laxe) forment une bande d’éclopés que le récit va s’ingénier à toujours mutiler davantage. Dans Amrun, opus très oubliable de Fatih Atkin, un moment comique d’un goût un peu douteux et d’un symbolisme bien appuyé montre un homme faire le salut nazi avec son moignon. Dossier 137 (Dominik Moll) raconte l’histoire d’une enquête de l’IGPN suite à une bavure policière qui a laissé un jeune homme défiguré et handicapé à vie. Dans L’Agent secret (Kleber Mendonça Filho), une jambe extraite des entrailles d’un requin prend vie pour terroriser les habitants de Recife. Le bourreau d’Un simple accident (Jafar Panahi) est reconnu par ses anciennes victimes grâce au bruit de sa prothèse de jambe sur le sol. La Disparition de Josef Mengele (Kirill Serebrennikov) montre les images insoutenables des expériences du fameux médecin (ouverture des corps, prélèvement des organes, etc.) dans les camps de concentration. Die, my Love (Lynn Ramsay) fait d’un amoureux fougueux un mari impuissant suite à la naissance d’un enfant. Sa femme, victime d’une dépression postpartum XXL, ne cesse de s’infliger des blessures. Ramsay se livre à un travail de destruction des idoles en faisant endosser ces rôles à Jennifer Lawrence et Robert Pattinson, dont le récit s’acharne à abîmer la beauté. Une épidémie transforme les hommes en gisants, magnifiques statues qui ne cessent de s’effriter, dans Alpha (Julia Ducourneau).

Cette humanité amputée est aussi celle des êtres confrontés au deuil: fille ou frère disparus (Sirat, Alpha), mort du fils (Mère et enfant, Saeed Roustaee), maternité empêchée (Love me tender, Anna Cazenave Cambet), disparition du père (Renoir, Chie Hayakawa), enquête sur des ascendants dont le souvenir a été oblitéré par le pouvoir politique ou familial (L’agent secret; Romeria, Carla Simón). 

À ces blessures humaines et mémorielles répond dénuement ou la dévastation  des paysages. Ruines ukrainiennes ou pompéiennes dans Enzo (Laurent Cantet/ Robin Campillo); déserts chilien (Le Mystérieux regard du Flamant Rose, Diego Céspedes), marocain (Sirat), iranien (Panahi).

Comme dans un contrepoint cruel, La Disparition de Josef Mengele présente un personnage intact d’un bout à l’autre. La puissance du film est de le montrer inchangé, de nous confronter, dans un tête-à-tête étouffant, à l’immarcescibilité du monstre… jusque dans la mort, puisque son squelette parfaitement conservé sert d’objet d’étude aux étudiants en médecine brésiliens.

Deux films lumineux font toutefois le choix de louer les bâtisseurs. L’Inconnu de la Grande Arche (Stéphane Demoustier) rend hommage aux grands architectes -Von Spreckelsen, Andreu, Pei- et à leurs oeuvres. Avec Nouvelle Vague, Richard Linklater parvient à transmettre, dans une épopée pleine de grâce, dénuée de la déférence au maître Godard que l’on aurait pu craindre d’y trouver, l’enthousiasme d’une jeune génération de cinéastes qui bouleversa les fondations de l’art cinématographique. 

 

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