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Les éditions Capricci proposent, avec la collection Actualité critique, de courts ouvrages relevant moins de la biographie classique que de petits essais autour de cinéastes (Fincher, Eastwood, Schroeter…) mais pas seulement : des réflexions sur Hadopi, le cinéma d’animation, les séries, les acteurs, Bob Dylan (par Skorecki) ou encore les tueurs en série au cinéma.

Wes Craven, quelle horreur? ne déroge pas à la règle et ceux qui s’attendaient à une étude circonstanciée de l’œuvre de l’auteur des Griffes de la nuit risquent d’être un peu déçus. En effet, Emmanuel Levaufre, critique pour feue La Lettre du cinéma et Trafic et auteur de bonnes notules dans le Dictionnaire des films français pornographiques & érotiques de Christophe Bier, se concentre essentiellement sur deux films (Scream et La Dernière maison sur la gauche) pour tenter d’analyser l’évolution du genre horrifique et la manière dont Craven a participé à ces mutations.

Pour l’auteur, le cinéma d’horreur américain est marqué, à la fin des années 60, par la naissance d’une horreur réaliste prolongeant l’inscription « documentaire » d’un certain cinéma d’exploitation. Et, au même titre que La Nuit des morts-vivants ou, un peu plus tard, Massacre à la tronçonneuse, La Dernière maison sur la gauche reste l’un des fleurons de cette tendance « naturaliste ». Les pages où Levaufre analyse en détail ce film sont magistrales et passionnantes. Outre une partie « historique » sur la genèse de l’œuvre et la manière dont le projet a évolué (au départ, il devait s’agir d’un film pornographique) pour devenir l’un des films d’horreur les plus frappants de l’histoire du cinéma ; l’auteur décortique avec beaucoup d’acuité les rouages et enjeux du récit. Si le film a tant marqué (au point que Stephen King le déteste), c’est qu’il abandonne tout le symbolisme lié au cinéma d’horreur pour proposer une version brutale et littérale de ce qui pourrait n’être qu’un fait divers.

Mais pour pouvoir subsister au cœur de l’industrie hollywoodienne, Craven qui – selon Levaufre- n’était pas un fan de film d’horreur va devoir s’adapter à l’apparition de ce que l’essayiste appelle « l’horreur ludique » et réaliser des œuvres à la fois ironiques et personnelles comme Les Griffes de la nuit et Scream. Aussi intéressant soit-il, l’essai est plus curieux dans la mesure où Levaufre débute sa réflexion par une sorte de constat d’échec : en réalisant Scream (que l’auteur ne porte pas tellement dans son cœur, à tort à mon avis même si ce n’est pas le meilleur Craven), le cinéaste aurait perdu sa singularité et son efficacité horrifique.

Il se livre alors à un petit jeu de comparaisons fructueux entre Craven et Carpenter « l’esthète » pour montrer ce qui les distingue, notamment cet ancrage « réaliste » des films de l’auteur de La Colline a des yeux. La réflexion sur les divergences (esthétiques, narratives) entre Halloween et Les Griffes de la nuit est particulièrement judicieuse et témoigne à quel point, même dans le cadre d’un slasher, Craven a eu besoin d’un rapport fort au réel.

En revenant aux origines du cinéma d’exploitation et des premiers feux de « l’horreur réaliste », prolongement du roughie, ces drames frustes à forte connotation sexuelle ; Levaufre inscrit la carrière du cinéaste dans une tradition mêlant à la fois l’exploitation roublarde et la « contre-culture ». Malheureusement, le format de l’essai –trop court- limite parfois la portée de ses affirmations. Lorsqu’il veut distinguer Hollywood du cinéma d’exploitation et qu’il écrit : « On ne retrouve pas ce rapport au réel dans les films hollywoodiens. », on est en droit de trouver cela un peu lapidaire et schématique (quid, sinon, de toute la tradition du film noir hollywoodien et son ancrage dans une certaine réalité sociale voire documentaire comme La Cité sans voiles de Dassin ?). De la même manière, il réduit un peu trop –à mon avis- le cinéma « d’exploitation » a sa dimension « choc » et documentaire. Ce qui est vrai pour le mondo movie (documentaire sensationnaliste et racoleur) ou le hygiene picture (les pseudos-documentaires prophylactiques) ne l’est pas forcément pour le nudie (par exemple, les films très fantaisistes de Russ Meyer) ou d’autres catégories du cinéma d’exploitation.

Même si certaines intuitions sont très séduisantes et justes, la limite de l’essai tient sans doute là : une volonté d’étayer une démonstration en élidant ce qui pourrait la remettre en cause. Pour l’œuvre de Craven, c’est un peu la même chose puisque l’auteur oublie une grande part de sa filmographie, notamment certaines œuvres qui pourraient contredire ses propos. Ainsi, si Levaufre a raison de souligner un certain puritanisme chez Craven qui s’exprime assez bien à la fin de Scream, on peut quand même lui reprocher de ne pas évoquer Scream 2 où le cinéaste, au contraire, se moque des discours formatés sur un cinéma d’horreur supposé encourager les vocations de psychopathes.

Pour d’autres raisons, on peut s’étonner qu’une œuvre aussi majeure que L’Emprise des ténèbres soit à peine citée dans un ouvrage consacré au cinéaste (idem pour Le Sous-sol de la peur ou Shocker).

Mais encore une fois, ces défauts me semblent davantage relever des contraintes de la collection que de l’auteur lui-même dont on ne niera pas la pertinence de certains propos. Du coup, si le résultat reste intéressant et recommandable, on se dit que le livre définitif sur Wes Craven reste quand même à écrire…

Wes Craven, quelle horreur ? d’Emmanuel Levaufre

Éditions Capricci

96 page – 8.95 €

Sortie le 17 novembre 2016

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A propos de Vincent ROUSSEL

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