Une nouvelle rubrique sur Culturopoing, une nouvelle section entière pour parler d’une forme de création sur laquelle le site, du haut de ses multiples années d’activités, ne s’était pas encore penché. Mais de quoi ce Playtime est-il le nom ?
Playtime. Le temps de jouer, le temps de jeu, le temps du jeu. Nous allons donc parler de jeux, de jeux vidéos, pour être plus précis. Depuis les glorieuses années 70, depuis les illustres Pong et Space Invaders, l’industrie du jeu vidéo aura opéré des bonds technologiques de géant. Bonds qui auront permis une complexification des mécaniques de jeux, ainsi qu’une recréation de plus en plus riche d’univers virtuels toujours plus sophistiqués. Il faut avoir arpenter, à cheval pour un Red Dead Redemption 2 ou à pieds pour un Death Stranding, ces univers où chaque élément proposé – une colline, un arbre la surmontant, le chemin qui y mène, la lumière qui éclaire la scène, le souffle du vent qui nous pousse ou nous freine – s’interconnecte et interagit avec quelque chose de complètement immatériel, incontrôlable et indéfinissable : l’imaginaire-même de celui qui s’y projette. Là où la poésie use de mots; la peinture, de coups de pinceaux; le cinéma, d’effets plus ou moins spéciaux, le jeu vidéo possède une qualité inégalable : l’immersion immédiate.
Mais l’immersion ne serait rien si le jeu vidéo n’avait rien à dire, rien à raconter, rien à interroger. Si le jeu vidéo nous touche tellement (rappel important glissé ici : le jeu vidéo est, en 2020, la première industrie de divertissement), c’est bien qu’il est plus qu’un simple outil de distraction massive. Il parle constamment de notre rapport au réel, de notre rapport à nos histoires personnelles, à notre Histoire. Reprenons le cas de Red Dead Redemption 2. L’histoire que le jeu raconte, l’univers qu’il dépeint, en dit long sur le roman national que continuent d’écrire les Etats-Unis, son auto-mythifaction, sa grande mystification. Parfois, même, le jeu vidéo anticipe, prophétise. Comment ne pas penser, dans cette période trouble de l’histoire mondiale qu’est la pandémie du covid-19 et le cloisonnement extrême de nos vies qui en découle, comment ne pas penser, donc, au monde décrit par Hideo Kojima et son équipe dans Death Stranding ?
Plus humblement, loin des grands moyens déployés par de tels jeux et, plus globalement, ce que l’on nomme les triple A (ces grosses productions explosant souvent les budgets déjà pharaoniques d’Hollywood), les avancées technologiques auront permis, grâce à une accessibilité toujours plus poussée – comme éprouvée en musique et en cinéma – à des petits artisans de proposer des expériences imaginaires délurées, débarrassées de considérations économiques pesantes, libertaires. Ici, des “walking simulators” tels que ceux proposés par un studio comme Chinese Room, au gameplay réduit à peau de chagrin et où le jeu se recentre sur une aventure narrative aux liens effilochés qu’il convient au joueur de comprendre. Là, des expérimentations ramassées tels qu’un SUPERHOT où la physique-même du jeu est sa seule mécanique et sa grande aventure esthétique.
Bref, le domaine vidéoludique est globalement une véritable Tour de Babel convoquant toutes les cultures et toutes les pratiques artistiques développés par l’homme depuis la nuit des temps, profitant de l’hyper-connectivité de notre monde globalisé pour inviter chacun à un festin sans limite, riche de milles et une voix pressés d’occuper nos mille et une nuits. Et Playtime se donne la charge de vous raconter quelques unes de ces histoires, prises plus ou moins au hasard.
Mais Playtime ne s’appelle pas Playtime pour rien. Les esthètes auront reconnus forcément le clin d’oeil déférentiel au film de Jacques Tati sorti en 1967. Un film où les mécaniques de notre modernité sont passés au scanner de l’oeil tendre et lunaire de ce bon Monsieur Hulot. Alors voilà ce que nous voulons être, ici, à Playtime : des Messieurs Hulots du domaine vidéoludique. Des non-spécialistes amenant un regard décentré sur la discipline, de simples amateurs venus pour gratter un coin de la toile parce qu’un détail dans celle-ci nous aura taper dans l’œil. Parfois, par là-même, nous ferons s’effondrer des édifices; d’autres fois, c’est un fil tiré qui en amènera d’autres, et puis d’autres encore, et puis d’autres… Nous collerons occasionnellement à l’actualité (difficile, par exemple, de passer sous silence la sortie d’un Cyberpunk 2077), mais jamais nous ne répondrons à l’injonction du temps présent. Parce que le temps de jouer, le temps de jeu, le temps du jeu, n’a qu’une seule horloge interne : celle de celui qui s’y plonge.
Bon jeu. Et à tout de suite.
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