Jinjer et Ignea, les nouvelles divas du metal

Pour être tout à fait honnête, le Metal était surtout à ses origines une affaire de bonhommes, tout comme le rock d’ailleurs. Il faudra attendre les années 80 pour pouvoir compter les groupes « à chanteuses », sinon exclusivement féminin, sur les doigts d’une main : Girlschool, Vixen, Warlock, Lita Ford, Poison, Cinderella… (attention aux pièges). Le vent du changement pour les dames viendra des années 90 par le biais, d’une part, du Gothic Metal mais aussi et surtout à travers l’essor du Metal dit Symphonique. C’est à travers ces deux genres que va se développer le concept du « Beauty and the beast » comme le souligne la chanteuse Liv Khristine (Theatre of Tragedy, Leaves’ Eyes). Des formations comme Lacuna Coil, Whitin Temptation ou Epica intègrent donc dans leurs compositions un chant double, féminin d’une part, pour le côté éthéré et féérique, et masculin d’autre part pour la brutalité et la fureur. On voit donc ici une répartition des rôles, tout efficace soit elle, parfaitement identifiable et rassurante pour le jeune mâle amateur de musiques extrêmes. Cette évolution fut pourtant une bonne porte d’entrée pour un nouveau public féminin, et par ricochet pour de nouvelles artistes.

Depuis les années 2000 elles ont d’ailleurs investi tous les genres, hormis peut-être le Black Metal, et même dans les ténèbres opaques du rock sataniste burné la féminité trouve son chemin.

Les deux groupes qui nous intéressent ici sont assez symboliques des nouvelles tendances, ils nous viennent tous d’eux d’Ukraine et officient dans le Prog Metal pour Jinjer et le Death mélodique oriental pour Ignea. Voilà pour le décor, mais l’enjeu de la pièce se joue ailleurs. En effet, la vraie nouveauté vient du fait que les deux chanteuses de ces groupes ont su faire fusionner la belle et la bête, alternant chant clair et chant guttural avec une aisance surprenante, renouvelant le concept de manière audacieuse. Désolé les gars, il va falloir s’y faire, elles n’ont plus besoin de nous…

C’est sur un effet de surprise jouant sur cette dualité que Jinjer a bâti en partie sa réputation. Fondé en 2009, le groupe doit son immense popularité à un clip tourné en 2016 et diffusé sur Youtube (le nouvel MTV pour les musiques actuelles). En effet la vidéo live du morceau « Pisce » illustre à merveille le concept du « deux en une » évoqué plus haut. Le morceau, très ambiant commence doucement, la voix veloutée de la spectaculaire chanteuse Tatiana Shmaylyuk nous berce tranquillement, c’est pour mieux nous mettre K.O. mon enfant, puisqu’elle passe sans prévenir au chant guttural et nous colle par ce biais un bourre pif, de ceux qui vous (r)éveillent et vous font voir le monde sous un autre angle. 60 millions de vues à ce jour pour ce morceau, cela prouve que le phénomène va bien au-delà du simple amateur de Metal.

Jinjer compte cinq albums à son palmarès, tous très recommandables. Le dernier en date Wallflowers (2021) se permet même le luxe d’être leur travail le plus violent et sophistiqué à ce jour, remettant leur titre de champion en jeu. Comme quoi le groupe est loin de se reposer sur ses lauriers et ça paie, l’album est un succès critique et public.

Ignea est une formation plus jeune, fondé en 2015 le groupe c’est lui aussi fait connaître d’un large public via Youtube et la vidéo « Alga » (7 millions de vues). La vidéo démarre sur une longue intro joué par un véritable orchestre symphonique avant que le groupe ne prenne le relais et fusionne guitares et violons. Le chant quant à lui rappelle celui de groupe comme Within Temptation ou Lacuna Coil avec des accents plus orientalisants. Un morceau très agréable donc mais rien de très original me direz-vous. Or il se trouve qu’Alga est un cheval de Troie, cheval qui nous amène vers un univers aussi déstabilisant que grisant.

En effet, le groupe définit sa musique comme du « Metal oriental » et il n’hésite pas à mélanger les genres et les cultures, comme dans leur formidable duo avec Yossi Sassi, ex-membre d’Orphaned Land, sur « Petrichor ». Les thèmes des chansons vont des légendes folkloriques revisitées à des sujets plus graves comme la dénonciation du terrorisme sur le poignant « Seyutanu Akbar » accompagné d’un beau clip inspiré par Magritte. Comme sa compatriote Tatiana, Helle Bogdanova alterne le chant clair et guttural avec un aisance qui laisse sans voix, le meilleur exemple étant sur le morceau « Disenchantment » qui comme son nom l’indique, porte un regard amer sur notre monde moderne. « La flamme à une âme, l’étincelle électrique reste vide » dit la chanson, une phrase qui fait presque office de manifeste pour le groupe, Ignea voulant dire « Flamboyant ». Pour finir j’attire l’attention sur les fabuleux designs des clips et des pochettes, ceux-ci sont le fruit de l’artiste Masha Goruliova.

Ignea compte à ce jour deux albums seulement, ils viennent de sortir un EP Bestia (2021), sur lequel ils partagent l’affiche avec une nouvelle formation Ukrainienne : Ersedu. Là aussi on y découvre une chanteuse au registre étonnant.

On ne sait où vont nous mener ces nouvelles sonorités apportées par ces jeunes femmes, mais on ne peut pas leur denier l’aspect novateur et rafraichissant de leur musique. Un vent de renouveau bienvenue là où ça commençait à sentir le vieux bouc sataniste.


  • Jinjer : Wallflowers (2021) chez Napalm Records dispo en CD, Vinyl ou Digital
  • Ignea : Bestia (EP) (2021) chez Kadabra Music en CD, Vinyl ou Digital

Clips :

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