Glass Museum – Reykjavík (entretien)

Reykjavik est la capitale d’un pays fascinant. C’est le titre du second album du groupe belge Glass Museum, titre qui convient parfaitement à leur musique qui décline les grands espaces intérieurs intimes de paysages émotionnels fantasmatiques.

Par la jeunesse de leur membres, la porte s’ouvre immédiatement sur un ailleurs qui vous prend la main pour vous tirer le bras et partir comme un souffle. Le temps de le reprendre ce souffle et nous repartons plus fort, galvanisés les promesses d’une nouvelle vie, d’un nouveau souffle. Oui on peut encore s’enflammer, se voir mèche et ne plus être que suif.

Et ce voyage propitiatoire se poursuivra d’ailleurs sur les ailes d’un Sirocco soufflant sur un tapis volant au-dessus des dunes. Oui la musique de Glass Museum inspire à la rêverie. Une rêverie simple et complexe à la fois, vent de sable des marchands de poussière.

Glass Museum porte un cran plus loin la musique qui s’est faite avec lui. Abyss nous ouvre les abîmes d’un François de Roubaix croisé avec un Blade Runner en chasse d’une proie amoureuse. Rêveries magnifiques d’un temps suspendu aux gouttelettes. L’album révèle constamment un propos éthéré qui va fondre dans le sol (un peu normal pour de la musique) pour l’ancrer dans la terre. Cette terre qui est le nom de l’album, une ville d’un pays.

L’album se clôt par une musique de résilience dont nous reparlerons dans l’interview d’Antoine Flipo, pianiste du groupe.

Glass Museum © Barthélemy Decobecq 1

Interview avec Antoine Flipo, pianiste du groupe.

Vasken Koutoudjian : Pourquoi Reykjavik est une ville si joyeusement mélodique dans son thème entre des expositions plus….mélancoliques.
Antoine Flipo : On a composé notre album en novembre 2019. Nous étions, pour en composer une partie, en résidence dans une salle à Bruxelles : la Tricoterie[1] . C’est un peu cette atmosphère confinée qui nous faisaient imaginer ce qu’il y a dehors, avec la neige qui tombait. A la fois joyeux à l’approche de Noël, c’est le refrain et des couplets plus poétiques, très calmes. C’était l’atmosphère que nous ressentions.

VK : Comment s’est faite votre éducation musicale ?
AF : On a un parcours différent Martin et moi, même si on se connaît depuis qu’on est tout petit. Ma marraine était sa voisine. On a commencé à faire de la musique assez tard[2]. C’était il y a 4 ans quand j’étais en première. J’ai fait dix ans de piano classique à Tournai. Martin a eu lui des cours particuliers pendant cinq, six ans. Puis il a eu un groupe de math rock[3] , un peu alambiqué en termes de composition, très mélodique et rythmique. Avec nos deux approches très différentes on a combiné nos deux forces. Au départ nous faisions plutôt des jam[4], est venue l’idée de participer au tremplin du Dour Festival[5] qui est une belle opportunité pour un groupe de passer un cap. On a remporté ce prix ce qui a vraiment lancé le projet Glass Museum. Cela fait maintenant trois, quatre ans qu’on joue et ça se passe bien (rire).

VK : Une question un peu philosophique : que peut-on exprimer avec la musique qu’on ne peut pas dire avec des mots ?
AF : Comme tout art, c’est une porte de sortie pour toutes les émotions qu’on ne peut pas exprimer autrement. Des fois on a du mal à mettre des mots sur la mélancolie, la joie et la musique nous permet justement d’exprimer ces émotions. On peut faire ressentir aux autres ces émotions plus facilement qu’avec des mots. Plus rapidement aussi. Pour ma part je sais que ce sont mes émotions intérieures qui vont sortir immédiatement avec la musique. La musique est donc un langage à part entière qui permet d’exprimer des choses sinon plus difficiles avec des mots.

VK : Justement pourquoi est-ce plus facile avec des notes ?
AF : Parce qu’on est directement plongé dans la tête, donc le corps du compositeur. C’est comme un film sans bande originale, ce n’est pas le même film. Alors pourquoi ? En fait je ne sais pas….

VK : Il n’est pas obligé d’y avoir une explication à tout ! Un featuring de rêve pour toi, c’est quoi ?
AF : Ho c’est difficile à dire….Je dirais peut être Eric Truffaz.

VK : Avec un musicien disparu ?
AF : les Beatles. Ils ont changé tellement de choses.

VK : Comment tu peux expliquer qu’avec dix notes et leur altération ils ont crée toujours de nouvelles mélodies ?
AF : Déjà il n’y a que la musique occidentale qui est restreinte à dix notes. Mais c’est la combinaison de ces notes entre elles, la suite que l’on va faire avec le rythme employé qui font les différences. L’association de certaines notes va créer une couleur à la musique, par un accord. En mélangeant les accords on obtient différentes couleurs, comme un peintre et son chevalet.

VK : Votre pire session musical, c’était quoi ?
AF : On avait fait un concert à Liège, au festival KulturA. Il y avait des problèmes de partout ! On ne s’entendait pas du tout jouer, on n’a vraiment pas passé un agréable moment.

VK : Votre meilleure session ?
AF : L’année passée en Allemagne devant un public hyper réceptif dont on voyait qu’il avait été touché par le concert. Il y a eu une telle connivence avec le publique que j’ai eu envie de lâcher une larme à la fin ! L’été passé on a joué en République Tchèque, devant 3000 personnes, c’est aussi un souvenir très fort.

VK : Un de tes livres préférés ?
AF : Il y a un livre très bien écrit que je trouve magnifique, c’est le Petit Prince[6]. Ho pour le musicien disparu j’aimerai que tu rajoute Bill Evans. C’est une des personnes qui m’inspire le plus.

VK : Son « Love Theme From Spartacus » où il s’enregistre pour rejouer par-dessus cet enregistrement est simplement à tomber par terre ! (en toute simplicité !). Si tu n’avais pas fait de musique, tu aurais fait quoi ?
AF : J’ai fait des études scientifiques, ingénieur biologiste. J’aime toucher à tout, que ce soit manuel ou intellectuel. Il y a beaucoup d’envies de créativité en moi. Pour l’instant c’est la musique qui me permet de le faire, mais je peux trouver autre chose. Quant à Martin (Grégoire) il est déjà un magicien amateur alors….

VK : Comment se fait le titre d’un morceau ?
AF : Il y a plusieurs manières de procéder. Pour cet album on a fait un brainstorming un matin et réécouté chaque morceau. On donnait les idées qui nous traversaient l’esprit en écoutant. On arrivait à une quinzaine de mots pour un morceau, il n’y avait plus qu’à choisir. Pour « Clothing» c’est un clin d’œil au morceau « Opening » de notre premier album

VK : En écrivant le morceau IOTA, vous vouliez dire quoi ? (Iota est la neuvième lettre et quatrième voyelle de l’alphabet grec[7] ) que voulez-vous dire ?
AF : C’est le dernier morceau qui a été composé. On pensait avoir fini, on avait composé tout l’album et on s’est dit qu’il manquait un morceau rassembleur. Une conclusion qui aille choper un peu de chaque morceau. On voulait aussi une empreinte bien ferme, piano batterie. Iota c’est la petite chose qui finit l’album !

VK : A travers a musique quelle forme de plénitude tu chercherais à atteindre ?
AF : Toucher les gens. Je suis énormément touché quand je vois dans le public des sourires provoqués par notre musique. C’est vraiment ça qui me donne envie de faire de la musique.

VK : Cette période très particulière dans laquelle nous sommes, le confinement, le virus, la pandémie mondiale, tu en dis quoi ?
AF : Je trouve ça intéressant comme situation. Évidemment c’est à déplorer, mais ça permet de prendre du temps pour réfléchir. Par exemple depuis trois, quatre semaines, je compose énormément. Je le fais naturellement alors que sinon j’aurais été pressé par un agenda. Cette pause dans le temps rend les choses un peu plus naturelles. Avoir le temps de s’ennuyer c’est aussi important. J’ai la chance d’habiter dans une colocation de quatre et nous avons beaucoup plus le temps de nous voir.

VK : Que voudrais-tu que cette période change ?
AF : Se rendre compte des bienfaits que le confinement peut avoir apporté au niveau psychique, et apprendre de notre vulnérabilité. Ce promener à Bruxelles avec plus aucune voiture qui roule, c’est un bonheur.

VK : Tu n’as pas peur que tout ça terminé ça reparte de plus belle ?
AF : Oui bien sûr, mais je pense qu’on va s’en souvenir.

VK : Il y a eu une Deuxième Guerre Mondiale qui a été quelque chose de sidérant. Est-ce qu’on en a tiré les leçons ? Je n’en sais rien…
AF : L’humanité avance par période de catastrophes et de ressourcement. Ce confinement est une catastrophe, on aura une période de renaissance bénéfique par la suite.

VK : Pour terminer sur une note un peu plus légère, j’aimerai que tu me donnes un morceau pour danser, un autre pour faire la guerre, un pour faire l’amour et un pour méditer !
AF : Un morceau

  • pour danser : jungle by night, Stormvogel[8]
  • pour faire l’amour, tout l’album de Portico quartet, Art In The Age Of Automation.
  • pour faire la guerre….je ne fais pas beaucoup la guerre…
  • alors un autre morceau pour faire l’amour : Papoose le morceau « Ann Wants To Dance ».


Entretien avec Martin Grégoire, batteur du groupe

VK : Qu’est-ce que le rythme pour la musique ? Comment le définirais-tu ?
Martin Grégoire : Le plus important pour moi en tant que batteur au niveau du rythme, c’est le groove. Trouver le bon arrangement niveau du tempo, pour donner une certaine intention en termes de « danse ». De ressenti et à partir d’une idée mélodique, lui donner du corps, une pulsation qui va donner le ressenti corporel.

VK : Ton pire souvenir de batteur ? Ton meilleur ?
MG : Mon pire souvenir en tant que musicien : un concert à la Taverne Du Théâtre à la Louvière où j’ai cru qu’on allait se faire frapper par l’ingé-son du lieu tellement il était désagréable/agressif et où on a joué devant 2 personnes + mes parents. (Ça c’était avec mon ancien groupe : Rince-Doigt). Pour la deuxième partie de la question j’ai plusieurs grands souvenirs. Le meilleur reste cette après-midi où on a joué au Fusion Festival en Allemagne après avoir galéré. Le cadre était idyllique, l’atmosphère incroyable, des potes à nous étaient venus de Belgique pour nous voir. Et le concert était dingue. C’était un grand moment, plein d’émotion.

VK : D’ailleurs cette période sans précédent dans laquelle nous sommes, vous en dites quoi ? Que va-t-elle changer chez vous ? Que voudriez-vous qu’elle change dans notre société et que pensez-vous qu’elle change réellement ?
MG : Pour nous, le confinement arrive en pleine sortie d’album. C’est un peu dommage parce que ça retarde la défense du disque en live. On perdra probablement en visibilité cette année à cause de ça il y avait déjà beaucoup de soucis au niveau de la reconnaissance du statut des artistes / du métier de musiciens en Belgique avant cette période… Malheureusement je suis un peu pessimiste pour l’avenir, je ne crois pas que le secteur culturel sera le premier à être aidé après la crise.

VK : Pour terminer, un peu plus de légèreté (ou pas). Donnez chacun un morceau de musique (pas de vous) pour : danser, faire l’amour, faire la guerre, méditer.
MG : un morceau

  • pour danser : Harvey Sutherland – Bamboo,
  • pour faire l’amour : Four Tet – Two Thousand and Seventeen
  • pour faire la guerre : Lone – Abraxas
  • pour méditer : Aphex Twin – Xtal

Alors méditons ! :


Glass Museum – Reykjavik
(Chez Sbdan Ultra (un sous label de Sdan Records)

Sorti de l’album digital le 24 Avril.
Tous les concerts sont reportés à Septembre.

Pour suivre le groupe


[1] https://www.tricoterie.be/fr/

[2] Sous-entendu, « ensemble »

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Math_rock

[4]https://fr.wikipedia.org/wiki/Jam_session

[5] https://www.dourfestival.eu/fr/

[6] https://www.antoinedesaintexupery.com/ouvrage/le-petit-prince-1943/

[7] Celui ou celle qui me sort que non, il s’agit du grand sage maître Ioda de la Guerre des Etoiles est viré !

[8] https://www.youtube.com/watch?v=kWw-rrqF9AA

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A propos de Vasken Koutoudjian

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