Stéphane Kiehl – Blanc, une histoire dans la montagne (La martinière Jeunesse)

C’est une histoire poétique et simple que nous conte « Blanc », le livre de Stéphane Kiehl : en voulant suivre un renard qui s’aventure très régulièrement près de sa maison, un petit garçon se perd dans la forêt.

Mais point de conte, de sorcières ou de fées, ici : rien que le blanc. Celui de la Brume, des paysages couverts de neige, celui qui perce sous la noirceur de l’ombre, qu’il faudra bien traverser, à petit pas, pour espérer retrouver le Chemin de chez soi…

On pourrait parler ici de la Beauté des grandes pages rehaussées d’encre noire, des paysages écrasant les personnages, ou s’effaçant par morceaux. On pourrait aussi souligner la relative quotidienneté de son histoire, sorte de rêverie un peu naïve, sorte de traversée entre le songe et la Nature, sans véritable rebondissement.

Mais il faut surtout s’attarder sur la très belle idée de l’album, ces quelques pages de calques recouvertes de noir, qui constituent le moment de la brume : brusquement, l’œil ne saisit qu’à moitié ce qui s’y trouve, une surface en recouvre une autre, une profondeur se crée tout en brouillant encore plus les pistes, on détecte la présence du héros puis on la perd la page suivante…

C’est une idée à la fois limpide et brillante, et quand on parvient de l’autre côté, dans une page d’un blanc immaculé, l’expérience de la perte et de la dissolution devient celle du lecteur, unis par une même sensation et une même traversée.

Pour ces quelques pages muettes, qui parviennent par la seule force de son dispositif à dire tout ce que les mots ne parviennent qu’à suggérer, pour ce vide si plein d’espace à remplir de nos propres expériences, peurs, souvenirs et sentiments, le livre de Stéphane Kiehl mérite qu’on accepte de s’y perdre avec délices. (J.N.S)

 

Xavier Deneux – Le petit chaperon rouge (Editions Milan)

Xavier Deneux est de retour : nous sommes très amoureux de son travail pour les tout-petits, de ses désormais célèbres imagiers gigognes, Mes animaux (à toucher, de la ferme, etc.), ses Petits Métiers ou l’amusant Un point c’est tout ?. Aujourd’hui, il s’attaque au classique des classiques, qui porte un petit chaperon et dont la bobinette cherra.

Si l’histoire est connue et mille fois réchauffée, on retrouve ici le goût de l’auteur pour le potentiel ludique du graphisme et des formes (les découpages de ses livres pour petits, les jeux de matière ou brillance, les formes géométriques simples, etc.), en l’occurrence en procédant à une réduction élémentaire. Au bois inquiétants, à la maison, aux crocs et à la dévoration, Deneux substitue un dialogue imagé entre deux éléments simples et métaphoriques : au petit chaperon une main d’enfant innocente, au loup une ombre chinoise menaçante.

Un point devient un chemin d’horizon, des oreilles dressées celles de la peur, une page brune une porte où il suffit de toquer…

Au-delà du concept et de ce qu’un tel « geste » sous-tend – hommage à son maitre de thèse Roman Cislewicz, cette réduction du conte à ses formes les plus élémentaires lui offre tout à la fois une modernité amusante, et la possibilité de se réapproprier ce thème (un peu) poussiéreux par le jeu : il suffit alors de mimer avec l’enfant les différentes étapes du conte (un doigt qui pointe, un loup en ombre chinoise, les mains en l’air pour évoquer la stupeur ou le nez pour une facétie), pour que l’enfant et l’adulte se créent un petit théâtre commun, où des doigts sur une page deviennent une balade, et quelques gestes un espace imaginaire commun. (J.N.S)

 

Martin Jarrie –  Imagier du Vivant (Editions Seuil Jeunesse)

Jolie surprise, en ce temps confiné, déconfiné, qui sait peut-être reconfiné, où parfois l’extérieur nous semble un horizon lointain voire conceptuel, que cet « Imagier du Vivant » de Martin Jarrie, paru chez Seuil Jeunesse.

 

Pour l’enfant comme pour l’adulte, il y a d’abord une forme de Beauté qui se dégage de ses belles peintures qui mélangent page à page le règne animal et végétal. Elles vibrent sur fond coloré de contrastes, de textures, d’un hyper-réalisme du trait proche de l’entomologie ou de la botanique (les fruits coupés, qui rythment de leurs intérieurs les pages) tout en affirmant par leur mise en scène leur rôle d’image. Petit pois et tortue se trouvent réunis, Tournesol et couleuvres, abricot et narcisse, cheval et poivron, chien, chat, mouton, vache, mésange, banane, pomme et rouge-gorge, dont la truculence de l’inventaire n’a d’égal que l’éclatante fascination que provoque leur représentation, proche de la sensation quand on parvient à ressentir la jutosité d’une pastèque ou d’un citron, la texture de la laine ou la bizarrerie d’une noix.

 

S’il se contentait d’être cet inventaire amusé et sensible, l’Imagier du Vivant serait déjà un beau livre, à s’offrir, à offrir, même aux plus jeunes. Mais au-delà de l’éblouissement visuel, l’adulte piochera et affinera sa perception au fil des lectures, dans un drôle de jeu d’écart ou de correspondances  qui se tisse au fil des pages. Si le lapin se situe en face de la carotte, ou si le chien tourne le dos (et la page) au chat grognon, Martin Jarrie va encore plus loin dans son émerveillement joueur, laissant par exemple la peau d’un céleri lui rappeler la couleur d’un sanglier (qui lui-même deviendra son cousin Cochon la page suivante), la fane d’un radis devenir la tige d’un œillet rose (le vert qui survole devient celui qui soutient), la peau d’un rouge-gorge envahir le souvenir d’une pomme, le fond coloré contaminant le fruit, la forme d’une tulipe de rappeler celle d’un oignon…

 

Dans ce jeu d’allitérations émues se niche le cœur battant de ce si bel ouvrage : loin d’un herbier, qui prélève le réel pour en faire une nature morte, l’image du Vivant est une ode à sa pulsation.
L’auteur le confie, d’ailleurs, dans l’unique texte de l’ouvrage, sur sa couverture, après le souvenir d’une balade de campagne : « Je vis maintenant à Paris mais je porte toujours en moi toutes ces sensations si vives de mon enfance et j’aime les faire renaitre dans mes peintures. » L’anamnèse et l’enchantement d’un rébus infini qui par le regard vient poétiser le monde et ses couleurs, et en célébrer la puissance tout à la fois festive et ludique. (J.N.S)

 

Alexandra Garibal et Claudia Bielinsky – Plein plein plein d’objets dans ma maison (Casterman)

Des livres d’objets, les rayons de nos libraires et bouquinistes en sont remplis. Etapes nécessaires et stimulantes du développement d’un bébé, ces imagiers plus ou moins complexes permettent reconnaissance des formes et acquisition du vocabulaire, suscitant fierté des parents et joie des enfants. Certes.

Alors pourquoi évoquer ici « Plein plein plein d’objets dans ma maison » ?

Parce que, bien conscients des limites de l’exercice, Alexandra Garibal et Claudia Bielinsky s’amusent, aussi bien au niveau des images, qui voient défiler un cochon superman, un chat qui sirote un sirop, une poule footeuse, des souris regardant Mickey ou un pingouin qui se tape une sieste pépouze dans un fauteuil à bascule – et j’en passe, qu’au niveau des textes qu’elles adjoignent en mode freestyle à chaque micro-scène, passant de Johnny Hallyday à un rébus sur le secrétaire, des jeux de recherche dans le dressing, une répétition de la chanson du pipi sur le gazon, etc.

En résulte, s’il ne révolutionne pas le genre et tombe parfois à plat, un grand foutoir stimulant et drôle, saturant autant le regard qu’appelant le parent à accompagner l’enfant et rire ensemble de ces micro-fictions, transformant un simple inventaire en potentiels d’histoires. Et c’est pas Monique se croquant tranquilou un goûter de carottes qui dira le contraire. (J.N.S)

 

 

Georgette – Familles (Edition Didier Jeunesse)

C’est à un bel album un peu surannée et faussement naïf auquel nous convie Georgette, dans ce titre programmatique. Un petit album d’une vingtaine de pages, pas plus, avec de petits bonhommes stylisés, qui ne disent qu’une chose : il n’y a pas une mais des familles.

Une famille, c’est parfois deux, parfois trois. Une famille, c’est parfois un divorce, parfois un remariage. Une famille, c’est des papas, des mamans, des souvenirs quand les autres sont partis.

Une famille : réussir à condenser en si peu de pages la monoparentalité, l’adoption, l’homoparentalité, les séparations et recompositions, était déjà en soi une gageure. Mais réussir, par de simples sourires, à rendre à chaque situation non pas son hurlement sociétal mais son potentiel de douceur, c’était un défi à la fois politique et sensible. Georgette le dépasse sans sourciller, avec la tendresse chevillée au corps et au dessin : une famille, c’est avant tout de l’amour. Et un enfant (et un adulte) ne devraient rien avoir à retenir de plus. (J.N.S)

 

Rémi Chaurand – La journée de Bongromeuh (Edition Bayard)

« Que va faire Bongromeuh aujourd’hui ? »

Question banale, sauf quand le petit bonhomme qui lit cette histoire devient son chef d’orchestre, pouvant décider de le laisser trainer un peu au lit, faire un dessin, prendre un goûter, jouer, se laver les dents, etc.

Il fallait y penser, Rémi Chaurand l’a fait : voici venir le livre dont vous êtes le héros, à l’échelle des petits. Si l’aspect protéiforme de l’ouvrage peut d’abord effrayer, on constate très vite que les petits se prennent immédiatement au plaisir de modifier le cours de l’histoire, allant de chausses-trappes amusantes (jouer sans manger, pas bonne idée, ou à un solo de ukulélé) en gourmandise (quel plaisir de décider s’il est l’heure de goûter), traversant l’aventure minuscule du quotidien jusqu’au lit du soir, lieu sans doute de la lecture de l’ouvrage.

C’est qu’au-delà du graphisme déjanté de ce drôle d’animal, Rémi Chaurand s’amuse, et nous avec, des possibilités du médium : si on doit réveiller ce soupe-au-lait, il faut claquer brutalement les pages cartonnées. Si on veut le laisser dormir ou se reposer, il suffit d’arrêter la lecture en refermant l’ouvrage…

Mine de rien, sous son aspect jeu, ce livre qui enseigne l’autonomie (en dirigeant Bongromeuh, ce sont les propres étapes de sa journée que l’enfant traverse) propose aussi une forme assez salvatrice de dédramatisation de l’acte de lecture. Lire, c’est avant tout – et ne devrait être – qu’un jeu, et si tu es d’accord, passe à la chronique suivante, page 2. (J.N.S)

 

Christine Roussey – Promesses (La Martinière Jeunesse)

Il y a des livres qui suscitent parfois la crainte. De ceux qui commencent par « Je te promets », et dont on s’efforce de se convaincre, à priori, qu’ils vont s’effondrer dans le sucre et la naïveté.

Il y a pourtant dans le livre de Christine Roussey (premier tome d’une série), une poésie qui se dégage dès les premières phrases, qu’on voudrait murmurer : « Je te promets des « encore » et des « une dernière, toute dernière fois ».

Le livre, illustré de petits enfants amusés dans leurs tâches quotidiennes, peuplé de pages simples, devient alors une longue berceuse amoureuse, qui parvient à dire, l’air de rien, sur quelques mots qui résonnent autant comme des souvenirs que des potentiels, tout l’amour qu’un parent peut porter à son enfant, non par grandes déclarations, mais par des petites phrases du quotidien, partagées ensemble : des contraintes (la politesse, le range ta chambre), des bonheurs (la première neige), des échecs et des douleurs (Je te promets des « ça va aller »), des réparations (Je te promets des « pardon »), des protections.

Et quand on parvient au « Je te promets des « Je suis là »», dans ces pages toutes percées comme un appel vers les potentiels futurs, c’est le cœur attendri, ému, et nourri de tous ces éclats de pas grand-chose qui fabriquent et mitonnent ce qu’on appelle l’amour. (J.N.S)

 

 

Et aussi.

Antonin Louchard – Captain Lapin (Seuil Jeunesse)

Lapin est de retour : après la piscine, le pot, le dessin et les super bottes, il est temps d’assumer pleinement son rôle de héros d’histoire. Enfin, de « super » héros, en l’occurrence Captain Lapin (à ne pas confondre, c’est lui qui le dit, avec le SuperLapin), dont il a gravé fièrement l’initiale sur son t-shirt, au feutre indélébile pour éviter que ca s’efface, pas bête.

Ce serait déjà suffisant pour faire tourner sa mère en bourrique, mais ils sont en plus en retard pour aller chez le pédiatre, médecin chez qui Super, pardon Captain Lapin prétend comme par hasard pouvoir se téléporter.

Il va en falloir, de la négociation et de la roublardise, pour le convaincre de bouger, ce « Captain Lapin » d’Antonin Louchard, dont on retrouve ici le trait expressif, le plaisir des dialogues enlevés, des réactions tombant sous le sens (non, ca ne peut pas être le L de légumes, puisque les végétaux n’ont pas de héros), et d’un récit qui, s’il ne révolutionne pas le monde ou n’apporte pas de pensée profonde sur l’enfance ou l’âme, amusera par son jeu de page gauche-droite le parent lecteur et l’enfant gouailleur en renouvelant le classique duel imaginaire/contraintes adultes, dans une petite pièce de théâtre au petit goût amusant d’un petit-trop-souvent-vu-allez-dépêche-toi-on-va-être-en-retard-pour-la-chronique-suivante. (J.N.S)

 

 

Christophe Pernaudet et Laurent Sanguinetti – Himboo Humboo (Seuil Jeunesse)

Himboo Humboo est peinard : il se lève, et il A-DO-RE lire tranquille son journal. Sauf qu’un matin, ce bon gros géant poilu se réveille soupe-au-lait. Oh, ce n’est pas que les nouvelles du monde soient pires qu’habituellement, juste il va falloir en convenir : à 342 ans, il a beau tendre les bras comme il veut, il a la vue qui baisse.
Problème on ne peut plus banal, sauf quand on est cyclope…

C’est toute l’aventure colorée et amusée des pérégrinations de spécialistes en oculistes que nous content Christophe Pernaudet (au scénario) et Laurent Sanguinetti (au dessin), dans ce joli album XXL aux traits crayonnés sublimes et joueurs, dont le principal atout, loin d’être l’histoire (amusante mais point surprenante, même si elle rappellera à certains d’entre nous ses propres dégénérescences) est la création de cette immense peluche à la fois repoussante et craquante, entièrement composée de traits de couleurs qu’est Himboo Humboo, et qu’on rêve maintenant de voir traverser d’autres aventures toutes aussi absurdes et enjouées. (J.N.S)

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