Un roman finaliste du Prix Pulitzer 2012 pour la rentrée littéraire française : Karen Russell, un auteur à suivre qui n’en est qu’au brouillon – Deux éléments encadrent la parution en français de « Swamplandia » : la mise en avant d’excellentes critiques de la presse anglo-saxonne et la quatrième de couverture semblant annoncer une saga familiale. En résumé, la ferme d’alligators de la famille Bigtree vivote tant bien que mal au milieu des marais jusqu’au décès prématuré de la mère qui coïncide avec le lancement d’un parc d’attraction concurrent nommé « Le Monde de l’Obscur ». Restent le père largué, le grand-père malade et les trois enfants : une soeur ainée qui communique avec les morts, un cadet surdoué et la benjamine, décidée à suivre les pas de sa mère en tant que dompteuse d’alligators. Autant dire que l’on attend de ce pavé de quatre cents pages une immersion totale et rapide dans un monde insolite, un affrontement entre une âme artisanale et une vision commerciale assumée, des personnages attachants, plusieurs tranches de vie, autrement dit ce genre de romans que l’on dévore d’un bout à l’autre, avec plaisir et satisfaction.

Si l’on maintient l’étiquette de la saga, « Swamplandia » se révèle plutôt maladroit. Intitulé d’après le nom de la ferme d’alligators, le roman ne s’y attarde pas puisque tous les personnages quittent le lieu, en effet pour le préserver, mais sans permettre au lecteur de l’avoir véritablement visualisé ou de s’y être attaché. L’errance des personnages vient supplanter la perdition du lieu, en désincarnant le récit. De même, la temporalité est floue, pleine d’à-coups, ramassée puis diluée, parasitant le rythme de lecture. Et la narration alternée entre les personnages du frère et de la plus jeune soeur éclipse totalement la figure du père et la trajectoire de la grande soeur. Qualifiée à juste titre d’inventive, la plume de Karen Russell conjugue une prolifération d’univers et une lenteur nécessaire à l’épanouissement du style, avec un effet déroutant qui limite la portée fédératrice du roman.

« Swamplandia » n’a donc rien d’une saga si ce n’est son épilogue, étonnamment lisse, mais il faut toutefois rendre à Karen Russell un talent d’écriture certain pour ce qui relève de l’ambiguïté et en l’occurrence, le roman porte bien son nom. Cela tient en grande partie au personnage de la petite soeur, Ava, 13 ans, entre naïveté et maturité, coincée entre son île à l’abandon depuis le décès de sa mère et le continent dont elle ne connaît pas les codes, c’est-à-dire entre l’enfance et le monde adulte. L’auteur traduit avec créativité cette transition d’un âge à l’autre en compagnie de l’Oiseleur. La faune et la flore des marais y sont merveilleusement imagées, ce passage initiatique est le mieux réussi du livre – mais aussi le plus glauque. Autre récit dans le récit et à noter, l’histoire tragique de Louis Thanksgiving, l’amoureux fantôme d’Osceola, également très bien écrite dans une cohabitation parfaite du fantastique et du réalisme. Toutefois, ces éclairs de narration ne peuvent pas justifier à eux-seuls la lecture de ce roman ambitieux, certes, mais inégal, peu digeste et finalement décevant.

 

Paru le 22/08/12 aux Editions Albin Michel.

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