En 1960, Jean-Luc Godard invite Jean-Pierre Melville à jouer le rôle d’un écrivain nommé Parvulesco dans A bout de souffle, son premier long-métrage. La scène est aujourd’hui célèbre, notamment pour cette réplique :

« -Quelle est votre plus grande ambition dans la vie ?

-Devenir immortel et puis…mourir »

Or Jean Parvulesco est un personnage tout à fait réel qui ne publiera son premier ouvrage qu’en 1978 chez un minuscule éditeur (La Miséricordieuse couronne du Tantra) avant d’enchaîner les titres les plus obscurs (une cinquantaine selon Christophe Bourseiller) qui finiront par lui valoir une minuscule renommée :

« De « vrais » éditeurs ayant pignon sur rue consentent à publier ses textes poétiques et bizarres, à l’image de L’Herne, de Guy Trédaniel ou de L’Âge d’homme. »

Pourtant, avant d’aborder le sujet qu’annonce son titre (un écrivain méconnu et pétri de contradictions), Bourseiller débute son récit en évoquant la figure de… Jean-Luc Godard. Car celui qui donna naissance – en quelque sorte- à Parvulesco fut également l’ami de la famille Bourseiller et adorait les simagrées de Christophe enfant au point de le faire apparaître plusieurs fois dans ses films. Il sera d’abord le fils de Macha Méril dans Une femme mariée, puis celui de Marina Vlady dans Deux ou trois choses que je sais d’elle avant d’être l’insupportable gamin qui tire des flèches sur la décapotable de Mireille Darc et Jean Yanne dans Week-end (scène éprouvante qui vaudra au malheureux acteur en herbe une violente gifle de la part de Mireille Darc !). Avouons-le d’emblée : toute cette partie est décevante. Christophe Bourseiller s’adonne à l’autofiction pour ne laisser transparaître qu’aigreur et ressentiment. D’autant plus que ce témoignage à charge paraît peu étayé dans la mesure où l’auteur ne reproche, au fond, à son parrain qu’une seule chose : l’avoir « abandonné » lorsqu’il est devenu adulte. Mais nul n’est forcé, me semble-t-il, de garder contact avec toutes les personnes qu’il a croisées au cours de son existence. Autre paradoxe : il prétend ne pas aimer l’image qu’il renvoie dans les films de Godard mais, par ailleurs, se décrit comme une sorte de « petit singe savant » élevé au cœur d’une famille de théâtreux constamment en représentation. Pourquoi reprocher au cinéaste le fait de l’avoir filmé tel qu’il était ? Ce côté revanchard donne également lieu à des affirmations plus ou moins approximatives comme celle qui prétend que Godard a utilisé des acteurs « confirmés, célèbres, rentables… » (p.48) pour sortir de l’ornière « expérimentale » alors que c’est à lui que Belmondo doit en partie sa célébrité. Ou encore de prétendre que les premiers courts-métrages du cinéaste sont « aujourd’hui oubliés » (p.47). A cela s’ajoute quelques coquilles (le nom écorché du réalisateur Elie Chouraqui devenu « Chouraki » ou l’inspecteur Clouseau de Blake Edwards affublé du patronyme « Clouzot ») qui accentuent le côté un peu confus de cette première moitié du livre.

Il faut attendre la page 54 (sur un livre qui en compte 122) pour que Bourseiller commence enfin à peindre le portrait de Jean Parvulesco. D’abord d’un point de vue intime puisque l’auteur a eu l’occasion de le rencontrer et l’a même fait inviter à la télévision lorsqu’il était conseiller éditorial de Frédéric Taddeï pour l’émission Ce soir ou jamais (un passage mémorable puisque Parvulesco resta constamment mutique) avant de revenir sur son singulier parcours.

Ce deuxième mouvement du livre s’avère beaucoup plus intéressant. Bourseiller décrit un personnage énigmatique que d’aucuns considèrent comme « fasciste » alors que sa période militante (aux côtés de l’OAS) fut extrêmement courte :

« A l’évidence, Jean Parvulesco participe de façon marginale à la droite radicale. Son militantisme à l’OAS ne dure pas. En somme, il n’est « fasciste » qu’en 1960 et ne milite que peu de temps. Il devient surtout par la suite un intellectuel inclassable et marginal, développant des thèses que d’aucuns estiment fumeuses quand d’autres en encensent l’originalité. Je ne trouve pas la trace du moindre engagement militant ultérieur à l’extrême-droite. »

Par la suite, il devient gaulliste (!!) et une figure extrêmement mystérieuse qui apparait dans les films de Barbet Schroeder (Maitresse) ou Éric Rohmer (surtout dans L’Arbre, le maire et la médiathèque), qui fréquente de nombreux cercles mondains, qu’il s’agisse de Claude Sautet, Jean-Pierre Melville ou encore Jean Eustache, le producteur Jean-Pierre Rassam ou Pascal Jardin et même, prétend-il …Ava Gardner et qui enchaine une impressionnante quantité d’ouvrages aux théories farfelues, ésotériques, conspirationnistes…

Bourseiller prend soin de ne pas juger son « personnage » qui, au-delà des casseroles idéologiques que certains persistent à mettre en lumière (son compagnonnage avec le chantre de l’eurasisme Alexandre Douguine), apparaît au fil du livre comme un vrai « fou littéraire » à la prose alambiquée et limoneuse. Certains passages deviennent même assez drôles, notamment lorsque Christophe Bourseiller évoque les « compagnons de route » de Parvulesco et écrit qu’on n’imagine pas ces individus « menant des joutes intergalactiques : Claude Sautet, Hervé Gaymard, Jean-Pierre Rassam, Jacques Chirac, Éric Rohmer, Michèle Alliot-Marie, ou Pascal Jardin » avant d’ajouter :

« « Les « nôtres » l’accompagnent astralement dans ses pérégrinations nocturnes et magiques, à la façon des « supérieurs inconnus » qu’évoque la Théosophie. On ne les aperçoit qu’au détour d’un chemin onirique. Mais qui a envie d’être accompagné astralement par Hervé Gaymard, qui fut ministre de l’Agriculture de Jacques Chirac, avant de devenir le président du Conseil départemental de la Savoie ? »

De fait, ce qui intéresse Christophe Bourseiller dans la figure de Jean Parvulesco, c’est son côté perdant magnifique qu’il associe à sa propre personne. Outre Godard, l’auteur se montre aussi sévère avec Yves Robert qui lui aurait avoué un jour : « tu n’es pas un acteur, tu es un personnage ». Il voit alors dans la manière dont Godard a lancé le « personnage » Parvulesco dans A bout de souffle une sorte de miroir de ce que lui-même fut : un « modèle » exploité par des cinéastes qui l’ont ensuite abandonné.

La métaphore n’est pas illégitime et permet à Christophe Bourseiller de porter un éclairage intéressant sur Jean Parvulesco. Mais il est quand même dommage que son ego blessé fasse un peu d’ombre au projet et empêche d’y adhérer totalement.

***

En cherchant Parvulesco (2021) de Christophe Bourseiller

Éditions La Table Ronde, 2021

ISBN : 979-10-371-0595-0

122 pages – 14 euros

Disponible en librairie depuis le 4 février 2021

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