Christian Oster – Rouler (archives)

Nouveau roman de Christian Oster après un « Trois hommes seuls » de bonne facture et un « Dans la cathédrale » plus neutre, « Roulez » se place dans la moyenne haute du romancier. Nulle surprise ici pour qui connaît son travail, toujours un rythme unidimensionnel, une sorte de voix intérieure, une narration de l’instant dénuée de toute psychologie énonciatrice; autant de fils rouges d’une œuvre fort copieuse. C’est là en effet son 15è roman, sans compter ses livres dits pour la jeunesse, le premier pour les Editions de l’Ollivier.

Terrain connu donc même si les lignes bougent avec ce livre où est donné à voir un narrateur/personnage (jamais tout à fait un autre et jamais tout à fait le même chez Oster), sur le chemin des autres, abandonnant cœur et nombril pour s’immerger dans un collectif. S’immerger est précisément le mot, comprendre une plongée équipé du matériel nécessaire (une carte routière, une carte de crédit, un véhicule) dans un milieu non-naturel. Ce mouvement vers les autres était déjà à l’œuvre dans « Trois hommes seuls », il s’amplifie ici.

La narration épouse d’ailleurs les contours de ce parcours en rendant compte du voyage de cet homme qui prend sa voiture, démarre puis roule droit devant avec comme ligne d’horizon la ville de Marseille ou bien celle de Toulon, un port tout du moins, la fin du chemin. Fantasme de beaucoup, réalité de certains, cette disparition progressive d’un quotidien dont on ne sait comme d’habitude rien (un fils déjà grand, c’est à peu près tout) pour d’autres décors va de pair avec les méandres du mouvement, le personnage bougeant en circonvolution vers une destination improvisée.[1]

«  J’ai pris le volant un jour d’été, à treize heures trente. J’avais une bonne voiture et assez d’essence pour atteindre la rase campagne. C’est après que les questions se sont posées. Après le plein j’entends. En même temps c’était assez simple. Comme j’avais pris la direction du sud, je me suis contenté de poursuivre. Je voulais éviter Lyon, de sorte que je me suis retrouvé à la tombée de la nuit perdu quelque part dans le Massif central. »

D’abord en mode autarcique, le narrateur accueille ensuite dans son habitacle d’acier une personne puis un couple de routards [2] avant de se fondre parmi les clients d’un improbable gite du sud de la France. De l’un vers les autres donc même si jamais le narrateur ne se défait de son périmètre de sécurité. Le style épouse à merveille ce style tentaculaire, ces mouvement ondulatoires effectués avec lenteur et qui nous hypnotisent, c’est là un véritable tour de force une fois encore de voir à l’œuvre le grand talent de l’auteur qui nous fascine avec trois bouts de ficelles de situations, autant de pièces d’un puzzle évidemment inachevé lorsque le livre touche à sa fin.

Il faudrait qu’un futur doctorant disserte de la dualité Eros/Thanatos chez Oster, tant les personnages semblent flotter à côté des autres une bonne partie de chaque livre avant de plonger soudainement dans l’action pour y dévoiler désir et pulsion sensorielle. Ailleurs, c’est lorsque la mort frappe un personnage que le déclic se produit pour le personnage principal, presque à son corps défendant. Toujours en tous les cas un jeu de tension interne permanent qu’une étincelle extérieure modifie brutalement avant que le calme et l’inaction ne reviennent.

Le monde est décidément bien petit chez Christian Oster pour qu’il se limite dans les circonstances les plus évasées au simple couple.

 


[1] Le dossier de presse parle à cet égard de « Road novel »
[2] Une déception toutefois de voir une fois encore à l’œuvre la figure maintes fois éprouvée du couple-marginal-libre-dans-sa-tête-et-son-corps-bien-loin-des-trauma-du-personnage-principal. Paresse de l’imaginaire ou bien ignorance totale d’une telle réalité, le fait est qu’en l’espace de quelques mois me furent données à voir les images quasi-semblables d’un tel couple dans des œuvres aussi différentes que les films « Copacabana » e t « les petits ruisseaux » ou encore le téléfilm « Tirez sur le caviste » dans la série Suite Noire. Nous en avons ici une version épistolaire.

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