Premier long métrage de Stéphan Castang, Vincent doit mourir est un film punching-ball, cinéma finalement atypique dans lequel le sac de sable est le personnage principal, voué à prendre de plein fouet, de façon absurde, la menace que représentent par essence le quotidien, le monde, tout ce (et tous ceux) qui l’entoure(nt), type de films dont le chef-d’oeuvre est sans conteste After Hours de Martin Scorsese (1985), dans le plus pur registre halluciné. Le Vincent du titre a tout du boy next door le plus commun : graphiste dans la boîte où bosse son ex-compagne, il écoute avec un ennui non feint ses collègues lui parler de banalités et il fait des blagues douteuses lors de réunions de travail. Jusqu’ici… Sauf que soudainement, ses collègues se mettent à l’agresser. Violemment. Très violemment. Puis ses voisins. Puis les passants. Puis le monde entier. La protection passera nécessairement par l’isolement. Mais comment se dissimuler de l’ensemble de ce qui nous entoure, d’autant plus lorsqu’on tombe amoureux d’une jolie serveuse à problèmes qui a la prestance de Vimala Pons ?

Se défendre face à l’inexplicable (K. Leklou) (©Capricci Films)

Et Castang de très bien mettre en scène l’atmosphère de violente étrangeté qui assaille Vincent, faisant de chaque plan de coupe une menace létale, encore renforcée par la terreur virale des gros yeux paniqués de Karim Leklou interprétant le rôle-titre, suggérant un hors-champ terrifiant, ce que les raccords regards, alternativement, confirmeront ou non. Il y a dans cette épouvante feutrée et absurde (aucune raison tangible ne semble expliquer les sautes d’humeurque subit frontalement le personnage), souvent placée hors des limites du cadre, une inquiétude tranchante qui n’est pas sans rappeler les tableaux d’Edward Hopper, peintre ayant passé tout son art à représenter une normalité viciée, perturbée de façon impalpable par ce que les toiles dissimulent, un art de l’«avant-quelque chose » que le regard de l’acteur de Vincent doit mourir incarne véritablement. Parfois saisissant par son non-sens brutal, et plus particulièrement dans l’assez formidable premier quart du film, ne cherchant d’abord aucune explication à l’acharnement et le déferlement de brutalité qui poursuit Vincent, le film de Castang ressemble tout autant à une épopée de poche en milieu hostile qu’à une relecture originale du cinéma d’infectés dont une incroyable scène de supermarché semble être une forme de paroxysme, ou encore à une sorte de geste carpenterien finalement assez réjouissant sous nos cieux hexagonaux sur la paranoïa que suscite le danger d’un monde qui ne semble plus lui-même (L’Antre de la folie [1994] est par ailleurs abondamment cité).

Chaos généralisé (K. Leklou) (©Capricci Films)

Dommage, cependant, que Castang teinte peu à peu son récit d’une explication quant à la violence que subit d’abord son personnage puis, peu à peu, l’ensemble de la population, mettant en scène un chaos généralisé qui semble oublier la belle panique nonsensique des débuts pour mieux entrer dans une démarche analytique presque trop rassurante (bien que sombre). Il s’avère frustrant que ce film à l’opacité réjouissante ne devienne une toute petite parabole politique un peu vaseuse sur l’ensauvagement de nos sociétés modernes, argumentée à grands renforts d’extraits d’émissions de radio privilégiant l’idéologie Sud Radio, relayant même dans une scène les propos de comptoir ultra-droitiers et sans nuances de la journaliste Elizabeth Lévy. Regrettable, oui, donc, que Vincent doit mourir n’ait pas eu la belle ambition de rester simplement le formidable gouffre kafkaïen qu’il arpente pendant une bonne partie de sa durée pour finalement aboutir à cette démarche finalement très française de vouloir à tout prix établir un constat social et/ou sociétal à partir d’un exercice de style qui n’en est donc plus vraiment un. Ceci agace d’autant plus lorsque ledit constat se révèle éminemment contestable.

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A propos de Michaël Delavaud

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