Couronné du césar 2021 du meilleur court-métrage, Qu’importe si les bêtes meurent est une superbe aux frontières du réel qui frappe à la fois par sa contemporanéité et ses attirances oniriques.

Deuxième court métrage de fiction de la cinéaste marocaine Sofia Alaoui, plein de mystère et de poésie, Qu’importe si les bêtes meurent, transporte par le climat qu’il installe, comme une étrange rencontre entre le cinéma naturaliste ethnographique et le fantastique. On y suit les traces d’Abdellah le berger, dans les montagnes de l’Atlas marocain, perpétuant la tradition que son père lui impose de s’occuper d’un troupeau de chèvres. Ce dernier lui ordonne de descendre en ville pour aller chercher de la nourriture, car les bêtes risquent de mourir. Et s’il songeait également à prendre femme ? Car il est en âge de se marier ! Mais en arrivant dans le village que tous ont déserté, Abdellah apprend du seul homme restant que d’étranges phénomènes venus du ciel ont troublé le calme et ont fait fuir les hommes, réfugiés désormais dans la mosquée… Et ses bêtes, comment les nourrira-t-il ? « Qu’importe si les bêtes meurent ! » lui rétorque-t-on.

L’argument et la mise en place du décor tiennent à la fois d’une approche très réaliste et de la structure du conte et de la quête. De fait, tout dans Qu’importe si les bêtes meurent est histoire de confrontation, de dualité. La cinéaste joue d’emblée très habilement sur les contrastes. Ainsi enchaîne-t-elle la première séquence montrant Abdellah discutant avec son père et s’occuper des bêtes au milieu de nulle part dans des montagnes hors du temps, par la vision du protagoniste consultant son portable, et rêvant de s’acheter un scooter. Ici les mondes ne cessent de se heurter, dans une impossible cohabitation. De manière très subtile elle évoque des doctrines religieuses qui mises en perspective avec une autre réalité l’identifient d’office à un danger, au diable, et la déclarent blasphématoire. Deux visions bien définies, l’une tournée vers le passé et l’autre vers une modernité incarnée par l’unique personnage féminin, refusant de se cacher, et affirmant que rien n’aurait pu arriver de meilleur dans son existence que cet événement, cette révolution : il existe donc autre chose.

Partant de l’inquiétante étrangeté pour aller quasiment vers le merveilleux, diffus, le fantastique constitue pour la cinéaste une porte vers l’évolution du regard, de la peur à la méditation, un nouveau monde qui éveillerait les hommes. On ne manquera pas de penser au singulier film de Clément Cogitore Ni le ciel, ni la terre, qui glissait du réalisme du film de guerre vers le surnaturel élémentaire et sans explication, mais Sofia Alaoui impose un univers intime à la fois saisi par la contemplation et une certaine inspiration du cinéma de genre, y compris le western. L’arrivée d’Abdellah, cet homme des hautes plaines marocaines dans la ville fantôme, rappellera celle de Clint Eastwood dans ses œuvres les plus flottantes.

Qu’importe si les bêtes meurent offre la fascinante beauté du non-dit, de la question, de la suggestion, celle qui propose au spectateur de se laisser aller, d’ouvrir les yeux sur les éléments. Aussi Abdellah reviendra sans doute métamorphosé de son bref voyage, entrevoyant un ciel différent de celui qu’on lui a enseigné. L’air de rien, avec cette œuvre toute simple, très épurée, Sofia Alaoui apporte un message spirituel et humaniste à contre-courant des dogmes, des superstitions… et des peurs. Et si ces possibles créatures venues d’un autre monde, en créant le chaos dans le ciel, envoyaient un signal contre la fureur humaine en invitant les individus à se libérer de leur jougs et de leurs préjugés, incitant l’œil à s’ouvrir enfin sur l’infinie splendeur de la voie lactée ?

 

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