Sidonie Perceval (Isabelle Huppert) se rend au Japon pour promouvoir la réédition de l’un ses plus beaux  textes. Dans ce pays insolite et mystérieux,  deux histoires d’amour lui ont donné rendez-vous. L’écrivaine va  tomber sous le charme de son dévoué éditeur, Kenji Mizoguchi (Tsuyoshi Ihara) et retrouver le fantôme de son facétieux et toujours passionné mari. L’aventure de Mme Muir (Joseph L. Mankiewicz 1948), Fantôme d’amour (Dino Risi, 1981), Always (Steven Spielberg, 1989)… l’amour plus fort que la mort s’est souvent dessiné sur nos écrans de la plus émouvante des manières. Comme inspiré par les atmosphères de Kiyoshi Kurosawa – on pense notamment à Vers l’autre rive de, 2015 -, qui privilégient les petits détails au spectaculaire, les doutes et les non-dits aux explications de texte,  Sidonie au Japon se vit comme un désarmant rêve éveillé, nimbé d’une élégiaque délicatesse. Toujours du côté du pays du soleil levant, mais hors des sentiers de l’étrange, Élise Girard partage avec Naomi Kwase le don de saisir avec une sincère modestie les émotions les plus infimes, les plus intimes. La simplicité comme mantra d’une mise en scène entièrement dédiée à l’écoute des moindres murmures, à l’observation des plus anodins  gestes de tendresse et de fragilité de ces deux amants qui ont encore tant d’amour à donner, tant de cœur pour l’accueillir en retour. Si, le plus souvent, un cadre sciemment épuré laisse toute la place aux émotions, la focale prend toujours soin de préserver une pudique distance. Lors de l’un des nombreux longs trajets en voiture, les sentiments exultent par l’entremise d’un  arrière-plan pictural, de magnifiques cerisiers en fleur. Et lorsque les barrières tombent et que la passion devient charnelle;  une magnifique scène d’amour célèbre la passion des deux amants : un doux enchainement de photogrammes saisis à la volée magnifient la volupté de ces corps qui se découvrent et retrouvent le chemin de la tendresse et du plaisir. De vibrants instantanées  comme autant d’empreintes sensorielles d’un moment unique , pour ce couple éphémère.

Les apparitions du fantôme, fort réussies car délicieusement naïves, renvoient à l’onirisme bien plus qu’au mystère. Fuir la réalité d’un monde sans relief, l’absence de passants, ou sa réduction à minima, dans les lieux habituellement bondés soulignent la déconnexion des personnages principaux  habitués à être paradoxalement coupés du monde ; seuls dans leur existence respective, alors que Kenzo est marié et que Sidonie se retrouve régulièrement au-devant de la scène de par ses succès littéraires. Ces deux fantômes en chair et en os vont donc accepter logiquement – non sans résistance pour Sidonie – la présence, visible ou invisible, du défunt mari. La tradition, la spiritualité japonaise accordant une place importante à l’âme des disparus, le voyage de Sidonie se mut en rite initiatique, pour emprunter le plus rassurant des chemins vers l’acceptation. Repartant seule et sans bagage du Japon, une nouvelle vie se présente désormais à elle.

L’humour pince sans rire désamorce tout potentiel effet de pesanteur. Contrapuntique, le burlesque parcimonieusement distillé nous ramène sur terre, dans la banalité d’un quotidien déréglé  par  le décalage des cultures. Dans l’atmosphère silencieuse et désertée, le moindre petit dérapage devient cocasse comme dans l’univers d’un Jacques Tati. Isabelle Huppert et Tsuyoshi Ihara en clowns tristes parés pour un dernier tour de piste, la finesse de leurs jeux; une forme de détachement jamais cynique, allège le poids du fardeau affectif  qui pèse sur les épaules fragiles de leurs personnages. De tendres mélodies accompagnent ce voluptueux et irréaliste voyage. Sept ans après Drôle d’oiseau (2017), Élise Girard nous fait de nouveau croire à l’improbable, on attend impatiemment une nouvelle destination.

Lire également l’interview que nous a accordé Élise Girard.

 

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A propos de Jean-Michel PIGNOL

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