Rocks, c’est le surnom de l’héroïne, solide comme un roc, une adolescente de 15 ans qui doit faire face à la disparition de sa mère, s’occuper de son petit frère et échapper à la traque des services sociaux. Heureusement, elle peut compter sur ses meilleures amies, toujours prêtes à l’épauler et à lui changer les idées. Qualifié de « Ken Loach au féminin », Rocks s’inscrit non seulement dans la tradition du réalisme social britannique, mais également dans une tendance actuelle des « films à héroïnes », qui mettent en avant des groupes de femmes/filles au charisme indéniable et au caractère bien trempé. « On se disait qu’il n’y avait pas beaucoup de films pour les jeunes femmes, sur des jeunes femmes », affirme la réalisatrice, Sarah Gavron, qui a déjà réalisé deux autres portraits de femmes plurielles et singulières avec Rendez-vous à Brick Lane et Les Suffragettes. Pourtant, de la Bande de filles de Céline Sciamma, aux Mignonnes de Maïmouna Doucouré, en passant par les Filles de joie de Frédéric Fonteyne et Anne Paulicevich, les bandes de filles occupent de plus en plus l’espace cinématographique. Souvent freinées dans leurs ambitions par leur condition de femmes, de mères ou d’épouses, ces héroïnes-là ont de la poigne, déterminées et toujours à la recherche d’espaces de liberté !

© Haut et Court

Un projet 100% féminin, donc, au point que l’équipe technique soit exclusivement composée de femmes. Partant d’une envie commune d’un film collaboratif, la réalisatrice et les deux scénaristes ont imaginé un scénario offrant une place centrale aux jeunes, associés à l’écriture et propice à l’improvisation. D’ateliers menés avec eux et d’un casting dans une école pour filles à Londres, ont émergé l’univers et les protagonistes d’un film perpétuellement en construction. Un procédé extrêmement efficace, tant les actrices (non professionnelles) semblent oublier la caméra, construisant leur histoire collective avec un naturel déconcertant. Les dialogues, la gestuelle, les rires, les disputes, les instants de bonheur, rien ne paraît calculé. Issues d’ethnies, de religions et de milieux différents, les six jeunes filles qui composent la bande s’intègrent chacune parfaitement au groupe, même si Bukky Bakray (Rocks) et Kosar Ali (Sumaya), copines dans la vraie vie, sortent un peu du lot, l’une pour son charme discret et énigmatique, l’autre pour son humour et sa spontanéité. Elles incarnent une génération à une époque et un lieu donnés, restituée dans la mise en scène par la présence à l’écran d’images filmées avec le téléphone, et dans la bande-son via les nombreux morceaux pop/dance/reggae/hip-hop.

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Malgré son sujet grave et son contexte, jamais le long-métrage ne se laisse enfermer dans les cases. Ni film de banlieue, ni drame social et familial fataliste, il adopte un ton nuancé, à l’image du parcours de la jeune femme, oscillant entre deux univers qui s’opposent. D’un côté, la cellule familiale, qui cristallise toutes les difficultés (le départ d’une mère dépressive récemment licenciée, les problèmes d’argent…), malgré une complicité frère/sœur à toute épreuve. Pour faire face, pas d’autre choix que de se montrer adulte, responsable. De l’autre, la sphère amicale, celle de l’extérieur, de la liberté et de l’insouciance. Une fois avec ses amies, dans la rue ou à l’école, Rocks redevient une adolescente de 15 ans, qui s’amuse, danse, rit, se chamaille et transgresse les règles. Véritables bouffées d’oxygène dans un univers pourtant oppressant, ces scènes, que l’on retrouve entre autres en ouverture et clôture, dégagent une énergie folle, servies par un montage dynamique et une caméra sans cesse en mouvement. Toujours justes, drôles, parfois plus graves et touchants, les dialogues y sont aussi pour beaucoup et les personnalités hautes en couleur s’affirment à travers les voix, le phrasé, les mimiques et les répliques cinglantes.

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Loin d’être un film sur le destin tragique d’une fille de banlieue, Rocks propose le parcours d’une battante qui affronte les difficultés en gardant son âme d’enfant. Même si la cinéaste n’élude pas la violence réelle (l’intervention des services sociaux, la scène de racisme ordinaire avec le réceptionniste de l’hôtel…) ou sous-jacente, elle l’éclipse toujours, laissant place à la légèreté et la solidarité. Aussi, l’obscurité des intérieurs (l’appartement, la chambre d’hôtel) disparaît au profit de la lumière, étincelante, qui sublime les visages, dans les scènes de groupe. Si la tentative de fuite vers un ailleurs plus doux, incarné par Roshe, cette nouvelle élève rebelle et libre, se solde par un échec, c’est que la solution se situe ailleurs, du côté des « vraies » amies. En témoigne la remarquable séquence finale, cette quête collective qui prend la forme d’un mini road-trip et n’apporte pas de conclusion mais abandonne le spectateur quelque part entre réjouissance et frustration.

 

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