Chartres, 1939. Lucienne, vendeuse à la librairie Gallimard à Paris rencontre, lors d’une visite de la cathédrale, Simon, dit Sim, étudiant américain.

Sim, Sim Copans. La voix du jazz, mais aussi le père de Richard Copans, grand nom du documentaire français, créateur des Films d’ici, qui entreprend de nous conter leur histoire. Celle de leur amour, découvert dans la correspondance enflammée qu’ils s’échangeaient alors, et dont l’ouverture de la boite qui la protège constitue le point de départ du film. Celle d’ « un » amour, sur fond de guerre d’Espagne, d’engagement pour le communisme et de débarquement sur les côtes normandes, et dont le cinéaste a confié l’histoire à l’écrivain Marie Nimier, lui demandant d’en imaginer le récit qui tisse la toile de fond de cette quête entre histoire et Histoire.

Se passant le relais dans un jeu de piste entre voix-off et voix du récit (dit par Dominique Blanc), ils composent une polyphonie qui accompagne photographies et archives personnelles de l’époque, tandis que le cinéaste s’aventure sur les traces de l’intime.

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Si la démarche est attirante, entre littérature et cinéma, on ne pourra dans un premier temps qu’être déstabilisé, voire vaguement ennuyé par la forme assez vieillotte de cette déclaration d’amour filiale. Caméra à la main, plans longs, « je » et musique de jazz : on est au cœur du documentaire de création tendance lourde, 90’s et Betacam-style.

Lui reprocher aussi la rigueur du dispositif, son systématisme de voix off et de parcours balisé (en 90 minutes, ne nous mentons pas, Richard C. ne découvrira rien de son histoire familiale qu’il ne savait au départ), étouffant a priori les rencontres successives qu’il aura sur son chemin, et qui ne nous « apprennent » jamais rien, ces pauvres hères semblant parfois plus manipulés que véritables vecteurs d’informations, le cinéaste assumant même ce rôle en montant quelques morceaux « off » de son propre dispositif filmique.

Mais c’est que leur rôle est tout autre, et voir le film comme un pur exercice de narcissisme familial, ou du moins uniquement comme tel (papa reste génial, et on est toujours plus facilement documentariste quand on a la chance d’avoir eu des parents communistes), serait faire gravement fausse route.

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Parti à la recherche des fantômes intimes, « un amour » s’invente réellement dans cette petite parenthèse qui conclut son titre, presque honteux : « (roman) », tout à la fois écrit et filmé. Face caméra en plan séquence, le cinéaste confie à chacun des anonymes pour quelques instants le rôle de narrateurs, les laissant lire un paragraphe ou deux du texte de Marie Nimier, recomposant les rôles des personnages du récit. Alors qu’ils avaient déjà passé une strate en devenant fiction écrite, ces mots deviennent les leurs, une visite de cathédrale aujourd’hui résonne avec celle d’il y a 70 ans. Le guide n’est plus le même mais qu’importe : on est au théâtre de la mémoire, où les inconnus deviennent acteurs.

Une rabbin à New York, un mariage à Paris 18, une libraire chez Gallimard : tous autant porte-voix aujourd’hui de ce qui fut hier. Dans ce vagabondage de l’histoire à l’Histoire, de ce côté-ci de l’Atlantique à l’autre, Copans trimballe sa caméra à la recherche des harmoniques d’une histoire familiale non pas disparue, mais perdues dans les limbes des souvenirs et du temps. Son horizon, ce n’est pas le vrai, encore moins les faits, mais la capacité qu’a une histoire de continuer à vivre, de se propager, se reconfigurer dans le présent : de résonner.

Dans ces hiatus en mineur de gestes, de rites, de lieux, se niche la plus touchante expérience du film, l’ouvrant à l’universel.

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Car ce qui court, des témoignages au roman, du film d’aujourd’hui aux archives papier d’hier, c’est avant tout mettre en scène pour éprouver humblement les potentialités d’un récit. Et si un jeune couple se regarde dans la chambre de bonne qui fut celle des parents du cinéaste, guidé par sa voix, qu’ils n’ont que 15 ans et n’ont jamais connu la guerre ni même les Copans, peu importe : le film, faire film s’évanouit quand on arrête de fantasmer et de « mettre en scène ».

Un peu trop bordé et maitrisé pour être vraiment abouti, mais trop humble pour être malhonnête, cet objet touchant porte son beau combat : puisque dans la vraie vie, « le roman laisse place aux souvenirs », puisque tout le reste a disparu, à nous de réinvestir et réinventer. « Un » amour, parmi d’autres. A chacun son histoire, à chacun son Histoire : charge à nous de rechercher comment les raconter. Mentir vrai, tant qu’on le fait avec honnêteté et amour.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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