Le septième long métrage de Rabah Ameur-Zaïmeche (appelons-le RAZ pour plus de commodité), Le Gang des Bois du Temple, est un film de cité. Non pas de banlieue mais bien de cité, filmant moins la détresse sociale des habitants, les trafics en tous genres, les violences urbaines que la quiétude du lieu et le vivre-ensemble de la communauté qui y est installée. La démarche, prenant le contrepied de la représentation habituelle et caricaturale faite de chaos et de sang, est très belle sur le papier mais la mise en œuvre de cette visée fédératrice semble être dans un premier temps un semi-échec, faisant de la cité un lieu sans jeunesse (tous les personnages du film, sans exception, sont trentenaires ou quadragénaires), un lieu composite donnant le nom d’un quartier de Clichy-sous-Bois (les Bois du Temple, donc) à un autre quartier marseillais filmé en partie dans la préfecture des Bouches-du-Rhône et dans la couronne bordelaise, comme si le cinéaste ancrait moins son récit dans la cité qu’il filme que dans une certaine idée de la cité, plus universelle. Si la représentation réjouit par sa volonté de redonner un lustre à l’image des banlieues et des citoyens qui y vivent hors des canons de laideur prônés par les chaînes d’info en continu, elle s’avère finalement trop angélique, presque fantasmée. Mais est-ce le réalisme qui intéresse ici RAZ, faisant de la peinture de cette tranquille communauté le socle d’un récit et d’un regard sur le monde bien plus sombres ?

La quiétude de la vie de la cité (P. Petit ; R. Laroche… )(©Les Alchimistes)

Si les Bois du Temple sont un endroit paisible, ils abritent une violence en germe. Le titre Le Gang des Bois du Temple ne ment pas : le long métrage est bel et bien une sorte de série noire dont l’intérêt repose entièrement sur une alternance de moments de latence et d’explosions de violence promptes à rompre l’harmonie mise en place durant toute la première partie du film. Le gang est composé de six habitants du quartier, amicaux, chaleureux, aimants avec les leurs mais préparant en parallèle un gros coup : attaquer et voler la voiture d’un prince arabe en villégiature dans la région afin de lui dérober l’argent et les bijoux qu’il convoie. Le braquage est un succès mais au sein des diverses mallettes que transporte le véhicule s’en trouve une contenant des documents sensibles, donc dangereux ; le prince (Mohamed Aroussi) dépêche alors un détective privé, Jim (Slimane Dazi), afin de retrouver les membres du gang et de leur faire la peau.

Minutieusement bâti, le film de RAZ donne dans un premier temps la part belle à la description de la vie quotidienne des divers protagonistes de l’histoire : Bébé (Philippe Petit), gentil homme un peu louche aimant sa femme Linda (Marie Loustalot) et ses enfants et traînant ses guêtres dans un garage aux abords de la cité, endroit où se prépare le car jacking ; Mouss (Kenji Meunier), jeune homme calme sur le point de se marier et faisant du vol une façon d’arriver à combler aisément sa future épouse ; Pons (Régis Laroche), ancien tireur d’élite vétéran des conflits impliquant la France lors des trente dernières années, ne cherchant rien d’autre que la paix après les obsèques de sa mère et côtoyant avec un mélange de chaleur et de timidité cette petite bande de marlous. Insistant sur les moments de vie de famille, sur les discussions entre amis, sur les instants de camaraderie au PMU du quartier ou sur les obsèques de la mère de Pons (la séquence, assez longue, émeut par sa profonde humilité), la mise en scène d’Ameur-Zaïmeche se fait intimiste, peinture d’un havre de paix presque anti-dramatique, si parfait qu’il en deviendrait trop lisse. Si le film montre vite le vol du véhicule du prince, ce qui environne la scène montre des protagonistes tellement ancrés dans un quotidien sans péripétie ni arrogance, sans luxe ni violence qu’on ne peut envisager la moindre antipathie à leur égard, presque pris au dépourvu de leur coup que nous sommes. Le danger se situe en fin de compte du côté des victimes du vol, menace due à leur position sociale, au pouvoir de nuisance dont elles sont capables et à l’allégeance qu’elles obtiennent de leurs sujets. Nous voyons la mitoyenneté de deux mondes antagonistes : d’un côté les petites gouapes banlieusardes qui, dans le fond, ne feraient pas de mal à une mouche, et de l’autre un pouvoir monarchique (donc autocratique, par essence) ne supportant pas l’affront et capable de tout pour laver le déshonneur.

Figure du pouvoir (M. Aroussi) (©Les Alchimistes)

La vision du monde du Gang des Bois du Temple semble donc éminemment sociale, désespérément sans appel, évacuant une pensée plus ou moins loachienne qui a bien vécu : ici, lorsque les classes populaires se rebellent contre les détenteurs des pouvoirs et richesses, ces derniers se rebellent à leur tour pour mieux asservir et bâillonner leurs opposants. De ce point de vue, le déferlement de brutalité s’exerçant dans le dernier tiers du long métrage n’est pas sans être profondément sombre, annihilant tous les efforts du récit pour faire de la cité des Bois du Temple une sorte de village protégé des assauts du monde, rompant les barrières finalement fragiles séparant un idéal communautaire de l’état de chaos (qui ne se trouve pas dans les cités, donc : le retournement des valeurs n’est pas sans saveur) caractérisant le réel contemporain, dont les tenants eux-mêmes semblent vouloir s’émanciper (la séquence effarante du prince débarquant comme un quidam moyen dans une soirée en boîte de nuit). Bien que le film de RAZ soit très différent, le discours sur un monde protégé et émancipé du réel pour s’en protéger et voyant le contemporain revenir à la charge n’est pas sans rappeler la trame d’un film comme Le Village, Rabah Ameur-Zaïmeche, cinéaste taillant dans le vif et refusant le gras, retirant cependant tout le romanesque du film de M. Night Shyamalan, ainsi que ses relents réactionnaires.

La chute d’une utopie (©Les Alchimistes)

Le personnage de Pons s’avère le personnage capital de ce récit, sanglant sans prévenir. Ancien guerrier retiré des atrocités dans une cité dans laquelle il avait trouvé la paix, il se voit obligé de replonger dans ses talents passés (l’assassinat asséné sans trembler par le tireur d’élite) quand le conflit vient à lui, protagoniste placide mais semblant polariser la violence du monde. Invisible tant en paix (il est presque transparent au sein de la cité) qu’en temps de guerre, Pons contient en lui, comme un concept, tout le discours d’un film sobrement désespéré : il a beau vouloir vivre de façon paisible, comme la cité voudrait instaurer un climat de quiétude, la brutalité triomphe toujours, souillant de ses grosses mains sales toutes les tentatives de bien-être. La peinture de la cité qui semblait caricaturale est donc moins description que nostalgie des banlieues dans lesquelles RAZ a pu grandir et qui comportait dans leur ADN le vivre-ensemble ici palpable ; la vie quotidienne telle qu’elle est montrée est moins lisseté que représentation d’un idéal. Par sa construction remarquable, par les tristes et belles ambivalences de ses personnages, par l’effondrement des valeurs qu’il provoque méticuleusement, à l’instar du précédent film de son auteur (Terminal Sud, 2019), Le Gang des Bois du Temple ne fait ni plus ni moins que filmer la chute cruelle d’une utopie politique, au sens étymologique du terme.

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A propos de Michaël Delavaud

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