Pascal Catheland, Arthur Perole / Camille Froidevaux-Metterie : « Rêves » / « Les petits mâles »

J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. Tout menace de ruine un jeune homme : l’amour, les idées, la perte de sa famille, l’entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie dans le monde.

écrit Paul Nizan dans Aden Arabie (1931).

Il avait 26 ans lorsque le livre est sorti. Il est rare de témoigner de sa propre adolescence au moment où elle est vécue et c’est avec un regard d’adulte que les artistes s’y replonge ou donnent à voir celle des autres, rendant périlleux la capacité d’en capter l’essence. L’autre difficulté, sociétale cette fois, est de définir le cadre de la  jeunesse. Selon David Le Breton :

L’adolescence dépend de la manière dont un collectif perçoit le jeune lors de sa maturation sexuelle et de son entrée progressive dans les responsabilités inhérentes aux adultes de son groupe. Seuls existent des jeunes à travers la singularité de leur histoire à l’intérieur d’une condition sociale et culturelle, un sexe et une constellation affective.

L’observateur transforme donc inévitablement le sujet observé. Dans le cadre des films documentaires, le jeune pourra être filmé et interrogé face caméra, dans un décor plus ou moins neutre, pour mettre l’accent sur une parole donnée à titre d’exemplarité ou filmé dans son milieu social, en interaction avec sa famille et ses amis, pour contextualiser cette parole. Les deux méthodes peuvent être mêlées, voire comporter une part de fictionnalisation afin de transformer le jeune en véritable personnage et sublimer sa condition. C’est le cas du fantastique Swagger d’Olivier Babinet, tourné dans un collège d’Aulnay-Sous-Bois, où des ados aux personnalités singulières, étonnantes et flamboyantes, alternent entretiens et fantasmes mis en scène. La vie dans la cité se plie alors à leurs imaginaires qui nous frayent un chemin vers leur intériorité.

Le réalisateur porte de façon plus ou moins prégnante un regard d’adulte marqué par sa propre culture. C’est le cas du documentaire de Jean-Gabriel Périot, Nos défaites, qui filme des lycéens à Ivry-sur-Seine avec une alternance de reconstitutions de scènes de films militants des années 1960 et d’entretiens montrant le manque de connaissance théorique des lycéens. Le montage souligne le contraste jusqu’à causer l’embarras du spectateur face à cette démonstration dont les jeunes semblent cobayes. Ces lacunes sont d’ailleurs contredites par l’engagement collectif des lycéens contre la garde-à-vue d’un de leurs camarades à la fin du documentaire. Quelle impression aurions-nous gardée de cette jeunesse ignorante si cette conclusion, arrivée à postériori du tournage, n’avait pas eu lieu ?

Notons deux pépites qui parviennent à contrevenir au temps du cinéma en rendant compte de la transformation physique de la jeunesse sur la durée : le film de fiction Boyhood de Richard Linklater (filmé sur 12 ans, de 6 ans à 18 ans) et le documentaire Adolescentes de Sébastien Lifshitz (filmé sur 5 ans, de 13 à 18 ans). Ces expériences offrent un condensé vertigineux d’une éclosion d’adulte, bourgeons filmés en accéléré vers la floraison.

 

Rêves

Des adolescents tournés vers l’aube sur un bloc de béton dans la campagne. Puis des formes géométriques familières, un collège vide dont les lignes au sol indiquent une drôle de chorégraphie, elle aussi issue de nos souvenirs : la signalétique période covid.  A l’intérieur, devant un mur blanc, ces mêmes adolescents reçoivent les consignes du réalisateur, Pascal Catheland, et tombent le masque, face caméra.

Rêves

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Rêves est une mini-série en 4 épisodes de 25 min (« Mad World », « Story privée », « Comme un adulte » et « En transe ») qui recueille la parole de 17 ados d’un collège du Var. Des mots mais aussi des corps mis en mouvement par Arthur Perole (danseur et chorégraphe).

Rêves : Photo

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Les épisodes les plus réussis du documentaire sont ceux du début et de la fin, où la mise en scène est la plus développée, en toute modestie (nous sommes loin dans la créativité de Swagger) mais avec une certaine poésie, frôlant (trop) timidement le fantastique un bref instant. Les épisodes 3 et 4 tiennent surtout au plaisir d’entendre ces confidences spontanées où transparaissent la relation de confiance et la complicité avec le réalisateur. Le cadre serré focalise notre attention sur leurs visages et leurs regards dans lesquels pointent l’enfant qui se transforme et l’adulte en devenir. Nous devenons familiers d’un duvet de moustache rasé ou de cheveux teints. Les témoignages sont entrecoupés de scènes de la vie « collégiale » dont les plus belles sont presque muettes, comme celle d’un scooter partagé après une cigarette (avec inversion des rôles !) laissant transparaitre une intimité propre à ces années.

« Mad world », premier épisode, est percutant de noirceur, d’après la chanson de Tears for Fears dont les paroles funèbres reprennent le titre du film « The dreams in which I’m dying / Are the best I’ve ever had ». Les adolescents égrènent de façon assez détachée, jusqu’à la drôlerie, leurs craintes liées à leur environnement futur. Ecologie, inégalités, guerre, nouvelles technologies : une liste de nos vraies défaites à laisser un monde porteur d’espoir. Ces confidences sont d’autant plus troublantes que plusieurs se réfère à la jeunesse de leurs parents comme un ilot de liberté et de vraie sociabilité. Seule issue : « Avoir de plus grandes ambitions, de plus grands rêves ».

Rêves

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« En transe » clôt le film en beauté, ou presque… Au jeu de la description physique, tous pointent un complexe. Visage, poitrine, cuisses, pieds : véritable cartographie du corps en transformation. Pour définir le mot transe, c’est d’ailleurs ce terme qui revient en boucle, transe, trans, transformation. Les changements physiques propres à l’adolescence intègrent désormais le changement de genre sans que cela leur pose question. Laboratoire d’un être en devenir, « l’adolescence sert à se créer une personnalité ».

Rêves

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Cette dernière partie est portée par la musique électronique de Giani Caserotto où le beat vient rythmer leurs paroles et leurs danses d’abord solitaires et retenues puis réunies en extérieur. Le crescendo final peine à prendre, comme si la parole lestait le mouvement, et la vision de leurs corps en joie, entre chien et loup, n’en est que plus attendue pour une transformation collective et sans masques.es.

 

Les petits mâles

Laurent Metterie interroge quant à lui Les petits mâles de notre époque, 23 garçons de 7 à 18 ans, sur des thématiques propices à l’interrogation de la masculinité. Il avait déjà travaillé sur Les mâles du siècle (2021) conçu et réalisé avec Camille Froidevaux-Metterie (ici conseillère scientifique) sur l’héritage des luttes féministes avec le constat d’un sexisme marqué chez les hommes de 17 à 96 ans.

La mise en scène est rudimentaire. Ici, c’est le propos qui compte. Les décors sont interchangeables (parfois le même pour deux participants) et accessoirisés (un skate en évidence, des revues bien rangées en éventail). Le milieu social n’est pas explicite, si ce n’est une croix sur le mur d’une chambre, mais le bagage culturel se devine dans les paroles les plus construites. La posture des jeunes garçons n’est pas totalement détendue et les mains se tordent parfois de gêne (ou de crainte de donner une mauvaise réponse ?).  La décontraction est moins visible que dans Rêves malgré des sujets communs abordés. Le temps imparti à chaque thématique (12 sur 1 h 13) semble limiter le partage d’expériences plus personnelles qui sont les plus intéressantes. L’éducation semble être le propos et la visée de ce documentaire militant, propice à être projeté dans des classes.

Les Petits mâles : Photo

Copyright Lam produxion

L’attribut de « mâle » dans un contexte féministe nous renvoie à cette définition glorieuse du Larousse d’homme « vigoureux, moralement ou physiquement, en particulier caractérisé par la puissance sexuelle ». Ici, notre attente est déjouée face à ces jeunes garçons qui balaient les stéréotypes avec un discours largement tolérant. Une hésitation filtre d’un jeune garçon qui n’est « pas fan » de la transidentité mais l’origine du « mâle » n’est pas dans ces jeunes pousses biberonnées au féminisme. « C’est les choses de la vie, il faut les apprendre », dit l’un d’eux en parlant de la menstruation.

Les Petits mâles : Photo

Copyright Lam produxion

Où alors ? Les adolescents interrogés montrent également une sensibilisation aux stéréotypes par l’éducation (« On l’a vu dans le cours SES ») ou les fréquentations (amis trans, queer, homo et pansexuels). Les propos restent mesurés en contraste avec les résultats du baromètre sexisme Viavoice où la perception des inégalités et des situations sexistes par les hommes est encore faible. Par exemple, seuls 48 % des hommes entre 15 et 34 ans considèrent que l’image des femmes véhiculées par les contenus pornographiques est problématique. Les ados du film, consommateurs de pornos, vont dans ce sens mais évoquent aussi l’ouverture d’esprit de cette génération.

De l’autre côté du prisme, nous entendons les témoignages cette fois très personnels de femmes âgées de 72 à 89 ans. Elles ont subi le sexisme (et le reprennent parfois à leur compte) mais ont pris conscience de la nécessité de s’affirmer tout au long de leurs vies. Certes, leur participation rend compte des évolutions sociétales mais il aurait été intéressant d’avoir des témoignages des jeunes filles sur leurs expériences du sexisme en contrepoint du « déclaratif » des jeunes garçons.

Les Petits mâles : Photo

Copyright Lam produxion

Mais le propos le plus fort du documentaire réside dans ses interludes, embryon de film dans le film : les instantanés d’archives familiales du réalisateur qui le montrent vers 3-4 ans, coupe de cheveux androgyne, dans des situations stéréotypées dont certaines semblent aujourd’hui choquantes, comme boire de l’alcool ou regarder des revues pornographiques. Ces saynètes filmées dans l’insouciance joyeuse d’une autre époque condensent à la fois les injonctions à être un homme dès le plus jeune âge et l’esprit soixante-huitard de la libération sexuelle. Un hommage est rendu à l’oncle du réalisateur qui s’est suicidé en raison de son homosexualité. Ce parcours d’homme « déconstruit » serait passionnant à connaitre, à l’instar du livre de Ivan Jablonka Un garçon comme vous et moi qui décrit l’expérience d’être « élevé comme un garçon, c’est-à-dire pas-comme-une-fille » et dont le premier chapitre s’intitule : « Je ne suis pas un mâle ! »

 

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A propos de Sandra Blachon

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