Oliver Hermanus – « Moffie »

En afrikaans, « moffie » désigne péjorativement les homosexuels. C’est la marque d’une honte dont il faut se purifier, et c’est précisément ce mot qu’Oliver Hermanus choisit pour intituler son quatrième long-métrage, racontant la fin des illusions d’un adolescent blanc sud-africain au début des années 80. En 1981, Nicholas, comme tous les jeunes blancs de son âge, est dans l’obligation d’effectuer son service militaire pendant 24 mois. Dans le Sud de l’Angola, au sein de la South African Defence Force, il fait l’apprentissage d’une chasse aux sorcières noires ou communistes, sous le joug d’une propagande d’État incompatible avec ses valeurs. La haine et la discrimination sont inculquées en norme non-négociable, tandis que Nicholas développe des sentiments pour un autre soldat bientôt transféré dans un service psychiatrique réservé aux thérapies des sexualités « contre-nature ». Le réalisateur souligne le territoire de nocivité de l’apartheid jusque chez les jeunes hommes blancs, qui souffrent encore aujourd’hui de séquelles néfastes.

Moffie

Moffie – Copyright Outplay

Dans cette adaptation des mémoires d’André-Carl van der Merwe, Oliver Hermanus fait parler les visages visibles et silencieux. L’élégance de la mise en scène tient à cette lecture des traits et mimiques comme dans un livre ouvert, donnant davantage à percer la psychologie que des schémas émotionnels traditionnels. On aperçoit les yeux douter et les bouches éluder, gardant bien scellées les pensées des personnages auprès de leur entourage. Les jardins secrets psychologiques se cultivent patiemment, grâce à des moments de respiration entrecoupant les scènes collectives (entraînement, soirées, champ de bataille). Contrairement aux films de guerre traditionnels, où la « meute » prend le dessus sur les destins individuels, Moffie se tourne vers ces instants solidaires ou juste à soi, propices aux confidences indirectes entre enrôlés. L’armée n’est pas que cette aventure collective idéologique, mais également ces instants furtifs qui font survivre par la foi qu’ils permettent de véhiculer. La singularité de chacun fait tenir le coup.

Moffie

Moffie – Copyright Outplay

Le long-métrage est d’ailleurs beaucoup plus réussi lorsqu’il s’éloigne des standards du film de guerre. Le fil rouge de la masculinité toxique se déroule plutôt subtilement jusqu’à ce que l’histoire prenne le tournant du « film de cause ». Les gros sabots des plans homoérotiques sur les torses nus, des souvenirs d’enfance ou des scènes aux propos homophobes dénotent un peu avec le procédé très convaincant utilisé jusqu’alors. On regrette ces versants stéréotypés, qui font revenir l’esthétique à une évidence trop marquée. Le passage d’un point de vue externe à un point de vue presque subjectif amenuise ainsi l’impact des images, rendant la confusion des Nicholas moins complexe, moins proche du spectateur. Le message imposé fait de l’ombre à la découverte des parcours des jeunes hommes en environnement hostile. Il n’empêche que le réalisateur dépeint à petits pas assurés les vertus d’une bromance sans lendemain et d‘une romance à distance, ainsi que l’étau destructeur de l’administration jusque dans les rangs de l’armée.

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A propos de Thibault Vicq

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