Maryam Touzani – « Le Bleu du Caftan »

Après Adam (2020), un premier long métrage déjà impressionnant par sa maîtrise et sa pudeur, Maryam Touzani nous revient avec Le Bleu du Caftan œuvre saisissante et bouleversante, rare expérience cinématographique dont il est difficile de sortir indemne.

La force du film repose en grande partie sur la construction de personnages riches et denses dont la complexité se révèle par petites touches.

Celui de Mina, épouse de Halim, qui nous apparaît d’abord sèche et autoritaire. Il est essentiel de souligner ici l’impressionnante interprétation de Lubna Azabal tout en justesse et en retenue qui semble (comme son personnage qui porte l’atelier de couture de caftans) porter physiquement et symboliquement le film. Comme une courroi de transmission, elle est à la fois, celle qui aide à transmettre ce métier artisanal en perdition et celle qui permet et autorise l’éclosion de l’amour. Le film semble ainsi épouser le point de vue de Mina qui nous apparaît, au départ, comme une observatrice guettant l’histoire d’amour naissante entre les deux hommes.

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Copyright Les Films du Nouveau Monde/Ali n Productions/Velvet Films/Snowglobe

L’autre tour de force du film est d’allier la pudeur à l’incarnation réelle et physique des personnages et des relations d’interdépendances qui se tissent entre eux. La cinéaste n’hésite pas à filmer les corps dans tous leurs états, du corps assoiffé d’amour au corps meurtri et amoindri par la maladie, autorisant ainsi une identification réelle à leur cheminement : tel ce point de bascule dans le récit où Mina, femme de poigne, se révèle être aussi rebelle que transgressive. Elle ose, accompagnée de son mari, une intrusion, dans un café, territoire masculin par excellence.

Cheveux lâchés, Mina entame sa mue.

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Toute la mélancolie et la détresse de Halim (magnifique Saleh Bakri) transparaît alors dans ce plan où il avance seul dans la ville, le regard soucieux et hagard. La lourdeur et la fatalité du poids qui l’habite se révèle dans la lenteur du rythme et dans la force des silences. Le couple Mina/ Halim fonctionne comme un vase communiquant. La culpabilité de l’un semble ronger la peau de l’autre et l’amour demeure interdit : scène bouleversante où Halim, avec son regard vert eau empli d’humanité, se refuse à Youssef et verse les larmes de l’impossible amour.

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Copyright Les Films du Nouveau Monde/Ali n Productions/Velvet Films/Snowglobe

Plus qu’un film sur les amours illicites en terre maghrébine, Le Bleu du Caftan déploie toute sa puissance et se révèle être une vraie leçon d’Apprentissage de l’Amour : aimer c’est aussi accepter de laisser partir l’être adoré et chéri. Par douceur impressionniste, la caméra saisit avec une rare délicatesse la volupté des tissus, manière subtile de révéler autant l’amour naissant que l’interdit qui l’habite.Mais à l’heure où Mina s’autorise à lâcher prise, le trio trouve une douce harmonie, ouvrant une brèche et forçant subrepticement les verrous des barrières autant psychologiques que sociales.

Et c’est ainsi que, devant l’ultimatum de notre finitude, les cœurs et les corps opèrent une éclosion, bouleversant sur leur passage tous les interdits.

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A propos de Emna Mrabet

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