My Favorite War s’ouvre sur ces mots :

Un dicton dit : « Heureux sont ceux qui n’ont pas à faire de choix. En grandissant j’ai essayé de comprendre si cela pouvait être le cas. Car j’ai grandi dans le pays soi-disant le plus heureux de la planète. Et tous les choix ont été fait à ma place.

La narratrice est aussi la réalisatrice. Ilze Burkovska Jacobsen revient sur son enfance en Lettonie soviétique ; elle retrace son trajet sur près de 20 ans, de la petite enfance à son entrée dans l’âge adulte, en pleine guerre froide, dans un pays où l’endoctrinement, véritable sport national, a pour vocation de museler une population entraînée tout au long de la scolarité à maîtriser les armes à feu. L’équation élève = soldat n’a rien de caricatural, elle révèle l’absurdité et l’inhumanité d’une société totalitaire.

My Favorite War

Copyright Destiny Films

Le vrai visage du régime « soviétique », au fil des gouvernements en place, asservis par la « nomenklatura », est décrit avec précision et effroi sous la forme d’un témoignage poignant de la cinéaste, qui évite toute tentative d’édulcoration en dépit d’un dispositif surprenant. En amont, elle s’est retrouvée « piégée » par son sujet puisqu’il n’existe pas d’archives ou d’images démontrant, en toute objectivité, ses propos et sa vision intime de la vie en Russie dans les années 70/80. Afin de contourner la fiction sans s’y soustraire totalement, elle emprunte une voie qui a fait ses preuves de L’image manquante de Rithy Pahn à Valse avec Bachir de Ari Folman, le documentaire d’animation, un procédé qui peut s’offrir des libertés narratives et esthétiques, là où une reconstitution historique se retrouve phagocytée par des contraintes, à commencer par les évènements factuels qui ne possèderont jamais la véracité d’une image d’archive ou d’un témoignage filmé.

Le recours au dessin animé traditionnel s’avère à la fois original et malin, se frayant une visée plus pédagogique que didactique. Pédagogique car attractif pour un public néophyte, à commencer par le jeune public auquel le film est en parti destiné. Aussi effrayant et édifiant soit-il, My Favorite War privilégie l’expérience intime, n’étant jamais figé dans sa critique virulente d’un système ultra autoritaire qui présente des similitudes avec l’actualité récente. Les dessins, réalisés par Svein Nyhus, illustrateur jeunesse renommé en Norvège, possèdent une étrangeté, mélange de froideur et de douceur, avec des personnages aux expressions tristes et finalement inquiétantes. Conçus par l’artiste Laima Puntule, les décors, baignent dans une atmosphère sombre et grisâtre en adéquation avec une animation statique qui convient à merveille au sujet. Les scènes de groupe à l’école, notamment lorsque les personnages se déplacent comme des automates font froid dans le dos et traduisent de manière frappante le concept même de régime totalitaire. L’emploi de l’anglais n’a rien d’opportuniste ; par sa mise à distance volontariste, il justifie le caractère universaliste du propos.

My Favorite War

Copyright Destiny Films

La grande histoire est combinée avec les souvenirs familiaux de Ilde qui évoque la figure résistante de son grand-père et la soumission – apparente car obligatoire- de ses parents, membres du parti communiste. Mais surtout, elle relate ses années d’apprentissage à l’issue desquelles elle se libèrera d’une idéologie guerrière, isolée du reste du monde pour aiguiser son sens critique, sa volonté de s’en sortir pour devenir une journaliste affranchie de la pensée belliqueuse de la Russie.

My Favorite War, à travers l’autoportrait d’une « combattante « pour la paix et la liberté, est un beau documentaire sur l’histoire de la Lettonie, dont nous ne connaissons que très peu de « faits » par manque d’informations, occultés par une propagande qui a merveilleusement fonctionné pendant très longtemps. Un témoignage indispensable, dominé par une esthétique séduisante et cohérente, qui pourrait sensibiliser un large public si le film bénéficiait d’une diffusion plus ample. Ce qu’il mérite amplement.

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Emmanuel Le Gagne

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.