Ilan Klipper – « Le processus de paix»

Au bout de dix ans de mariage, Marie (Camille Chamoux) et Simon (Damien Bonnard) ne s’entendent même plus crier dans leur ménage. Ils décident alors de mettre en place une charte Universelle des droits du couple pour éviter l’implosion. Après deux documentaires, Funambules (2022) et Soigner à tout prix (2023), Ilan Klipper  revient sur le terrain fictionnel avec Le processus de paix. Où commence la folie ? Dans une société totalement névrosée, la folie n’est-elle pas l’unique moyen de garder un minimum de lucidité ? Inépuisables apories que Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête (2017) porta avec bonheur jusqu’à ébullition. Si dans ce précèdent long métrage, Klipper effectuait un subtil numéro de funambule, laissant en permanence planer le doute sur l’état mental de son personnage principal, son Processus de paix se révèle plus terre à terre. En effet, si ici on se traite de fou à peine qu’on se traite, c’est le plus souvent en pleine conscience des choses. Tel  Simon qui cherche à réconcilier sa sœur et son beau-frère : « Vous vous entendez très, très bien dans votre folie». Ou comme Marie, obligée de «disjoncter » régulièrement pour faire entendre sa voix au sein de la chaîne de radio conformiste et machiste où elle officie. Par conséquent, les dérèglements comportementaux des personnages reposent davantage sur la recherche d’effets  comiques plutôt  que sur des aspirations réflexives.

Que ce soit dans l’intimité désorganisée et cradingue du foyer ou dans les cadres plus larges et feutrés des relations professionnelles et sociales, les occasions « d’envoyer du lourd » ne manquent pas. Provocations, vannes graveleuses, situations scabreuses, l’efficacité des gags ne fait cependant pas oublier une certaine impression de déjà- vu, Judd Apatow étant passé par là depuis un certain temps. De plus, on regrettera l’arrêt en si bon chemin de certaines dérives comme celle de la soirée dansante. Des réactionnaires convaincus aux jeunes bobos bien-pensants, en passant par les soixante-huitards constamment débordés  sur leur gauche, tous ces archétypes en prennent joyeusement pour leur grade ; mais la satire de notre monde moderne reste relativement sage, à l’exception du périlleux et délirant parallèle entre le conflit Israélo-Palestinien et la relation de couple, auquel se livre Simon. Mais, pour notre plus grand plaisir, et là réside toute la singularité de la Klipper Touch, la mécanique comique fonctionne d’autant mieux qu’elle tend à se dérégler et à se renouveler sans sommation. La névrose des personnages menace à tout moment l’équilibre précaire du quotidien. Les bonnes intentions peuvent rapidement dégrader une situation, au même titre qu’une tempête d’invectives peut circonscrire un incendie. Durée imprévisible des scènes, cadrages improvisés, la mise en scène bricole avec bonheur pour tenter de suivre le bouillonnement permanent qui agite les protagonistes. Les promesses de  paix volent rapidement en éclat,  La Charte annoncée comme le sujet du film ne l’est heureusement pas. À l’instar du petit détour religieux de Simon, plus la boussole est dérèglée plus le cap de la comédie est savamment maintenu.

Plongés dans une telle cocotte-minute, les comédiens doivent impérieusement suivre le tempo. Dans les rôles secondaires, Ariane Ascaride fait de son mieux pour paraître moins sentencieuse et plus naturelle qu’à son habitude, les trop brèves apparitions de Laurent Poitrenaux sont autant de moments savoureux, et Jeanne Balibar, distinguée et doucereuse, irradie l’écran de sa sensualité singulière. Dans le couple vedette, Camille Chamoux enrichit son tempérament comique d’une sensibilité jamais appuyée. Damien Bonnard plane littéralement au-dessus de tout et de tous. Capable de passer dans un éclair de la lucidité au désarroi, de la compassion au mépris, il joue aussi bien de son corps parfois encombrant que de son regard déconcertant. Il contribue grandement à la folie salutaire de cette comédie pétaradante à souhait.

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A propos de Jean-Michel PIGNOL

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