Gaël Métroz – "Sâdhu"

Limpide et frontal, Sâdhu propose un parcours initiatique au spectateur, dont il sortira réjoui, s’il accepte de suivre le sage en faisant sien l’adage « Ce qui compte c’est le chemin, pas le but ». Amateurs de « scoops », rebroussez route. Ici, point de sensationnel, mais des sensations. De l’intérieur. 

Avec son deuxième long-métrage documentaire, Sâdhu, le jeune cinéaste suisse propose à nouveau une immersion totale dans des cultures orientales. On le découvrait avec Nomadsland où le temps d‘une année, il revisitait, cinq décennies plus tard, le parcours de l’écrivain Nicolas Bouvier sur les routes de la soie.  Durant les six ans où il a voyagé avant et pendant ce premier film, il a rencontré  de nombreux sages en Inde et au Népal. Certains font de brèves apparitions dans Nomadsland. C’est au moment de sa post-production, que Métroz acquière la conviction qu’il veut pousser plus loin son investigation. Au bout de plusieurs mois de recherches, il rencontre Suraj Baba. « En doutant même de son statut de saint homme, il est devenu pour moi le vrai sage. Un homme en quête ». Les premières (belles) images  nous présentent Suraj Baba méditant près d’une source montagneuse à Gangroti, là où il vit en ermite depuis huit ans. La caméra recule lentement, jusqu’à ce que les paysages spectaculaires prennent le dessus, renvoyant l’homme à sa petitesse et à son humilité. Les pensées du sages affluent, à l’image du flux torrentiel ; il annonce tout de go : « je suis indécis et confus ». Dans l’hindouisme, l’eau est la source originelle de toute vie. Vivre auprès du Gange est censé nous purifier. La région de Gangroti est particulièrement sacrée : c’est ici que le Gange aurait touché le sol de la planète terre. A l’instar du quotidien lent et ritualisé de notre héros,  la caméra de Métroz (qui signe aussi la photo et le son du film) prend le temps de suivre Suraj dans son quotidien, fait de méditations, d’ablutions, confirmant au passage le lien que le réalisateur a su tisser avec lui, en vivant dans la grotte voisine, semblable à son abri sommaire, et l‘aidant à la plupart de ses taches ; le tout dans une discrétion totale. L’élément déclencheur est l’annonce à la radio de la prochaine kumbha mela, le plus grand rassemblement religieux du monde, soit environ cent millions d’hindous qui se croisent durant une cinquantaine de jours. Après huit ans de solitude, le sadhu décide de renouer avec le monde en se rendant à Haridwar où a lieu la cérémonie. « Sad » signifie « vérité » et « sadhu », « chercheur de vérité ».

  

En le suivant durant dix-huit mois, le réalisateur nous fait partager leur  périple,  le quotidien de Suraj et son questionnement permanent. Un voyage qui les mènera des montagnes himalayennes à la région des lacs sacrés du Tibet, en passant par Haridwar, Varanasi, le Népal, etc… Un pèlerinage, un moment de cinéma où le point de vue du réalisateur s’efface en douceur pour privilégier celui du « chercheur de vérité ». On peut reprocher à Sâdhu de n’être que  la filature filmée d’un sage.  C’est là l’indéniable réussite du film, la noblesse de la démarche de Métroz. Ici rien de tape à l’oeil, une absence d’égo de l’artiste suivant son modèle, lui-même en quête d’un dépouillement le plus total. De l’ « intrigue », on ne dira pas grande chose car il est question ici bien plus du partage d’une expérience que d’une aventure spectaculaire, riche en rebondissements. Le nœud dramatique réside dans ce simple constat de Suraj  mais qui va remettre en cause tout son fonctionnement : Plutôt que de trouver ma voie, je me suis perdu . En effet, l’arrivée à la kumbha mela va générer la remise en cause de Suraj baba qui se retrouvera parmi les soi-disant « saints des saints », confronté au cirque folklorique qu’est devenu cet événement,  à la tyrannie des apparences : tel gourou ayant l’air plus « sage » que lui-même aux dires d’un rasta qui, comme tous, porte les sempiternelles dreads et fume le shillom, et précise, impitoyable, que « son » gourou se lève lui à deux heures pour se tremper dans le Gange, contrairement au Suraj qui, lui, s’y baigne vers neuf ou dix heures du matin.  Le regard du cinéaste laisse toute latitude au spectateur, sans jamais juger  ces impressionnantes assemblées de corps blancs, psalmodiant, recouverts de cendres. Puis, c’est la rupture : Suraj entreprend un voyage pour comprendre s’il préfère être un « saint homme ou juste un homme bon ». En dire davantage serait vain. Non pour des raisons de « suspense »puisque ce n’est pas de ça qu’il s‘agit mais d’une balade sensorielle d’une heure trente qui vous fait traverser des étendues sauvages et désertes et découvrir un homme pudique et rare, un éveillé qui ne fait pas étalage de sa sagesse. Métroz arrive à nous faire accéder à ce cœur pur qui (re)découvre le monde, sans jamais tomber dans la niaiserie- ce qui n’est pas un mince exploit.

Ce film nous permet de suivre au plus près un être exceptionnel qu’on aurait jamais ni rencontré, ni remarqué autrement – car même s’il était là devant nous, dans la foule, sa discrétion et son humilité, l’auraient fait disparaître à nos yeux plus attirés par ce qui brille, que ce qui s‘efface. A ce titre, le démarche (de funambule) de Métroz est admirable- au sens étymologique du terme : « digne d’admiration ». Son enjeu n’est pas d’accomplir un  chef d’oeuvre voué à la postérité, il est à la fois bien plus modeste et ambitieux :  il s‘agit de nous faire partager une aventure humaine, côtoyer un sage, sans que ça soit didactique ou béni oui-oui.  Le portrait du sadhu est réussi grâce à l’investissement passionné du réalisateur, sa sincérité et surtout, celle de son sujet.
La confiance entre les deux hommes ne peut que toucher, d’où le total abandon de Suraj baba face à la caméra.  
Après, au spectateur de laisser ou non sa méfiance de côté, confronté à un credo et un mode de vie singulier et d’accepter uniquement de suivre le sadhu dans son cheminement. Sans juger, sans chercher à en savoir davantage. C’est à la fois peu et  beaucoup. En ce sens, le film de Gaël Métroz épouse parfaitement son sujet. Maintenant, qu’on s’en remette au gout du public : l’accueil ne sera pas le même s’il préfère les mariages en grandes pompes aux noces confidentielles ?

 

 

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