À peine un an après Grâce à Dieu, au passage l’une de ses plus belles réalisations, François Ozon est déjà de retour sur les écrans. Auteur populaire et prolifique, il signe avec Été 85, son dix-neuvième long-métrage. Ce dernier constitue plus encore qu’à l’accoutumée, un événement cinéphile notable, une sortie attendue dans le « monde d’après », celui d’une période pandémique et post-confinement où la réouverture des salles de cinéma français est aussi récente que fragile. Il inaugure également une sélection de films labellisés Cannes 2020, un panel d’œuvres mises en avant afin de faire vivre l’incontournable festival à défaut qu’une édition « classique » n’ait pu se tenir. Réalisateur n’aimant rien tant depuis plus de vingt ans que de s’essayer à divers genres, varier les registres (comédie, drame, thriller, fantastique,…) et les matériaux d’inspiration (pièce de théâtre, nouvelle, fait divers, roman…), quitte à parfois échouer sévèrement (L’Amant double, Le Refuge), Ozon adapte ici, La Danse du coucou d’Adam Chambers. La concrétisation d’un désir de cinéma vieux de plusieurs décennie: « J’ai lu ce roman en 1985, quand j’avais dix-sept ans, et je l’avais adoré. Il parlait intimement à l’adolescent que j’étais. […] alors que je commençais à réaliser des courts métrages, je m’étais dit : Si un jour je fais un long métrage, mon premier film sera l’adaptation de ce roman. » Sous ses faux airs de cousin français du Call Me By Your Name de Luca Guadagnino (la proximité entre les deux fictions se résume en définitive essentiellement à quelques éléments génériques : une chronique estivale et sentimentale située au cœur des années 80), Été 85, renvoie au moins autant au souvenir de l’un de ses célèbres courts-métrages, Une Robe d’été (1996). L’été de ses 16 ans, Alexis (Félix Lefebvre), lors d’une sortie en mer sur la côte normande, est sauvé héroïquement du naufrage par David (Benjamin Voisin), 18 ans. Alexis vient de rencontrer l’ami de ses rêves. Mais le rêve durera-t-il plus qu’un été ?

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Joueur, le réalisateur contrarie d’entrée la promesse d’une romance ensoleillée : le film s’ouvre sur une enquête en cours (choix qui peut également faire office de raccord furtif avec Grâce à Dieu). Mystère (qu’est-il arrivé ?) et gravité sont ainsi les premiers motifs dont s’imprègne Été 85. Une voix-off, celle du protagoniste, précède les flash-backs, annonce implicitement une alternance entre deux temporalités autour desquelles le récit va s’articuler. Tourné en pellicule 16 mm (retour au format de certains de ses courts-métrages tels que Deux plus un, 1991), la photographie granuleuse, élaborée en collaboration avec Hichame Alaouié (chef opérateur notamment de Nue Propriété et Élève Libre de Joachim Lafosse) fait ressortir de manière à la fois retenue et éclatante, le travail sur les couleurs (choix des costumes, des décors, des arrières-plan). L’image semble organique, la peau des personnages et leurs corps paraissent aussi concrets que sensuels. François Ozon opère comme un alchimiste, il mêle présent et passé, tonalités, traditions (judaïques et égyptiennes), raconte une histoire datée et intemporelle, confond habilement feuilleton judiciaire et roman estival. Il construit une œuvre à l’atmosphère perméable, changeante, presque évanescente, où naissent en parfaite harmonie diverses sensations paradoxales qui ne cessent de se fondre les unes aux autres : légèreté et douleur, lumière et noirceur, vie et mort. Cinéaste dont la maîtrise technique a rarement été remise en question (quitte tomber dans la démonstration voir l’artificialité ou se cantonner à l’exercice de style un peu vain), il trouve ici un nouvel élan. Gagné par une certaine sérénité, sa réalisation se met au service de son intrigue, de ses héros (c’était déjà le cas sur Frantz et Grâce à Dieu), sans jamais s’effacer totalement. Quelque chose de l’ordre de la désinvolture feinte (impression de seconde jeunesse, d’innocence retrouvée) dans la mise en scène nous souffle, nous emporte irrésistiblement. À l’image de cette scène de danse qui bascule d’une ambiance à une autre, avec la simple pose d’un casque sur les oreilles d’Alexis. Du collectif vers l’individuel, de l’extérieur vers l’intime, en une fraction de seconde, le tableau a complètement changé de nature. Les audaces formelles auquel s’abandonne le metteur en scène, n’ont jamais d’autre vocation qu’approcher le plus sensitivement possible, les ressentis de ceux qu’il filme et observe. La justesse des choix de casting n’est pas négligeable dans l’aboutissement de ces intentions. D’alchimie parfaite, il en est à nouveau question entre les deux jeunes comédiens Félix Lefebvre et Benjamin Voisin (révélation française de 2020 à ce stade de l’année après Un Vrai bonhomme et La Dernière vie de Simon) qui rivalisent de charme, charisme et intensité. Leur complicité et le plaisir de jouer ensemble paraît relever de l’évidence dès leur première rencontre à l’écran. À l’instar du superbe rôle qu’il offrait sur son film précédent à Josiane Balasko, il donne à Isabelle Nanty sa plus belle partition depuis très longtemps. Point de jugement, aucune envie chez lui de hiérarchiser les différentes séquences de la carrière de l’actrice, il évoque autant ses prestations chez Jean-Pierre Jeunet (La Fabuleux destin d’Amélie Poulain) qu’au sein d’œuvres plus « populaires » telles que Les Tuches.

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Été 85, donne également à revoir deux visages familiers du cinéma de François Ozon au cours des décennies 2000 et 2010. Valérie Bruni-Tedeschi de retour près de quinze ans après le doublé 5×2 et Le Temps qui reste ainsi que Melvil Poupaud. Ce désir de retrouver des acteurs importants de son parcours épouse un autre dessein, introspectif. En adaptant un ouvrage manifestement fondateur, le cinéaste regarde avec recul et une once de nostalgie son adolescence mais aussi sa propre filmographie. Les choix musicaux servent autant de marqueurs temporels (Toute première fois de Jeanne Mas, In Between Days de The Cure, Cruel Summer de Bananarama) qu’à inscrire le quotidien d’Alexis dans un référentiel pop (voir le poster de Taxi Girl dans sa chambre) que l’on devine partagé par son metteur en scène (il avait déjà utilisé Cherchez le garçon sur l’un de ses courts-métrages de jeunesse). Dans le même temps, plusieurs motifs trouvent un écho immédiat à ses précédentes réalisations, du travestissement en vigueur sur Une Robe d’été ou plus tard Une Nouvelle Amie, des lieux en lien avec la mort (la morgue dans Sous le Sable, le cimetière dans Frantz), au professeur entretenant une relation troublante avec un de ses élève expérimentée sur Dans la Maison. Nous sommes moins face à une volonté de relecture ou un exercice d’autocitation, que l’observation humble d’un artiste en train d’interroger, évoquer, les racines de son travail. Par ce geste, il tend à relier et synthétiser les différents pans de sa carrière, sans que jamais cela ne prenne le pas l’intrigue. Cette approche présente de son passé, se confond avec la dualité temporelle choisie. Ce qui de prime abord apparaissait comme un parti-pris ludique, prend alors une dimension plus intimiste. Alexis n’est pas simplement un personnage de fiction mais l’avatar potentiel d’un réalisateur se livrant à travers lui, réduisant définitivement la distance avec le spectateur. Plus question de se cacher, Ozon atteint une maturité et une envergure inédites : l’émotion affleure pudiquement, délestée du moindre artifice, cela en devient progressivement déchirant. Coup de cœur pour une œuvre à la fois insolemment jeune et profondément adulte, superbement mise en scène et toujours incarnée. Au sein d’une carrière décidément imprévisible, ce dix-neuvième long-métrage constitue un nouveau temps fort. En attendant, non sans curiosité, de découvrir de quoi la suite sera faîte, l’envie de revisiter plus de trente ans de son cinéma pour patienter, est très forte.

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