Umberto Lenzi n’est pas si ferox. Opportuniste sans aucun doute à l’orée des années 80, début de la fin pour le cinéma populaire italien en plein déclin. Il clamera à plusieurs reprises qu’il n’a aucune appétence pour le gore et qu’il a tourné des films de cannibales pour des raisons purement mercantiles suite au succès planétaire de Cannibal Holocaust. On pourra toujours rétorquer qu’il fut le premier à œuvrer dans le genre avec Cannibalis: Aux pays de l’exorcisme, bien qu’il s’agisse d’un film d’aventures exotiques très peu porté sur la tripaille. Et aussi avec l’intriguant La secte des cannibales, dont le ressort dramatique n’est pas sans rappeler celui de La Plage de Danny Boyle avec son gourou hippie manipulateur.

Cannibal Ferox - Film (1981) - SensCritique

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Cannibal Ferox démarre comme un polar urbain situé à  New York, genre fétiche du réalisateur qui nous donna quelques beaux fleurons dans les années 70 avec, entre autres, La Rançon de la peur ou encore La Guerre des gangs, comme un effet de signature, sursaut détournant le temps d’une poignée de scènes la résignation de devoir tourner sans réelle passion un pur produit de consommation. Passé ce prologue, le cinéaste s’acquitte d’une commande, qui sans dépasser son modèle, remplit sa mission en matière de violence graphique, ce qui lui vaudra d’être interdit dans 31 pays. Il n’est plus question d’une équipe de journalistes à sensations, partie en expédition pour réaliser un documentaire choc en Amérique du Sud.  Cette équipe est remplacée par trois étudiants en anthropologie venus prouver que le cannibalisme, n’existe pas, pur fantasme d’un mythe raciste propagé par l’occident. Plein d’enthousiasme et de certitudes, ils vont déchanter pour le plaisir pervers des spectateurs, amusés devant la théorie bienpensante et moralement irréprochable de la tête pensante du groupe. Cette approche cynique pourrait vriller du côté du pamphlet réactionnaire envers un pseudo progressisme de pacotille. Sauf que le scénario est plus retors, dans la grande lignée du cinéma d’exploitation, à la fois critique et objet de la critique. En effet, les jeunes gens ne tardent pas à rencontrer sur place deux compatriotes, Mike et Joe, deux trafiquants de cocaïnes, à la recherche d’un gisement d’émeraudes, qui, pour arriver à leur fin, ont maltraité, torturé et réduits les indigènes à l’état d’esclavage, réactivant ainsi l’instinct primitif de la supériorité du blanc sur le reste de la population.

Cannibal Ferox

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Suite au viol et au meurtre d’une fille de la tribu, les cannibales se révoltent contre leurs tortionnaires appliquant dès lors les rites coutumiers de leurs ancêtres. Ces rites, aussi barbares soient-ils, ne sont pas des habitudes de vie quotidienne de ce peuple originellement pacifiste. L’homme est un loup pour l’homme et la violence engendre la violence, refrain connu repris sans nuance par Umberto Lenzi qui conserve la misanthropie coutumière de ses poliziottesco et ses gialli de machination. IL force tellement le trait qu’on en vient (presque) à trouver légitime le sort réservé à nos candides petits étudiants blancs, dommages collatéraux d’une attitude irresponsable des antagonistes. S’il est nettement moins impressionnant et malaisant que Cannibal Holocaust, Cannibal Ferox se révèle aussi moins douteux, plus clair dans son discours. Accusé à tord de racisme à sa sortie, le film de Lenzi est au contraire une charge sans ambiguïté contre la violence endémique des occidentaux, se présentant comme modèle d’ouverture et de progrès alors qu’ils pervertissent tout ce qu’ils effleurent de près ou de loin sur leur passage. Cette approche critique n’est pas si hypocrite que cela, s’inscrivant même dans une démarche sincère de la part d’un artisan longtemps perçu comme un affreux jojo fasciste alors qu’il s’est toujours réclamé de gauche. Comme nous somme aussi à  l’épicentre d’un cinéma d’exploitation dans sa forme la plus dégénérée, elle permet de valider toutes les horreurs graphiques, ce pourquoi les spectateurs se sont déplacés à l’époque dans les salles obscures. Parmi les réjouissances imposées par le cahier des charges, vous aurez droit à une castration en gros plan, une pendaison d’une femme par des crochets enfoncés dans les seins, une énucléation et quelques éventrations répugnantes donnant lieu à des séquences célèbres de pur cannibalisme, détaillant les viscères et autres organes divers. Plus problématique, le recours aux meurtres, non simulés, d’animaux, rend le film en partie déplaisant malgré une volonté d’en atténuer la portée sadique. Mais les faits sont là et parlent pour eux-mêmes.

Prime Video: Cannibal Ferox

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Passé cet aspect rebutant et légitimement rédhibitoire pour certains, Cannibal ferox s’avère, avec le recul, une bonne série B mêlant adroitement cinéma d’aventures et torture-porn-horror. Ce petit produit culte, à la construction bancale, cumule les maladresses narratives avec tous ces allers-retours inutiles entre la jungle amazonienne et New-York mais fait preuve du solide métier de son cinéaste qui n’abuse pas des stock-shots, fait assez rare pour être souligné.  Tourné dans des décors naturels dépaysants mis en valeur par une photographie soignée, Cannibal Ferox vaut surtout pour le climax crescendo de sa deuxième partie, plongée crapoteuse dans le gore outrancier, atténué par une mise en scène sobre et fonctionnelle. Elle sert efficacement le scénario, s’en tenant à une « grammaire » cinématographique sommaire faite de champ/contre-champs, de plans bien cadrés mais jamais inventifs, de caméra à l’épaule simulant l’immersion et d’une utilisation normée du zoom. Umberto Lenzi ne retrouve pas le lyrisme sec et son sens de l’hyperréalisme de ses meilleurs films, faute d’un montage qui manque de nerf et une approche topographique assez désincarnée. En s’exilant de ses lieux de prédilection, l’italien perd un peu de son âme, de son désir de filmer dans l’urgence une violence qu’il a souvent su sublimer. Cela dit, en l’état, Cannibal ferox remplit son contrat, celui du divertissement pour adultes avertis, à la fois dépaysant et oppressant, plutôt bien interprété par des comédiens correctement dirigés, à commencer par le regretté Giovanni Rambaldo Radice, décédé tout récemment, qui semble prendre son pied en incarnant un junkie psychopathe. L’épilogue plutôt malicieux, ne trompera personne : Gloria l’étudiante (Lorraine Del Selle plutôt convaincante), rescapée affirme, pour des raisons éthiques, que le cannibalisme n’existe pas devant une petite assemblée, comme si tout ce que nous avons subi jusque là n’avait pas eu lieu. Par cette pirouette, Umberto Lenzi nous murmure au coin de l’oreille que ce voyage anthropophage n’est finalement que du cinéma.

CANNIBAL FEROX - STARBURST Magazine

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Le chat qui fume continue à soigner ses éditions de prestige pour des films qui n’en ont jamais autant demandé. Mais quand on aime on ne compte. D’autant que la copie du film est splendide, renvoyant aux oubliettes la précédente édition françaises sortie en dvd zone 2 chez Neo Publishing, bien qu’à l’époque nous étions quelques-uns à être aux anges de redécouvrir sur support numérique un des petits classiques de l’horreur vomitif, jusque-là pilier de vidéo club. Les bonus, certes issus d’éditions étrangères, sont néanmoins passionnant, à commencer par une interview de Umberto Lenzi, puis dans l’ordre de Gianetto de Rossi et des comédiens Zora Kerova, Danilo Mattei et Giovanni Lombardo Radice. Une édition incontournable.

 

 

 

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