Figure mythique du slam, poète, écrivain, Saul Williams, artiste multidisciplinaire, ajoute désormais à son arc la corde du cinéma.

Retour aux années 90. Saul Williams gagne de nombreux concours de slam, devenant le slameur dont on parle, au point de faire l’objet d’un documentaire. Mais c’est en 1998 qu’il se voit confier le rôle principal dans Slam de Mac Levin qu’il co-écrit, primé à Sundance et à Cannes. A partir de là, l’univers de Williams évolue, se peaufine, monte en puissance jusqu’à une collaboration avec Nine Inch Nails. La rencontre avec Trent Reznor en 2005 sera décisive, y compris pour sa direction créative. Reznor co-produira son 3e Album en 2007. Williams jouera également dans le formidable Aujourd’hui (2011) d’Alain Gomis, c’est sur le tournage qu’il rencontre Anisia Uzeymann, artiste d’origine rwandaise, elle-même actrice et metteuse en scène de théâtre avec qui il co-réalise ce long métrage inclassable qu’est Neptune Frost. Finalement, Neptune Frost, constitue un peu la mise en abîme de leur aventure. De leur union naît ce bébé culturel, poétique et révolté.

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Il est très difficile de raconter Neptune Frost. Il évoque la rencontre entre Matalusa, mineur de coltan (1) appartenant à un groupe de cyber-pirates anticolonialistes et de Neptune, hacker intersexe. La somme de ces deux cœurs, va permettre à l’insurrection de s’amplifier, de s’étendre et de contaminer le monde. L’avenir appartient aux pirates.

Williams envisage le cinéma comme en continuité de sa démarche musicale. Tous les arts ne font qu’un. Le long métrage peut se lire d’ailleurs comme un prolongement de l’album MartyrLoserKing reprenant ce nom – 2016 entre hashtag et groupe rap – pour définir dans Neptune Frost la progéniture rebelle, hybride et virtuelle du couple de héros atypiques. La démarche créatrice aboutirait en quelque sorte à cette même naissance d’un étrange bébé propre à assurer la révolte, qu’il s’agisse d’un album ou de l’union de Matalusa et de Neptune.

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Afro-futuriste, hypnotique et parfois sibyllin, Neptune Frost constitue une œuvre de résistance multiple.

De résistance politique tout d’abord, puisqu’elle constitue un appel à l’insurrection et à récupérer les technologies comme une arme contre les dominants, au piratage intégral des oppresseurs. Neptune Frost devient un chant d’amour et d’anarchie par l’art, avec cette idée paradoxale de réseaux internet considérés parfois comme le symptôme du capitalisme, utilisés ici à des fins de libération, et en extraire une dimension alchimique.

De résistance spirituelle, parce qu’elle l’inscrit au sein même de sa thématique, la lutte contre l’oppresseur passant par une forme de guerre secrète, une guerre de l’esprit, une guerre de l’imaginaire contre le matériel.

De résistance formelle et poétique, parce que dans son expression même, elle constitue un acte de refus de la classification, de liberté totale, préférant à la narration la divagation onirique.

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Alors que Neptune Frost parle plus que jamais de modernité, d’avenir et de chaos contemporain, Saul Williams et Anisia Uzeyman retrouvent pourtant l’art de la culture orale et anonyme. Film cyberpunk du burundi, film de SF queer, est également superbement musicale, entre slam et électro à la fois planante et tribale qui reprend logiquement plusieurs moments de l’album MartyrLoserKing.

Neptune Frost en égarera probablement plus d’un. Mais c’est peut-être dans cet art même de l’égarement qu’il est important. N’est-ce pas justement une des forces du cinéma que cette capacité à perdre le regard, à l’interroger, à le brouiller ? N’est-il pas temps d’abandonner nos formes classiques, notre désir de réponses ? Anisia Uzeyman et Saul Williams invitent autant à la prise de conscience idéologique qu’au lâcher-prise, au voyage, au rêve. C’est en conciliant l’inconciliable, en joignant les contraires, en faisant rimer lyrique et informatique, technologie et battement de coeur qu’il est le plus fascinant, dans l’émotion des circuits, le tragique des réseaux et des soudures. Lorsque la « carte mère saigne » et qu’elle fait écho à la terre mère quoi de plus troublant ? Car le futurisme ici est intrinsèquement lié au culte des ancêtres et à leur amour. Et parce la force documentaire se confond au fantastique. Aussi, en matière de trip sensoriel, de travail sur le corps comme matière unissant énergie et métaphysique, Neptune Frost, s’avère bien plus complexe et plus exigeant en matière d’écriture et de sens que le très superficiel Disco Boy.  Il affirme sa singularité de lui-même sans la construire artificiellement.

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Malgré ses maladresses, ses imperfections, ses bugs serait-on tenté de dire, Neptune Frost, reste un voyage envoûtant d’images et de sons d’une folle énergie qui tient parfois de la transe. Sous le signe d’une dualité, entre fantasme et réalité, musique et voix, homme et femme, passé et futur.

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(1) Rappelons que le coltan est un minerai indispensable à la fabrication de nombreux composants électroniques. Son trafic engendre des conflits meurtriers qui ensanglantent la région du Congo, du Burundi et du Rwanda.

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