À l’automne 2022, alors que X n’était toujours pas sorti sur les écrans français, sa préquelle Pearl, arrivait dans les salles américaines. Elle suscitait un enthousiasme similaire à son prédécesseur et venait attester d’un changement de paradigme pour son réalisateur, Ti West. Près de quinze ans après ses débuts, l’auteur de The Innkeepers et The House of the Devil, bénéficiait d’une reconnaissance qui lui avait jusqu’alors échappé ou tout du moins seulement auprès d’une poignée de connaisseurs. Si la présence d’A24 à la production et à la distribution a été un atout non négligeable dans cette « ascension », le cinéaste semble également avoir trouvé une matière lui permettant d’exploiter au maximum ses qualités, ainsi qu’une précieuse alliée devant la caméra, Mia Goth. Et la réciproque est vraie, la comédienne britannique remarquée chez Lars Von Trier (Nymphomaniac : Volume II), Gore Verbinski (A Cure for Life), Luca Guadagno (Suspiria) et Claire Denis (High Life), qui avait toujours, a minima, généré le trouble, disposait sur X d’un double rôle en or pour exprimer son talent. Plus que le désir de décliner de manière opportuniste un succès, Pearl naît d’un contexte et d’une envie partagée entre l’actrice et son metteur en scène. Tandis qu’il vient tourner son slasher en Nouvelle-Zélande durant le premier trimestre 2021, le cinéaste a l’idée d’un nouveau projet réexploitant les décors construits pour l’occasion. Il tire profit de la quarantaine obligatoire et propose à son interprète de prolonger son séjour sur la terre des kiwis. Il l’invite à prendre part à l’écriture d’un scénario centré sur les origines de Pearl. Il dévoilera ultérieurement qu’il n’envisageait initialement pas ce script comme un potentiel film, mais un « apport matériel » afin de densifier son rôle dans X. Les deux tournages s’enchaîneront finalement, grâce à l’approbation d’A24 et une suite très attendue, MaXXXine viendra prochainement conclure cette trilogie horrifique à part. Plébiscitée par un certain Martin Scorsese à sa sortie, cette prélude nous replonge en 1918 où Pearl (Mia Goth) trouve le temps long, coincée dans la ferme familiale. Quand un sémillant projectionniste commence à la bercer de douces illusions, toutes les frustrations de la jeune fille trouvent enfin une finalité qu’il ne faudrait surtout, surtout pas contrarier…

Pearl – Copyright A24 2022

Si X réussissait avec brio à se défaire de son étiquette réductrice d’énième relecture de Massacre à la tronçonneuse sur fond d’âge d’or du porno, Pearl change totalement de référentiel. Ti West avance sur un terrain moins immédiatement connoté, moins braconné (ou galvaudé) par le cinéma d’horreur, mais aussi moins directement codifié. Le réalisateur le dépeint non sans humour comme « un mélodrame qui fait se rencontrer Mary Poppins et Douglas Sirk », le film s’apprécie autant en connaissance de son prédécesseur (cela se limite à quelques échos et clins d’œil amusants) qu’en tant qu’en œuvre autonome. Tourné dans un superbe Technicolor, le long-métrage s’ouvre par un générique en guise de faux-semblants empreint d’une dimension quasi-féérique. Les couleurs étincelantes à la beauté presque irréelle amorce l’entrée dans le champ d’une Mia Goth démultipliée par le reflet d’un miroir. Un sentiment de grâce emballe ces premières minutes, brutalement interrompues à l’arrivée d’une figure maternelle autoritaire et terrifiante. En une poignée d’images, le cinéaste confronte d’un même élan, la projection que Pearl se fait de son existence et la réalité profonde de celle-ci. Il articule ainsi le conflit intérieur de son protagoniste, autour de ces deux espaces indissociables dans son esprit, l’un et l’autre menaçant son équilibre psychique. En tension permanente, elle lutte contre ses frustrations et ses démons, bien que certains penchants cruels soient déjà perceptibles. Cette jeune femme, condamnée à la solitude (son mari est au front) et aux travaux ingrats dans l’enceinte familial, qui a pour principale compagnie les animaux de la ferme, est soumise à la brutalité d’un monde auquel on lui interdit d’appartenir autrement que dans l’ombre. En ce sens, Pearl est moins l’origine story d’une psychopathe en puissance que le récit d’une douloureuse émancipation au sein d’une société puritaine et conservatrice. Mordant, West ne manque pas de charger cet archaïsme mortifère, au détour de séquences tour à tour jouissives (l’évocation des prémisses de pornos) et dérangeantes (l’audition de danse). Dans son dessein ironique, l’Europe apparaît comme la terre de toutes les promesses et opportunités, face à une Amérique repliée sur elle-même et sans perspectives. L’imagerie par aspects parodique vient traduire un recul sur une époque qu’il fustige ainsi qu’un refus d’une quelconque forme de nostalgie. Pour autant, malin, il ne cède jamais à la tentation du second degré, préférant chercher la beauté délicate à l’intérieur de ce tableau cauchemardesque, en s’accrochant coûte que coûte à son héroïne abimée.

Pearl – Copyright A24 2022

Point de jugement ou de psychologie de comptoir, le cinéaste aime profondément son actrice, sa muse et sa coscenariste, Mia Goth, à qui le film pourrait être entièrement dédié. Personnage pathétique, émouvant et intense, elle s’impose comme une créature de cinéma à la fois anachronique et intemporelle. Ses traits angéliques et son visage enfantin contrastent avec une violence longtemps contenue, en mesure d’exploser sauvagement à tout moment. La comédienne, de tous les plans ou presque, saisit l’opportunité qui lui est donnée et livre une prestation aussi puissante que sidérante. Juste dans ses excès, subtile dans ses nuances, imprévisible et entièrement dévouée à son rôle, elle est le plus bel atout du long-métrage autant que sa raison d’être. Il n’est dès lors plus question de genre, sauf à chercher des étiquettes hybrides (un mélodrame horrifique ?), l’ensemble paraît affranchi de tout cahier des charges, d’une grande liberté, à l’inverse justement de l’existence de son protagoniste. Le parcours de cette dernière raisonne étonnement avec celui d’un réalisateur, qui aura progressivement réussi à se défaire de ses référents afin de façonner sa propre identité, avec celui d’une actrice longtemps réduite à une présence énigmatique qui bénéficie enfin l’espace d’expression qu’elle mérite. Œuvre libératrice sur la frustration et les ambitions déchues, Pearl ne se contente pas de réinventer le décor de X, il dynamite sa nature de préquelle pour se poser en objet de cinéma iconoclaste, riche et passionnant. Doit-on préciser que l’on trépigne d’impatience à l’idée de découvrir MaXXXine ?

Pearl – Copyright A24 2022

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