Dragon Gate – La Légende des sabres volants (Chine, 2011), de Tsui Hark, Blu-ray édité par Seven 7

Malgré un retour honorable sur les écrans de cinéma avec son Detective Dee, Tsui Hark retourne à la case des DTV avec ce Dragon Gate, La légende des sabres volants, son second remake de Dragon Gate Inn (on peut dire ça, car on lui attribue plus ou moins la réalisation de L’auberge du Dragon, sa production créditée à Raymond Lee). Une chose qui semble étonnante au vu des stars à l’affiche (Jet Li, Zhou Xun), et d’une 3D dont c’est la première expérience pour le cinéaste. Mais le film a acquis rapidement une réputation mitigée, et le résultat teinté de références culturelles parfois difficiles est bien moins grand public et linéaire que son précédent.
Alors que L’Auberge du Dragon est un modèle d’humour classieux, aux interprètes emplis de charme et de charisme, Hark renforce ici plutôt la dimension fantasy et malade de son récit, paradoxalement en édulcorant son caractère horrifique (les références au cannibalisme sont plutôt atténuées) ou sensuel. De même le jeu d’échec en huit clos très explicite autour du double passe ici directement la porte de l’absurde et du dérisoire, quittant l’élégante abstraction. En même temps, on gagne dans l’étrange et le grotesque, avec le portrait de cette caste d’eunuques qui a l’air de sortir totalement d’une autre dimension, et ces clans rebelles véhiculant une anarchie bien plus tranchée, remarquable pour un film co-produit par la Chine continentale. Ici les opposants sont vraiment des outsiders hirsutes de tous horizons, qui viennent bousculer un pouvoir perverti et décadent. On songe souvent ici  aux récents scandales Bo Xilai et à la nomenklatura du Parti Communiste chinois bien souvent accusée de licence et corruption…
Jusque dans son final, le film est politiquement acerbe et irrévérencieux, sacrifiant ses héros potentiels d’ailleurs pour quelques rebondissements teintés de cynisme… Les deux guerriers romantiques désuets incarnés par Jet Li et Zhou Xun (faux maître bernée par son élève) paraissent jouer une partition à part ici, comme appartenant à un monde idéaliste qui n’est plus vraiment conforme à cet ambiance de fin de règne du pouvoir, ni à l’individualisme forcené, presque « consumériste », des autres personnages qui cherchent chacun à jouer leur propre chance dans une affaire finalement très vénale… Jet Li notamment apparaît bien fade et vieillissant au milieu de tout ça, mais mine de rien, Hark y retrouve un ton assez proche de ses aventures américaines sous-estimées avec JCVD… On peut préférer cette posture, plutôt que la mélancolie et le discours désabusé et malgré tout politiquement replié de Detective Dee.
Formellement, si le film possède de belles choses, notamment dans sa dernière partie, il souffre d’un abus d’effets numériques trop approximatifs et grossiers, assez proche d’un Zu 2 mais avec un rythme plus lâche et avec nettement moins de folie niveau mise en scène. Le Blu-ray en prime ne propose la 3D qu’en VF, et si vous optez pour une VOST en 2D, nous vous souhaitons bon courage devant le rendu des effets 3D, qui nous rend nostalgique des passages à la télévision des troisièmes opus de Jaws ou Vendredi 13… (G.B)
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Nous ne sommes donc pas particulièrement ravis de cette édition qui rend pas vraiment service au travail sur la 3D de Hark en ne proposant que la vf. On aura donc quand même tendance à se rabattre sur la version 2D. Quelques interviews et un making of en guise de suppléments.



Maniac (USA-France, 2012), de Frank Khalfoun, Blu-ray édité par Warner
Dans le continuel flot des remakes inutiles engendrés par une industrie du rêve en panne d’inspiration, Maniac est une très heureuse surprise qui tient à sa prise compte des multiples bouleversements que le monde et ses représentations ont connu sur les trente années qui le séparent de son modèle.
Si Maniac a surpris un public blasé d’inutiles remakes, c’est par le choix – audacieux mais risqué – d’assurer une narration par le prisme d’une caméra subjective, de littéralement fondre les spectateurs avec une identité torturée et meurtrière. On devine un sensationnalisme douteux fait de jouissance perverse, un truc de scénariste malin prêt à tout pour offrir un « cinéma vérité » crapoteux aux ambiguïtés certaines. Tandis que l’œuvre originale observait méthodiquement la détresse d’un esprit malade perdu dans une urbanité crasse et malsaine – un thème récurrent du début des années 80 -, il s’agira ici de fouiller une psyché complexe et inconfortable dans une ville que l’on connait déjà, qui n’a plus besoin de témoin pour dire ce qu’elle est : un cauchemar naissant s’efface pour un cauchemar bien installé et l’enfer des villes a cet age de la maturité qui ne demande plus de faire ses preuves mais dont les conséquences ont fait, depuis longtemps, la une des tabloïds, avec son lot de fous isolés et d’esprits qui ont basculé.
L’intérêt sera donc cette vie « intérieure » dont l’analyse sera aussi celle d’un spectateur qui a connu de nouvelles images aux modes de fabrication et de représentation diversifiés. A la fois ce viol d’une intimité et ce point de vue qui fusionne spectateur et producteur d’images ne semblent être que le prolongement pervers des dérives du « tout image » qui n’est pas s’en rappeler cette volonté très contemporaine d’un regard absolu – de la surveillance à l’exhibition – avec ses multitudes d’outils : vidéosurveillance des villes, captation du réel au téléphone portable par l’individu, exhibitionnisme narcissique ou voyeurisme spectaculaire…
Malgré soi et jusqu’au malaise – on aimerait, parfois, sortir de ce corps -, Maniac renvoie le spectateur à son intolérable incapacité de déterminer la limite entre vie publique et vie privée, à saisir la vacuité d’un regard qui pense pouvoir tout surveiller pour notre si réconfortante sécurité.
« Voir et savoir » ne seront pas le terreau fertile d’un tranquille futur pour l’humanité, tel semble le message alarmant d’une œuvre qui suggère l’idéal désir du remake : la nécessité d’une mise à jour. (B.C)
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Le Blu Ray techniquement parfait rend parfaitement service à la texture de la photo de Maniac noctambule et hantée, à la fois lisse et perturbante. En guise de bonus, un making off pas intéressant, en particulier lorsqu’il aborde tout le travail sur la caméra subjective et la manière dont le chef opérateur joua au moins autant l’acteur qu’Elijah Wood, adoptant à son tour le point de vue du héros. C’est assez vertigineux.

La dernière tentation du Christ (USA, 1988), de Martin Scorsese, Blu-ray édité par Universal

La sortie de La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese, en Blu-Ray, ravive des souvenirs, pas tous cinéphiliques et c’est fâcheux.  Le cinéaste avait dû attendre cinq ans, de 1983 à 1987, avant de pouvoir réaliser ce film, tant avaient été fortes les multiples pressions religieuses pour l’en empêcher. Nous ne reviendrons pas sur l’affaire Scorsese puisque Culturopoing a publié un long dossier extrêmement fourni sur le sujet, mais rappelons qu’en octobre 1988 à Paris, lors de sa sortie en France, un bombe explosa et détruisit un cinéma du Boulevard Saint-Michel, posée par un groupe intégriste catholique rattaché à l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Boulevard Saint-Germain. Cet attentat fit treize blessés dont quatre graves. Les cinq terroristes de « l’AGRIF » furent condamnés à de la prison avec sursis et à 450 000 francs de dommages et intérêts.
Revoir La dernière tentation du Christ aujourd’hui c’est donc, encore et toujours, se demander si cette minorité agissante, aux actions symboliques violentes et amplifiées par les médias, a au moins lu Les Quatre évangiles ! Ils contiennent pourtant de multiples préceptes civilisateurs, de tolérance, d’amour de l’autre, de partage, d’humilité, etc.
Le scénario de Paul Schrader est adapté du livre proscrit de Níkos Kazantzákis (1883-1957). Cet auteur grec, penseur, adaptateur d’Homère, écrivain nihiliste et chrétien, dont les maîtres à penser étaient Nietzche, Bergson… fût excommunié par l’église orthodoxe et son livre mis à l’index par le Pape. Cela pendant une longue maladie, peu de temps avant sa mort…
Abstraction faite de ces contingences venues du front de la bêtise, le film de Scorsese se revoit avec un énorme plaisir : étonnant, audacieux et unique dans l’œuvre du cinéaste catholique qui a failli devenir prêtre. Sa foisonnante filmographie l’a rarement emporté longtemps loin des Etats-Unis, de ses grandes villes, de la Grosse Pomme à Miami en passant par Los Angeles, Las Vegas, pourtant en plein désert.
Au-delà de son extraordinaire décor marocain, la mise en scène extrêmement soignée, lente, presque trop formelle est juste admirable. Le désert, surtout le désert, la montagne, les monastères, les villages, les maisons au seuil desquelles s’arrête le soleil, etc. invitent sans cesse aux voyages en Perse et en Mythologie. Certains plans sont sans doute parmi les plus beaux de l’histoire du cinéma. La musique de Peter Gabriel, quand elle s’inspire des thèmes traditionnels du Proche-Orient les « divinise » presque. Sinon, les compositions plus « psychédéliques » de cet artiste génial ont quelque chose de kitch, qui pourraient gratouiller – à peine – les oreilles de quelques-unes et de quelques-uns, mais crée régulièrement ce fabuleux sens du contrepoint cher à Scorsese et que l’on retrouvera dans Gangs of New York, percussions et électricité permettant de franchir le pont des siècles pour tout ramener à l’universel. L’histoire de La dernière tentation du Christ est belle et homérique. Assez proche des textes sacrés par ses aspects magiques, elle démystifie Jésus et en fait un homme. Un homme qui refuse longtemps la loi du père : celle de la foi, même si « tout est accompli » à la fin…
Scorsese et Shrader réussissent à créer un personnage humain à l’esprit complexe, torturé, écartelé entre loi et foi, entre vie et folie, entre ascèse et orgie… Orgueilleux, menteur, peureux, hypocrite, Jésus est aussi un homme libre, pacifique et rebelle, un animal politique et révolutionnaire. Il est enfin et surtout une sorte de Rock Star mythologique, avec un public plutôt masculin. Il suffit de le voir apparaitre (Willem Dafoe, littéralement possédé par son rôle) avec ses boucles blondes et ses yeux clairs, entre gris et bleu, pour être fasciné.
Les deux principaux personnages secondaires, ceux de Marie-Madeleine et de Judas sortent aussi de la « cire » des Textes Sacrés. L’une (Barbara Hershey, « Taylor-ienne » et fellinienne à la fois), pour devenir une femme : belle, sensuelle, sophistiquée, tragique, mère, putain, sœur, elle pourrait être toutes les femmes. L’autre (Harvey Keitel, barbu, roux, magistral comme toujours) incarne le compagnon fidèle et constant, même s’il est une sorte d’activiste qui se sert de Jésus. Le casting interminable, avec pas mal de rôles inconséquents, finit par se confondre avec les centaines de figurants locaux qui aiment tant « se prêter » au jeu du cinéma mondial. C’est une jubilation qui participe pleinement de la beauté du film.
Décidément, certains catholiques ne sont pas très généreux ! Ce film offre à Jésus, en le désacralisant, une autre histoire : celle d’être sauvé deux fois plutôt qu’une. Il vit une vie d’homme accompli d’un côté ; et une autre l’attend dans le ciel… Mieux encore, La dernière tentation du Christ rajoute des images sacrées au sacré, sublimes elles-aussi, à une religion qui les aime tant…  (C.S)
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Très beau master pour cette sortie blu ray, qui n’abuse pas du DNR quitte à être parfois un peu granuleux. Unique bonus, un court interview de Scorsese, pas des plus pertinents, préférant rappeler son étonnement d’avoir choqué que d’analyser son œuvre. Nous n’avions pourtant jamais été étreints par le doute quand à la force et à la sincérité de son approche.

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