Le Chemin de l’espérance est le quatrième film de Pietro Germi. C’est avec lui que le cinéaste acquiert une reconnaissance internationale. En 1951, il est projeté dans le cadre de la Sélection Officielle au Festival de Cannes, et il obtient l’Ours d’Argent (Grand Prix du Jury) à Berlin.

Le Chemin de l’espérance évoque celui de croix de mineurs – dont certains sont avec leur femme, avec leurs enfants, avec leurs parents – habitant et travaillant au centre de la Sicile, et qui, face à leur profonde misère, à leur absence de perspective due à la fermeture de leur mine, choisissent de s’exiler illégalement pour la France en vendant leurs biens, en brulant donc leurs vaisseaux.
Le voyage est long, ardu, menant des terres siciliennes que le soleil écrase aux hauteurs glaciales des Alpes – qui seront fatales au plus âgé d’entre ces migrants -, en passant par Messine, Naples, Rome, Parme, le Piémont… Le passeur les trahit, un hors-la-loi prénommé Vanni, qui est lié à l’une des voyageuses, Barbara – incarnée par la très belle Elena Varzi (1) -, les menace… Des agriculteurs grévistes s’en prennent à eux quand, obligés de travailler pour pouvoir mener à bien leur périple, ils ont momentanément et sans le savoir pris leur place.
C’est ce contexte social, implacable et violent, parfois absurde, où s’affrontent exploiteurs capitalistes et exploités qui cherchent à défendre leurs droits en faisant grève, représentants de la force publique et simples citoyens, Italiens du Nord et Italiens du Sud, qui fait la force du film, lui confère sa dimension d’oeuvre néo-réaliste. Un contexte dans lequel s’expriment pourtant, et notamment dans le final relativement positif, la solidarité, la fraternité et la compassion. C’est aussi la manière dont Germi filme les Siciliens et les Siciliennes qui fait cette force. Ces dernières, silhouettes noires, hiératiques, affrontant le Destin avec dignité, rappellent évidemment et, entre autres, celles de La Terre tremble de Luchino Visconti (1948). Le jeu sur le positionnement des personnages dans de grandes profondeurs de champ, au sein de décors et paysages naturels arides, est également remarquable et participe de cette sensation, souvent évoquée, que Germi tisse des liens avec le western américain. Le cinéma de John Ford est avec raison cité à propos du cinéma de l’auteur d’Au nom de la loi (1949). Les Raisins de la colère (1940) à propos du Chemin de l’espérance.

© Tamasa Distribution

Dans un article de 1953, André Bazin parle de l’un des « plus beaux scénarios d’après-guerre sur le thème éminemment épique et, par là, cinématographique, de la marche vers la Terre Promise » (2). Rappelons, à ce propos, que ledit scénario est coécrit par Germi avec Federico Fellini, Tullio Pinelli – fameux scénariste qui a travaillé au cours de sa carrière, entre autres, pour Fellini, Alberto Lattuada, mais aussi Giuseppe De Santis et Robert Rossellini -, et est inspiré par le roman de l’écrivain Nino Di Maria : Coeur dans les abîmes : Roman (Cuori negli abissi : Romanzo, 1949 – non traduit en français).
Bazin modère cela dit son appréciation en évoquant un « formalisme » qu’il juge risqué – parlant de « rhétorique eisensteinienne » – , des « concessions et des timidités » de Germi, un « manque de rigueur ». Nous abondons dans le sens du critique français, au moins sur certains points.
Le jeu des acteurs, certaines scènes d’action nous ont paru parfois mal maîtrisés (3). Raf Vallone qui incarne Saro, le leader des mineurs, aussi beau et costaud soit-il, est un peu raide et mécanique, il manque de fine expressivité.
Le récit n’est pas toujours très bien articulé, avec cohérence et conséquence.

Lorenza, l’une des migrantes, disparaît assez subitement de l’écran, perdue dans les rues de Rome. Son mari Antonio, parti à sa recherche, aussi. On aimerait savoir ce qu’ils deviennent. Même s’il est vrai que cette absence apparente d’issue, pouvant équivaloir à une forme de mort, n’est pas inintéressante. D’autant que le montage tend à représenter, à travers des plans très courts de camions et de tramways, ou des plans d’hommes importuns, que le milieu urbain est dangereux et vorace, notamment pour la belle blonde – incarnée par Mirella Ciotti – venue des fins fonds de l’île aux trois pointes. « Je suis mort sans que pour moi sonne le glas », entend-on dans l’une des chansons intradiégétiques de ce film choral.

Par contre, nous restons assez dubitatif quant à ce qui est de la relation entre Saro et Barbara. Barbara passe du statut de femme pécheresse, rejetée par sa famille, à celui de quasi-sainte. La compagne de Saro est morte dans des conditions qui ne seront pas révélées aux spectateurs. Après l’élimination du rival Vanni, le héros décide d’épouser Barbara pour qu’elle devienne la mère de ses trois enfants. Cette relation a quelque chose d’étrangement pudique, pour ne pas dire pudibonde.

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Le Chemin de l’espérance n’en demeure pas moins un beau film, à voir.

Il est édité en version restaurée par Tamasa, qui propose également en DVD/BR un autre film de Pietro Germi : Séduite et abandonnée (1964).

Notes :

1) La carrière d’Elena Varzi fut très courte. Elle y mit fin en 1954 alors que sa première apparition d’importance datait de 1950. Et ce, alors même que des cinéastes comme Federico Fellini ou Vittorio De Sica eurent manifesté leur envie de tourner avec elle. Elena Varzi et Raf Vallone se sont mariés après leur rencontre sur le tournage du Chemin de l’espérance.
2) André Bazin, Le Chemin de l’espérance, in Cahiers du Cinéma, n°20, février 1952, p.61.
3) Dans Le Chemin de l’espérance, certains enfants, notamment Buda, le petit garçon de Saro, sont cependant adorables.

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