Joseph Sargent – « En plein cauchemar / Nightmares » (1983)

Après avoir signé ses réussites cinématographiques les plus importantes (Le Cerveau d’acier, Les Bootleggers et Les Pirates du métro) au cours de la première moitié des années 70 et bénéficié de beaux succès, Joseph Sargent fait face à une redescente délicate. MacArthur, le général rebelle (1977) divise en plus d’être un semi-échec au box-office, De l’or au bout de la piste, son retour à la SF, est un bide sans appel et Coast to Coast, sa tentative de comédie romantique, vaut à Robert Blake une nomination au Razzie Award du pire acteur. Le cinéaste, qui avait temporairement délaissé la télévision à partir de 1975, réinvestit la petite lucarne début 80 où il avance au rythme soutenu de deux réalisations en moyenne par an. Dans le même temps, le film à sketches horrifique qui aura connu des temps forts à intervalles réguliers (des Trois Visages de la Peur de Mario Bava aux productions Amicus une décennie plus tard) revient en grâce à la faveur du carton de Creepshow de George A. Romero en 1982. Le phénomène se développe également en séries anthologiques à l’image de Dark Shadows, Night Gallery ou encore Darkroom et c’est a priori (le conditionnel est de mise, il se dit aussi qu’ils avaient vocation à introduire un nouveau show) pour figurer au sein de ce dernier ensemble que furent initialement pensés les trois premiers chapitres d’En plein cauchemar écrits par Christopher Crowe. Problème, jugés trop violents et trop intenses pour la télé, le projet sera repensé pour la salle. Un quatrième segment rédigé cette fois par Jeffrey Bloom (qui est, comme Crowe, un auteur officiant principalement pour le petit écran et ayant travaillé sur Darkroom) est tourné afin d’atteindre une durée supérieure à quatre-vingt-dix minutes. Quatre ans avant un ultime long-métrage de sinistre mémoire qui mettra fin à la carrière du metteur en scène sur grand-écran, Les Dents de la mer 4 : La Revanche, Nightmares constitue une très sympathique surprise. Ses origines télévisuelles mises en rapport avec le propre parcours de son réalisateur, en font la jonction idéale entre les deux versants de sa filmographie, tel un chant du cygne dissimulé derrière une apparence mineure. Quatre courts récits et autant de personnages se retrouvant à l’image du titre, en plein cauchemar : une mère au foyer fumeuse compulsive sort alors qu’un tueur fou est en cavale ; un jeune homme passionné de jeu vidéo se retrouve à la frontière entre virtuel et réalité ; un prêtre en crise de foi cherche des réponses à ses questions et une femme entend des rats dans les murs de sa maison…

En plein cauchemar – Copyright Elephant Films 2022

Le générique animé, soutenu par un thème entêtant où se mêlent nuages, orages, yeux rouges d’un félin et cratères en feu, laisse sobrement apparaître le titre Nightmares en blanc, à l’exception d’une tache de sang en guise de point sur le i. S’ensuivent quatre chapitres, Terror in Topanga, The Bishop of battle, The Benediction et Night of the Rat, qui se succèdent sans liant, mais explorent chacun à leur manière, une facette de l’horreur avec un plaisir de cinéma et une réelle efficacité, attestant du savoir-faire intact de son réalisateur. Si le quatrième, un peu plus classique dans son déroulé (il est cependant proprement et sérieusement mis en scène), souffre d’effets spéciaux nettement moins aboutis que ses prédécesseurs (pour ne pas dire au rabais, le rat animé évoque celui de La Famille Foldingue de Peter Segal avec Eddie Murphy), il recolle au premier segment sur le plan du thème, où un drame vient ressouder une famille en crise (il s’agissait d’un couple en conflit dans Terror in Topanga). La cohérence de l’ensemble se fait ainsi par un propos globalement semblable (l’épreuve réconciliatrice dans trois épisodes) ou des associations d’idées partagées (la dimension de trip hallucinatoire qui caractérise dans deux styles différents, The Bishop of Battle et The Benediction). La bascule d’un récit à un autre, avec découvertes de nouveaux protagonistes, cadres et enjeux, contribue au caractère ludique du long-métrage. On passe par exemple d’un slasher nocturne en banlieue sur Terror in Topanga, au plein jour dans une grande ville, musique à fond dans les oreilles du héros sur The Bishop of Battle. D’une durée allant de vingt à trente minutes par court-métrage, En plein cauchemar ne laisse pas de place à l’ennui et constitue un tout finalement assez homogène, pour un divertissement un peu trop injustement tombé dans l’oubli. Il a certainement fait les frais des sorties sur la même période de Creepshow et de La Quatrième Dimension, le film, porté par des cinéastes tels que Steven Spielberg, George Miller, John Landis et Joe Dante, pour autant il mérite largement d’être découvert.

En plein cauchemar – Copyright Elephant Films 2022

Terror in Topanga, outre la présence toujours appréciable de Cristina Raines de retour à l’horreur six ans après La Sentinelle des Maudits, se pose en entrée en matière idéale. Après une introduction sanglante aux airs de pur slasher stylisé, le film s’inscrit dans une certaine quotidienneté. Il pose un enjeu aussi simple qu’efficace : une femme à court de cigarettes brave l’interdiction de sortir de son mari alors qu’un tueur en fuite rôde. Cette tension conjugale et ce personnage rapidement à cran, permettent à Joseph Sargent de faire du moindre élément une source d’inquiétude potentielle (un chien, un autostoppeur, le réservoir d’essence quasi vide) mais également d’injecter une petite dose d’humour (le « I’m not Alone » d’un commerçant exhibant fièrement son arme à feu) jusqu’à la chute finale déjouant malicieusement les attentes. The Bishop of Battle, se tient d’abord à distance du genre en présentant deux amis adeptes de salle d’arcade, exécutant une petite arnaque pour se faire un peu d’argent. On comprend peu à peu que J.J (Emilio Estevez avant Breakfast Club) est obsédé à l’idée de franchir le dernier niveau d’un jeu vidéo, quitte à désobéir à ses parents et faire le mur afin d’atteindre coûte que coûte son objectif. Probablement inspiré par Tron de Steven Lisberger, sorti un an plus tôt, ce segment observe l’incursion du virtuel dans le réel, jusqu’à créer la confusion dans l’esprit de son héros et à l’écran. Chapitre le plus coûteux (il aurait nécessité près de neuf semaines de travail), il est aussi le plus fou et le plus impressionnant. Les parties de JJ filmées comme une expérience de transe où les images de synthèse en 2D et 3D reconfigurent la perception de la réalité avec laquelle elles s’entrechoquent, constituent le clou d’un spectacle tout simplement stupéfiant. À noter qu’il s’agit du seul épisode privé de conclusion heureuse ou apaisante, un point qui accentue son pouvoir d’obsession durable. Dans un geste de continuité feinte, The Benediction, s’ouvre sur un cauchemar, s’il dépeint une crise spirituelle, de facto moins immédiatement concrète, il gagne peu à peu en envergure, à la faveur des visions du mal qui perturbent son héros et du trauma qui le hante. Surtout, il opère en cours de route un virage étonnant vers le spectaculaire, quand au beau milieu du désert, sous la chaleur assommante, un véhicule présenté comme inquiétant devient un objet monstrueux sortant littéralement de sous terre (comme sur The Bishop of battle, les effets spéciaux sont de grande qualité). Hallucination ? Folie ? Le réalisme et le sérieux de la mise en scène ainsi que l’interprétation solide de Lance Henriksen, sèment le trouble. Night of the Rat, home invasion animal, joue d’abord sur une forme d’ambiguïté (Clair semble être la seule à entendre des bruits étranges) et la suggestion (bonne gestion du hors champ) avant de basculer dans une sauvagerie autrement plus triviale. Comme évoqué plus haut, il fait figure de chapitre le moins surprenant, néanmoins il demeure une conclusion tout à fait honnête.

En plein cauchemar – Copyright Elephant Films 2022

Quelques mois après MacArthur, le général rebelle, Elephant Films se penche sur un autre long-métrage de Joseph Sargent, lequel n’avait pas été réédité en France depuis la VHS ! Disponible en Combo Blu-Ray/DVD et DVD simple, il est possible de visionner le film au choix, en format 1.85 ou 1.33. L’édition s’accompagne d’un gros supplément, Histoires à dormir debout dans lequel Julien Comelli revient sur l’histoire du film à sketches en général puis spécifiquement dans le registre fantastique horrifique jusqu’à arriver sur En plein cauchemar, document complet et fourni, auquel s’ajoute une bande-annonce d’origine.

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A propos de Vincent Nicolet

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