La carrière de Joe Dante est marquée par différentes phases. Il se fait remarquer dès 1968 avec un premier (très) long-métrage, The Movie Orgy, compilation hétéroclite de près de sept heures, de publicités, de clips et de bandes-annonces des décennies 50 et 60. Son amour de la série B, de la culture de drive-in et télévisuelle, y est déjà central et donne un nouveau sens aux images en prenant la forme d’un puzzle délirant. Le profil du jeune homme tape dans l’œil d’un certain Roger Corman qui lui propose de monter les trailers de ses prochains projets. Après quelques années de labeur, le producteur finance sa première fiction, Hollywood Boulevard, cosigné avec son complice Allan Arkush (auteur de Deathsport alias Les Gladiateurs de l’an 3000). Pour sa première collaboration avec la famille New World Pictures (qui compte alors dans ses rangs David Cronenberg, Larry Cohen, Monte Hellman ou Paul Bartel), il démontre une nouvelle fois sa passion du cinéma en général et de la série B en particulier. Piranhas, très bon plagiat bisseux et en eau douce des Dents de la mer, le met définitivement sur le devant de la scène. Il commence à intéresser de plus grands studios, Embassy Pictures en tête. En réalisant Hurlements pour le compte de la compagnie derrière le carton du Lauréat, entre autres, il va entamer une deuxième phase, qui va le mener à rejoindre la galaxie Amblin de Steven Spielberg. Il tourne pour le compte du wonder boy, ses films les plus cultes (Gremlins 1 et 2, L’Aventure intérieure), ainsi que des épisodes pour la série Histoires fantastiques. Mais revenons à 1981 : The Howling (de son titre original) est l’adaptation d’un roman de Gary Brandner par Terence H. Winkles et John Sayles (scénariste de Piranhas et futur metteur en scène du formidable Lone Star). On y suit la jeune journaliste Karen White (Dee Wallace, maman d’Elliott dans E.T.), traumatisée suite à son agression par un tueur en série, qui décide de se rendre au cœur d’une thérapie de groupe en forme de communauté isolée dans les bois… Pour les quarante ans du long-métrage, Studiocanal a fait les choses en grand en proposant une nouvelle édition en UHD et une ressortie dans les salles en copie restaurée dès le 15 décembre, avec Splendor Films.
Les 80’s connurent une déferlante de films de loups-garous : Teen Wolf avec Michael J. Fox, qui mêle la comédie adolescente au mythe, ou les excellents La Compagnie des loups de Neil Jordan et Wolfen de Michael Wadleigh. C’est avec Le Loup-garou de Londres, que Hurlements entretient les rapports les plus étroits. Premièrement, John Landis et Joe Dante appartiennent à la même génération de cinéastes biberonnés à la télévision et à la série B (ils ont tous deux réalisé un segment du film à sketches La Quatrième dimension), mais surtout, les deux projets, sortis la même année, ont eu une gestation commune. Initialement engagé sur The Howling, le responsable des effets spéciaux Rick Baker abandonna finalement le projet pour rejoindre la préproduction du film de son ami Landis. Pour prendre sa relève, il conseilla à Dante d’engager l’un de ses disciples, Rob Bottin. Le jeune homme, qui avait déjà travaillé sur Piranhas, deviendra un collaborateur fidèle du cinéaste (L’Aventure intérieure, Explorers) ainsi qu’une sommité en signant les trucages de The Thing ou RoboCop. Ici également coproducteur, il multiplie les tours de force techniques. Entre effets gores pratiques et animation en stop motion héritée de Ray Harryhausen, le long-métrage rend hommage à diverses techniques de l’histoire du cinéma. Le metteur en scène conclut même son intrigue par une discussion ironique sur le pouvoir des VFX et la banalité de ces derniers, devenus quelque chose de commun dans le regard du spectateur. Bottin œuvre à faire de ses créatures des icônes du genre. Massives, impressionnantes, dotée d’un design reconnaissable, elles évoquent plus un démon sorti d’un conte qu’un simple loup (le réalisateur confie détester les lycanthropes trop « animaux », comprendre qui se déplacent à quatre pattes). C’est d’ailleurs ce qui oppose le traitement de Baker à celui de son élève : là où le mentor traite la transformation sous un angle quasi anatomique et réaliste, ce dernier fait le choix de la vision purement cauchemardesque, presque enfantine. Si la métamorphose en plan-séquence de fin de métrage semble moins douloureuse que celle de An American Werewolf in London, elle demeure tout aussi spectaculaire et marquante. D’autant plus impactante visuellement, que le récit se pare d’un discours thématique : la malédiction perçue comme un double retour du refoulé.
Sous-entendu substantiel du mythe du loup-garou, la résurgence de la bestialité, des instincts, principalement sexuels, sont au cœur de Hurlements. L’une des premières séquences, qui voit Karen échapper à un tueur sanguinaire dans un cinéma X, fait presque office de note d’intention. Il est d’ailleurs amusant de noter que le film semble démarrer là où Le Loup-garou de Londres s’achève (même décor, élimination de la menace). Dès lors, l’héroïne paraît autant traumatisée par la violence dont elle a été victime, que par les images pornographiques (assez brutales, proches de l’agression) qu’elle a vues sur l’écran. La mort et le sexe se retrouvent mêlés de la pire des manières dans son inconscient, elle refuse alors tout rapport avec son compagnon, Bill (Christopher Stone, qui retrouvera Dee Wallace dans Cujo). Lorsque ce dernier se retrouve « contaminé », c’est justement dès l’instant où il cède à ses désirs et aux avances de la mystérieuse Marsha (Elisabeth Brooks), lors d’une métamorphose en forme d’accouplement sauvage. Cette dernière entretient par ailleurs une relation trouble et presque incestueuse avec son frère T.C. (Don McLeod), symbole d’un retour des pulsions primales, délestées de tout jugement moral ou légal. De même, lorsque Terry (Belinda Balaski, fidèle de Dante) se retrouve face au monstre, la scène se change en véritable viol brutal et sans pitié. Là encore le parallèle est explicite : le lycanthrope serait donc la créature qui bouscule les normes sociales pour faire resurgir le monstre, la bête en chacun de nous. C’est toute cette dimension qui se retrouve dans le travail du docteur Waggner (Patrick Macnee), psychanalyste-star de la télé, fondateur et gourou d’une véritable communauté censée soigner ses patients.
Le groupe ne porte pas un nom anodin, ses membres l’appellent « la Colonie ». Karen fait le choix de quitter New York pour retrouver une Amérique rurale, archaïque, pleine de rednecks, de shérifs à la gâchette facile et de vieilles légendes indiennes. Autant d’éléments que les Etats-Unis modernes ont essayé d’exclure de leurs villes, préférant oublier un passé peu reluisant, entaché de diverses atrocités. John Sayles voulait, selon les dires de Joe Dante, offrir une satire des thérapies de groupe alors en vogue et de leur philosophie new age. Son script fait bien plus et attaque frontalement un pays englué dans un confort capitaliste mais profondément animé d’une violence difficilement contenue, qui ne demande qu’à être libérée. En cela, le film renvoie à Wolfen, dans lequel des loups vivent en plein cœur de La Grosse Pomme. Vestiges d’une époque sauvage, ils se nourrissent des laissés-pour-compte et des ordures, de tout ce que la mégalopole ne veut pas voir et rejette, jusqu’à ce que leur territoire se retrouve chamboulé par un entrepreneur. C’est justement cette brutalité dont parle Hurlements. Celle qui marque toute l’histoire américaine (Charles Manson est même évoqué), qui se retrouve sur tous les écrans à l’heure du journal (en témoigne la scène d’introduction), et qui ne choque même plus les spectateurs blasés. C’est à eux que s’adressent certains personnages, à l’image de ces deux regards caméra lourds de sens (lorsqu’un présentateur répète son texte dans une glace, ou lors de ce dernier plan goguenard). Waggner définit même la lycanthropie comme la réminiscence d’un mal qui souhaite retrouver sa place dans tous les individus. Bill, exemple type du citoyen de la classe supérieure, converti au végétarisme, qui va peu à peu retrouver goût à la viande, au sang. L’ultime transformation, en forme de discours politique, de mise en garde à l’antenne, prouve, par un effet spécial réussi et amusant, que certains ont pourtant été trop « domestiqués » pour révéler la bête en eux.
Tous ces thèmes à priori abstraits, ne sauraient faire oublier le vrai plaisir de cinéma (et de cinéphile) que constitue The Howling. Bourré de clins d’œil au septième art (les noms de différents personnages – George Waggner, Terry Fisher, Fred Francis- renvoient aux plus grands artisans du genre) et à la télévision (Patrick Macnee, inoubliable John Steed de la série Chapeau melon et bottes de cuir), il est un concentré des références de Dante. D’une première partie réaliste, déambulation nocturne, centré autour de la traque d’un serial killer dans les bas-fonds new-yorkais, évoquant Maniac de William Lustig, le film se mue petit à petit en pur délire. Le metteur en scène y invoque autant les poncifs de l’horreur (la cabane isolée dans les bois embrumés, la voiture encerclée qui ne veut pas démarrer), qu’une approche fun et cartoonesque (les personnages des Trois petits cochons de Disney apparaissent d’ailleurs dans un poste de télé). Préfigurant ses hordes de Gremlins, il s’amuse à filmer une meute de loups-garous enragée, autant qu’à faire apparaître Roger Corman au détour d’une séquence, plagiant l’apparition de William Castle dans Rosemary’s Baby. Si ce côté « sale gosse », inhérent à toute sa filmographie, est évidemment jouissif, le cinéaste ne prend pas la figure qu’il aborde à la dérision pour autant. Comme son confrère John Landis, Dante traite lui aussi les éléments folkloriques de la légende comme une pure invention littéraire et cinématographique (la pleine lune par exemple), symbolisée par la présence de Dick Miller en vieux brocanteur. Ici, la fiction prend pourtant le dessus sur la réalité et prouve sa primauté au détour d’une séquence où l’une des créatures affirme, à tort, ne pas avoir peur d’une balle d’argent. Le film le punit alors de douter ainsi de la puissance du mythe. Constamment sur la brèche entre premier degré et dérision, le long-métrage passe d’une scène glaçante renvoyant à L’Invasion des profanateurs, à un gag qui voit des bonnes sœurs déambuler dans une librairie ésotérique. Fort d’une maîtrise formelle impeccable (aidé en cela par la photo de John Hora, chef op attitré de Dante jusqu’à Panic sur Florida Beach), et d’une excellente bande-originale signée Pino Donaggio (Carrie, Body Double), Hurlements se pose comme l’une des réussites les plus marquantes de son auteur, que l’on espère voir un jour de retour en si grande forme après son décevant Burying The Ex.
Merci à Studiocanal pour cette ressortie en 4K, dont le combo s’accompagne d’un très intéressant documentaire intitulé Inside the Career of Joe Dante. Réalisé par l’équipe de Rockyrama, cet entretien est l’occasion pour le réalisateur de revenir sur ses sources d’inspirations, les films qui ont nourri son imaginaire d’enfant et ses projets avortés (notamment Le Fantôme du Bengale, qu’il devait tourner dans les années 90, avant d’être remplacé par Simon Wincer). Il y développe également sa vision de l’horreur comme un genre périlleux car toujours à la limite de l’absurde, tant il faut faire croire au spectateur des éléments improbables, et que tous deux sont indissociables de l’expérience collective. Une mise en valeur de plus de la dualité de son cinéma, toujours à mi-chemin entre rire et effroi.
Combo UHD / Blu-Ray disponible chez Studiocanal.
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