© Malavida

Le nouveau cinéma tchèque qui naquit au cours des années 60 dans la lignée des « nouvelles vagues » qui bousculèrent le cinéma traditionnel un peu partout dans le monde recèle de nombreuses pépites méconnues et on sait gré à l’éditeur Malavida d’exhumer ces trésors dans son indispensable collection tchèque.

Car ce cinéma ne se limite pas aux films les plus connus de Milos Forman et d’Ivan Passer et l’on est toujours surpris en découvrant ces œuvres par leur inventivité et leur fraicheur. Si je cite les noms de Forman et Passer, ce n’est pas un hasard dans la mesure où Jaroslav Papousek fut leur scénariste attitré (Forman adapta son livre L’As de pique et fit appel à lui pour les scénarios des Amours d’une blonde et d’Au feu les pompiers tandis que Passer collabora avec lui sur Éclairage intime) avant de passer lui-même à la réalisation en 1969 avec Le Plus Bel Age.

Ecce Homo Homolka est son deuxième long-métrage et met en scène la famille Homolka : un couple et ses jumeaux (ce sont les fils de Milos Forman qui tiennent les rôles) accompagnés par les parents de l’homme. Toute la famille se retrouve au départ pour un pique-nique dans la forêt. Ambiance bucolique et bon enfant pour débuter : les enfants se baignent, papy met les bouteilles de bière au frais dans la rivière et le cadre est idyllique. Non loin de la famille, un jeune couple batifole. Avec ses plans légèrement surexposés par une belle lumière estivale et sa manière de saisir le quotidien le plus banal avec justesse et humour, Jaroslav Papousek débute son film comme une chronique légère et buissonnière. On songe parfois au cinéma de Jacques Rozier. Mais lorsque le patriarche de la famille déclare que pour partager ce bonheur, il faudrait forcer les gens à venir ici, on devine que se dessine une vision beaucoup plus sarcastique d’une société sous la coupe des soviétiques.

D’ailleurs, d’étranges cris venus de la forêt font battre la famille en retraite. Il s’agit d’appel au secours qui font fuir tous les promeneurs du dimanche mais le cinéaste ne nous donnera pas plus d’explications. D’un point de vue métaphorique, on comprend qu’il pourrait bien s’agir d’une image d’un pays heureux en apparence mais qui peine à dissimuler les peines et massacres qu’il a dû subir, notamment avec l’écrasement du Printemps de Prague et l’invasion des forces du Pacte de Varsovie.

Papousek procèdera par la suite de la même manière, déroulant le fil tranquille de sa chronique familiale avec beaucoup d’humour (les facéties des jumeaux) et une empathie prononcée pour sa « famille moyenne ». Mais derrière ce bonheur factice reposant sur un ensemble de traditions (un des personnages dit, en substance, « la famille est le fondement de l’État), le cinéaste ne va cesser de faire souffler des vents contraires, de montrer les fêlures et les non-dits que dissimule cette adjonction au « bonheur ». Les conflits naissent d’abord entre hommes et femmes. Ludva (le père de famille) veut aller voir un match de foot alors que son épouse souhaite l’emmener avec les enfants assister à des courses de chevaux. Parallèlement, le grand-père se dispute avec sa femme qui refuse qu’il fume dans la chambre et finit par l’y enfermer. Dans l’espace exigu du petit appartement où évolue la famille, chacun tente alors de préserver son territoire : soit en enfermant son « ennemi », soit en s’enfermant pour se prémunir des autres (c’est ce que finissent par faire les jumeaux).

La beauté du film, c’est de ne jamais proposer un regard surplombant et mesquin sur cette famille qui lave son linge sale. Si les personnages ne sont pas dénués de bassesse et de médiocrité, ils sont aussi attachants et le cinéaste ne les condamne jamais. Au fond, c’est davantage un système dans son ensemble qu’il critique, notamment par sa manière d’enfermer les individus dans leur propre cage (le foyer). Le petit couple de tourtereaux qui évolue en périphérie illustre à sa manière ce regard satirique sur le régime. Dérangés dans la forêt, nos deux jeunes gens ne parviennent pas non plus à faire l’amour chez la jeune femme. Papousek joue sur un ressort très classique de comédie qui, de No Room for the Groom de Sirk à Allez coucher ailleurs de Hawks, consiste à empêcher les personnages de se retrouver tranquillement. Là encore, on peut y lire une critique contre un pouvoir omniscient qui prive les individus de leur liberté.

La satire se fait plus grinçante lorsque le cinéaste suggère que pour remédier à cette absence de liberté, il ne reste que le recours à la religion (un tableau de Vierge à l’enfant qu’on trouvait déjà dans L’As de pique) ou à l’abrutissement devant l’écran de télévision (elle est, pour le moment, hors-service et c’est ce qui provoque des tensions). Mais l’amertume n’empêche nullement une véritable tendresse.

Cette chronique consacrée à la famille Homolka connaîtra un grand succès et Jaroslav Papousek enchainera avec deux autres films consacrés à ses membres : Hogo fofo Homolka en 1970 et Homolka a tobolka en 1972. C’est peu dire qu’on espère pouvoir découvrir un jour ces deux suites…

***

Ecce Homo Homolka (1969) de Jaroslav Papousek

Avec : Josef Sebanek, Helena Razickova, Petr et Matej Forman, Marie Motlova

Éditions Malavida (collection tchèque)

Sortie France du DVD : 24 août 2022
Format : 1,66 – Noir & Blanc
Langue : tchèque – Sous-titres : français.

Bonus
un livret avec textes et analyse de Jean-Gaspard Páleníček (12 pages)

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A propos de Vincent ROUSSEL

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