Marilyn Monroe, actrice, mannequin et considérée comme un sex-symbol par l’Amérique entière, commence sa carrière mondiale. Entre excès en tout genre, sexe, drogue, alcool, cinéma et dépression, l’actrice livre sa vie entière mouvementée.

Blonde est l’adaptation attendue et redoutée du roman éponyme de Joyce Carol Oates publié en 2000. Il s’agit d’un des plus grands succès de l’autrice qui y livrait là une projection, une interprétation plus qu’une biographie, de la star hollywoodienne Marilyn Monroe. Détestés par les exégètes et fans pointilleux de Marilyn Monroe, le roman est fascinant par le portrait en creux vulnérable et torturé qu’il offre de l’icône. Cette démarche de déconstruction et d’humanisation du mythe rejoint en tout point les thèmes courant dans la courte mais passionnante filmographie d’Andrew Dominik. Chopper (2000) détournait le biopic d’un criminel médiatique australien pour aller vers autre chose, L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007) faisait d’un évènement mythologique de l’Ouest une oraison funèbre et Cogan: Killing Them Softly (2012) était un détournement total des archétypes du film criminel et de mafia à l’aune du cynisme moderne. Dominik envisage d’adapter le roman dès la publication mais les droits sont alors détenus par la chaîne CBS qui en tirera un téléfilm en 2001. Dix ans plus tard les droits se libèrent et Dominik relance le projet pour lequel il pense à Naomi Watts puis Jessica Chastain en Marilyn, mais faute de financement cela n’aboutira pas non plus. Il faudra attendre 2016 avec l’annonce du concours de Netflix, puis 2019 et l’engagement d’Ana de Armas dans le rôle-titre pour qu’enfin le film soit sur les rails.

La profonde fragilité et douceur que dégage Marilyn Monroe dans ses meilleures prestations ont un effet singulier chez le spectateur. Le néophyte ressent même inconsciemment qu’il y a quelque chose au-delà du jeu qui se révèle dans ce qu’exprime l’actrice, et le connaisseur sait exactement quels rapprochements biographiques faire pour relier la force de la performance à ce qui se rattache au passé ou présent douloureux de Marilyn Monroe. C’est précisément l’approche d’Andrew Dominik qui dresse dans sa narration un véritable tissu mental entre les maux de Norma Jean et la projection glamour qu’est Marilyn Monroe, chacune étant à tour de rôle une malédiction pour l’autre. Dominik ne recherche pas la subtilité dans ce parti-pris, mais une totale immersion dans le versant le plus douloureux de la psyché de Marilyn par ses idées formelles. Dès la scène d’ouverture où la petite Norma Jean subit les maltraitances d’une mère (Julianne Nicholson) mentalement instable, les enjeux sont posés. Pour sa mère, Norma Jean est le souvenir et symbole de l’amant qui l’a abandonnée et elle va entretenir chez sa fille un rapport à ce père absent qui se prolongera dans le choix des hommes de sa vie. La seule manifestation de ce père s’incarne par la photo d’un homme (qui dans la réalité ressemblait à Clark Gable avec lequel Marilyn jouera plus tard dans Les Désaxés (1960)) que sa mère a rencontré lorsqu’elle travaillait dans les studios. Dès lors la suite douloureuse est annoncée par la scène où en plein incendie californien, la mère fonce en voiture vers Laurel Canyon avec le panneau et les collines hollywoodiennes en perspectives. Cette quête du père se fera donc par le prisme de la facticité du monde du cinéma et sera un enfer intime représenté par les flammes.

Marilyn Monroe n’est pour les autres qu’une émanation fantasmée de leurs désirs les plus impudiques, leurs traumatismes les plus enfouis. Marilyn Monroe y répond quand Norma Jean au contraire projette aussi en eux ses douleurs les plus intimes. Dominik le présente de manière crue en mettant en parallèle une entrevue avec le patron de la Fox Darryl Zanuck se concluant par un viol, et une audition pour un rôle dans Troublez moi ce soir de Roy Ward Baker (1952). D’un côté un président de studio, un « père » (surtout dans le contraignant système contractuel des studios hollywoodien d’alors) qui ne voit en elle qu’une chair à consommer, et de l’autre l’équipe du film qui n’a retenu que son beau fessier alors qu’elle vient de livrer une prestation sidérante de lâcher-prise lors de l’audition. Les éléments qui construiront Marilyn se façonnent dès ce premier grand rôle marquant de Nell, l’héroïne schizophrène et meurtrière de Troublez moi ce soir. Les simples dialogues repris du film de Roy Ward Baker et le filmage/montage par association d’idées d’Andrew Dominik suffisent à enlever toute lourdeur au procédé, en ne se définissant que par l’image et le jeu stupéfiant de Ana de Armas. 

Après avoir mis en place cette approche en confrontant Marilyn Monroe à une entité presque abstraite et patriarcale du monde des studios, Dominik le prolonge par l’interaction de l’actrice aux différents hommes de sa vie. Objet attirant mais superficiellement exploité à l’écran, Marilyn Monroe devient synonyme de pur désir sexuel de cinéma avec le Niagara de Henry Hathaway (1953) où elle joue une femme fatale. Cette sensualité affichée et assumée dans sa persona filmique répond à sa sulfureuse liaison à la ville (totale invention du livre et du film) avec Charlie Chaplin jr et Edward G. Robinson jr, enfants débauchés de l’aristocratie hollywoodienne. Si l’absence du père marque les errances de Norma Jean, l’omniprésence du leur écrasent « Cass » Chaplin et Eddy Robinson, vide qu’ils noient ensemble dans des orgies sexuelles torrides. Dominik se montre fidèle au livre de manière assez folle dans ses provocations, et conjugue avec le brio une nouvelle fois par la seule image le stupre et le glamour, la transition de Norma Jean à Marilyn par un sidérant fondu enchaîné passant de l’étreinte torride sur un lit aux chutes du Niagara dans le film éponyme. Le bonheur furtif, l’état d’esprit volatile passe notamment par les changements de format (et du noir et blanc à la couleur), tel ce cinémascope venant s’inviter lors du pur bonheur du trio durant une scène nocturne de plage dont les étoiles deviennent les spermatozoïdes menant à la première grossesse de Marilyn et un basculement au format carré la ramenant à sa prison dorée. Elle ne peut être une mère dans ce que les hommes/le public/les studios projettent en Marilyn, mais elle ne peut davantage endosser cette maternité à cause de la meurtrissure de sa propre enfance. L’ambiguïté règne ainsi entre le choix et la contrainte lors d’une traumatisante scène d’avortement basculant dans le pur cauchemar.

Tout oppressant qu’il soit, Blonde entrecroise donc l’intimité de son héroïne et son personnage public sans être définitif puisque l’un peut être le refuge de l’autre au fil du récit. Tous les grands amours de sa vie sont des figures protectrices et matures qu’elle appelle « Daddy », du joueur de baseball Jo DiMaggio au dramaturge Arthur Miller. A l’idéal de femme au foyer soumise du premier Marilyn répond par une de ses séquences les plus légendaires avec la scène de la robe soulevée de Sept ans de réflexion (1955). Malgré le regard concupiscent des hommes, cet instant rend via la sensualité de Marilyn sa liberté à Norma Jean, l’alter-ego séduisant de cinéma la libère des chaînes qui contraignent les femmes ordinaires des années 50. La silhouette en amorce de ce corps admiré et désiré se place dans une somptueuse composition de plan face au visage furieux et anonyme de celui qui ne pourra jamais vraiment le posséder, Joe DiMaggio. 

 

Avec Arthur Miller, Marilyn est la réminiscence de Magda, un amour de jeunesse non consommé de l’auteur et évoqué dans son texte A Boy Grew in Brooklyn. Leurs premières scènes communes sont édifiantes, Miller se montrant surpris de voir la star Marilyn Monroe auditionner pour un de ses texte et lors de leur discussion étonné et condescendant en découvrant qu’elle a lu Tchekhov et fait des rapprochements avec son œuvre. Ce n’est que quand elle s’avère mieux avoir cerné « Magda » que lui que Miller en tombe amoureux, ne voyant ni Marilyn, ni Norma Jean (son hésitation à savoir comment l’appeler n’a de charmante que l’apparence) mais ce souvenir passé. Andrew Dominik perverti ainsi toutes l’iconographie mythique entourant le couple Marilyn Monroe/Arthur Miller en reprenant un pan entier de toutes les photographies d’époque (notamment pour le magazine Life) et la teinte de ce malaise sous cette apparence de bonheur parfait. Si Joe DiMaggio était un socle viril mais un piètre interlocuteur spirituel et intellectuel, Miller ne s’abandonne jamais complètement aux charmes domestiques et fait de son épouse une matière et inspiration de plus à son grand œuvre. Marilyn le ressent inconsciemment et physiologiquement, ce qui la mène à une fausse couche, les spotlights d’Hollywood ne faisant plus office de refuge comme le montre cette terrifiante évocation du tournage de Certains l’aiment chaud (1959). 

La dernière partie nous ramène à la solitude du début, sans l’espoir vain d’un changement. Andrew Dominik radicalise son approche avec un Kennedy abstrait et réduit à sa dimension libidineuse assujettissant Marilyn à son seul appétit sexuel. Il n’entrevoit aucun vécu ni possible en elle si ce n’est la jouissance immédiate qu’elle peut lui apporter, Marilyn devenant une ombre soumise et exposée aux gardes du corps du président pendant l’acte. La redite en plus horrible encore de l’avortement joue à nouveau la carte du doute à la fois entre la contrainte/volonté de Marilyn, mais aussi dans l’imagerie paranoïaque dessinant autant les terreurs de la star qu’une possible intervention gouvernementale pour interrompre la liaison. Ce côté halluciné de l’épilogue annonce ainsi la nature vaine de ce qui a fait tenir si longtemps Norma Jean, la quête et l’attente du père. C’est finalement tout le dogme d’Andrew Dominik qui se résume là, sa vision étant une pure synthèse de la face sombre tel que le Hollywood de l’âge d’or la scrutait déjà (Sunset Boulevard de Billy Wilder (1950) en tête), mais aussi la manière dont ses héritiers l’ont revisité au cinéma, David Lynch en tête (Blue Velvet (1986), Sailor et Lula (1990) et Mulholland Drive (2001) notamment), mais aussi dans la culture pop avec Madonna ou surtout récemment une Lana Del Rey fascinée par la figure de Marilyn. Tout ce patchwork est retranscrit dans le travail d’Andrew Dominik qui à la manière du livre de Joyce Carol Oates n’est ni un biopic prévisible et déférent, ni l’avilissement de l’icône que certains se plaisent à voir. C’est un kaléidoscope cherchant à exposer la facette la plus meurtrie de l’artiste, où la langueur hypnotique (bande-son exceptionnelle de Nick Cave et Warren Ellis) se dispute au cauchemar névrotique. Autant de registre où éblouit de bout en bout une extraordinaire Ana de Armas, mise à nu comme jamais, au propre comme au figuré.

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