Catherine Breillat – « À ma sœur ! » / « Romance »

À ma sœur ! (2001)

Anaïs a treize ans : encore trop jeune pour être une vraie jeune fille, mais trop âgée pour être perçue comme une enfant. Elena, sa sœur de deux ans son aînée, goûte à la liberté d’explorer et de jouir de la sensation d’être désirable au regard masculin. Car Elena est belle, grande, élancée ; et son visage et son corps sont ceux d’une jeune femme, aux traits d’adulte et au regard d’enfant. Anaïs, au contraire, ne connaît pas ce sentiment tout-puissant d’attirer le regard lascif des hommes, que sa sœur semble rechercher à tout prix. Son insouciance et son effronterie d’enfant se heurtent aux aspirations adultes d’Elena, et sont réprimandées par leurs parents dysfonctionnels et exempts d’affection. C’est l’été, et la famille passe les vacances dans une station balnéaire de Charente-Maritime, dans une maison au bord d’une piscine. Elena tombe sous le charme d’un séduisant et beau-parleur italien, Fernando, qu’elle rencontre par hasard avec Anaïs à la terrasse d’un café. Des prémisses sensuelles de paroles échangées aux rapports charnels, la petite sœur se retrouve fatalement figée en tant que spectatrice omniprésente des ébats entre Fernando et Elena —qui font l’amour pour la première fois dans la chambre des deux sœurs—, comme prise au piège d’un voyeurisme imposé, dans le comble de cette maison de vacances où les parents dorment ou se disputent à quelques pièces d’eux.

© LE CHAT QUI FUME

Plus de dix ans après 36 Fillette, À ma sœur ! esquisse à nouveau les contours du schéma patriarcal d’une relation entre une adolescente séduisante et juvénile, et un homme émérite dans l’obtention de son plaisir égoïste par la manipulation des femmes ; corps interchangeables et espaces de jouissance au gré du désir masculin. Elena, dont la beauté lui assure la conquête ultime des hommes, sécurise aussi son identité de femme désirable et désirée par la comparaison avec sa petite sœur, Anaïs, au physique jugé ingrat. Que son consentement soit bafoué, qu’elle soit violée et humiliée, Elena sait que, au moins, sa beauté séduit les hommes ; contrairement à sa sœur qui n’a a priori aucune chance d’être violentée ou assassinée par un inconnu en érection. Catherine Breillat superpose à son motif du patriarcat meurtrier la dimension d’une relation entre deux sœurs, où la rivalité mêlée à la complicité sororalement intrinsèques dévoilent la tristesse d’une sexualité féminine tragique, dans laquelle le pouvoir n’existe qu’à l’état de sacrifice.

© LE CHAT QUI FUME

Avec À ma sœur !, la cinéaste prolonge une fois de plus la radicalité de son œuvre, en étudiant frontalement la violence masculine, qui surgit et se répand aussi bien dans le trivial du quotidien, que dans les espaces les plus intimes, et transcendent les cellules (familiale, sociale et policière). Chez Catherine Breillat, la violence constitue le rouage du récit réaliste, se fondant alors dans une norme dont la terreur se fige dans le prosaïsme d’une famille en vacances. À ma sœur ! s’interdit toute consolation ou résolution cathartique féminine, faisant voler en éclats l’horreur du destin des femmes dans un climax tragique, où l’alliée, la sœur —généalogique et politique— devient martyre.

 

Romance (1999)

Avec Romance, Catherine Breillat s’inscrit dans son registre de solennité mélancolique et amère, qui se déploie également cinq ans plus tard dans Anatomie de l’enfer (2004). Des décors carcéraux monochromes aux paroles ininterrompues d’amertume et de rancœur, Romance scrute ses personnages avec tristesse, livides et exsangues.

© LE CHAT QUI FUME

Marie (Caroline Ducey) est institutrice et vit avec son amoureux Paul dans un appartement tout blanc et tout triste. Paul refuse de faire l’amour avec Marie, et Marie dépérit. Allongés sur leur lit conjugal d’hôpital, le dialogue devient une spirale d’ennui et de frustration. Une nuit, Marie s’enfuit et fait la rencontre, dans un bar, de Paolo (Rocco Siffredi), avide de plaisir et d’exploration charnels. Dans les périphéries du domicile conjugal austère et sans âme, la jeune femme fait l’expérience de désirs et sensations nouvelles : d’abord avec Paolo, l’inconnu du bar dans la nuit ; puis avec Robert, le directeur de l’école où elle travaille, qui, après l’avoir convoquée pour un rappel à la vigilance sur son orthographe —que Marie justifie par sa dyslexie—, l’invite chez lui et entame avec elle une relation à tendance BDSM. L’appartement de Robert est un antre de pouvoir de séduction, une chambre dans laquelle il dit avoir « conquis dix mille femmes », dont il collectionne méticuleusement les récits dans un répertoire. S’engouffrant dans cette vie parallèle, parfois plus proche du cauchemar que du fantasme, Marie se plaît à la soumission, au pouvoir d’épancher son désir interdit par son conjoint, et au jeu des faux-semblants.

Si Romance excelle en matière de récit dépressif, illustrant la morosité d’une relation amoureuse en perdition et la vanité du désir assouvi, sa teneur sépulcrale raye le regard dont l’âpreté finit par provoquer l’inconfort et brouiller le propos. 

Suppléments — À ma sœur !

À ma sœur ! par Catherine Breillat (30 mn)
• Livret de Murielle Joudet
• Film annonce

Suppléments — Romance

Romance par Catherine Breillat (30 mn)
• Livret de Murielle Joudet
• Film annonce

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A propos de Eléonore VIGIER

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