L’âge d’or du cinéma gothique italien entre 1956 et 1966 débute avec Les Vampires de Riccardo Freda et se clôt avec Un ange pour Satan, qui marque une rupture en douceur avec les codes d’un point de vue esthétique. Si l’ouverture, l’arrivée de Merigi en barque sur le lac, rappelle celle du Moulin des supplices se référant aussi à certaines toiles de Caspar David Friedrich, elle anticipe aussi celle de La Maison aux fenêtres qui rient réalisée 10 ans après. La douceur du noir et blanc, très peu contrasté, évoque davantage un drame romantique que celui d’un film d’épouvante. Les deux ne sont évidemment pas incompatibles, d’autant que le récit se déroule à la fin du XIXᵉ siècle.
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Roberto Merigi est chargé de restaurer une vieille statue liée à une terrible malédiction. L’arrivée d’Harriet, orpheline élevée par le comte de Montebruno, réveille de vieux démons liés à la terrible malédiction. Possédée par une force mystérieuse, elle plonge le village dans le chaos. L’histoire en elle-même ne se démarque pas des us et coutumes du genre, reprenant à son compte tout le bric-à-brac pour créer une atmosphère inquiétante jouant sur les ambivalences du personnage féminin central, à savoir l’incontournable Barbara Steele, encore très à l’aise et hypnotique, dans un rôle qu’elle connaît par cœur pour l’avoir, à quelques variantes près, endossé à plusieurs reprises. N’oublions pas qu’il s’agit de cinéma d’exploitation et que parfois l’implication de leur metteur en scène est variable. Freda et Marion Bava sont des plasticiens, véritables explorateurs de forme dédaignant souvent leur sujet. Antonio Margheriti, artisan plus modeste, a le fantastique dans son ADN, l’aborde avec un premier degré réjouissant. Il en est autrement avec le vétéran Camillo Mastrocinque, qui a débuté derrière la caméra en 1937 (Regina Della Scalla) pour terminer sa carrière en 68 par un documentaire sur Toto et une série autour de Fernandel. Spécialiste de la comédie populaire, il n’aborde l’épouvante qu’à deux reprises, une première fois en 1964 avec La crypte du vampire, écrit par Ernesto Gastaldi, et ensuite avec Un ange pour Satan, deux œuvres tardives, qui surprennent néanmoins pour leurs qualités visuelles. Très consciencieux, Mastrocinque a compris l’importance de la mise en scène dès qu’il s’agit d’histoires à faire frémir, sinon ça ne fonctionne pas.

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Un ange pour Satan est une œuvre curieuse, qui a un pas dans le passé et un autre dans le futur, à l’épicentre de deux pôles entre fantastique archaïque avec son lot de malédictions et une modernité qui s’exprime par les décors naturels et l’architecture d’une grande bâtisse qui n’a rien à voir avec celle d’un château. Les ruelles sombres et les murs en pierre avec les arcs voûtés laissent place à une esthétique diurne, étrangement lumineuse, avec même certaines séquences – fait rare pour être souligné – surexposées. L’étrangeté ne vient pas tant de la nuit, de la présence de spectres tapis dans l’ombre, mais bien de personnages aux comportements troublants. Cet appauvrissement artistique assumé appartient à un désir de renouvellement vidant l’espace pour se concentrer davantage sur son histoire, riche en surprises et interprétations, là où elle n’est parfois qu’un (beau) prétexte chez les raffinés Mario Bava et Riccardo Freda. La mise en scène, élégante, s’offre comme une épure, un geste graphique qui trouve sa beauté dans la manière de filmer les regards de ses protagonistes et antagonistes.

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Camillo Mastrocinque ne cherche pas à faire peur, ne s’inscrivant pas dans une démarche ludique de créer l’effroi par la surprise. Tant mieux, d’autant qu’avec le temps, les effets horrifiques ont tendance à vieillir. En revanche, la narration s’emploie à semer le doute entre le réel et le surnaturel. De cette ambivalence, le film captive, instaurant dès lors un climat onirique et hypnotique qui parvient à masquer ses menus défauts, à commencer par ses dialogues surannés et certaines situations d’une naïveté d’un autre temps. Enfin, le jeu limité d’Anthony Steffen, dont la palette d’expression se trouve réduite, fait pâle figure à côté de la prestation de Barbara Steele, qui vampirise l’écran. Elle y incarne donc Harriet, cette héritière qui ressemble à la statue restaurée trouvée au fond de l’eau. Habituée aux doubles rôles, elle se retrouve à nouveau dans la peau d’un personnage dont on ne sait s’il est manipulé par une force extérieure, humaine ou diabolique, ou si elle perd la raison. Tout est savamment organisé pour qu’on se focalise sur elle, alors que l’intrigue se déploie en périphérie, dissémine ses indices en arrière-plan jusqu’au dénouement final plutôt surprenant et bien amené. Le scénario, lointainement inspiré par La Venus d’Ile de Prosper Mérimée, bien construit, en enrichi par des thématiques habilement intégrés et exploités comme le sado masochisme dans une scène rappelant Le Corps et le fouet, la fusion de l’art et du réel et le poids psychique et symbolique d’une malédiction, qu’elle existe ou non.

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Méconnu, y compris de la part des amateurs, souvent mésestimé, Un Ange pour Satan n’a pas la flamboyance des grands classiques du genre, sans doute parce qu’il n’exploite pas le filon gothique, préférant dériver vers un ailleurs, un fantastique qui nait de légères distorsions avec le réel. Cet aspect ne rend que plus précieux ce beau film à redécouvrir.
Le film ressort dans une très belle copie 2K en combo Blu-Ray/DVD avec en bonus une présentation passionnante de Nicolas Stanzick et une interview de Vassily Karis, comédien grec qui interprète le professeur.
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