Laurent Cantet et Robin Campillo-« Enzo ».

La genèse d’Enzo est belle: le scénario a été écrit par Laurent Cantet. Après sa mort, Robin Campillo a repris le projet: ainsi a vu le jour “un film de Laurent Cantet réalisé par Robin Campillo”. Si l’empreinte de chacun des réalisateurs est facilement identifiable, l’osmose entre les deux univers est parfaitement réussie. Pour faire vite: le fil social cher à Cantet croise habilement une trame plus sentimentale sur la naissance du désir.

Le point de départ de l’intrigue rappelle, en miroir, celle de Ressources humaines (Laurent Cantet, 1999): un affrontement père-fils autour d’une trahison de classe. Mais le trajet est inverse: Enzo (Eloy Pohu, magnifique de trouble et de rage contenue) se déclasse. Ses parents sont prof de fac et ingénieure; son frère aîné suit la trajectoire attendue dans son milieu (Nathan Japy incarne joliment ce personnage écrit avec subtilité, qui n’a rien du premier de la classe tête à claques qu’il aurait pu être). La relation faite d’amour et de rivalité qui les unit est saisie avec délicatesse. Mais Enzo décide de passer un CAP maçonnerie, une discipline pour laquelle, pourtant, il ne montre que peu d’aptitudes. Le topos contemporain du transfuge de classe est pris à rebours. Dans ce sens, on ne parle d’ailleurs pas de transfuge mais d’ »échec » ou de « petites ambitions ». Ce sont les mots du père, qui, ironiquement, se sent méprisé. Pierfrancesco Favino est très touchant dans ce rôle de bobo aimant et dépassé. Il est aveugle à cet autre ébranlement : celui de l’attirance de son fils pour Vlad (Maksym Slivinskyl, beau comme un Brando), un ouvrier ukrainien. Seule la mère (merveilleuse Elodie Bouchez, comme à son habitude) sait le déceler. Bien au-delà d’un film sur l’homosexualité, Enzo est le récit d’initiation d’un garçon “en apprentissage”. On lui sait gré de rester pudique, de ne pas jouer sur les leviers de la honte de soi ou du rejet pour se concentrer sur une initiation au trouble. Élevé dans un paysage solaire et une maison toute en transparence (mais où l’on est finalement aveugle au monde), Enzo s’abime les mains dans les premières séquences: il découvre la rugosité et elle fait mal. Par le truchement de son amour pour Vlad, il s’ouvre à un autre univers, fragile, âpre, parfois désespéré, dont il apprend à percevoir les beautés. On peut devenir très sérieux quand on a 17 ans. Au-delà de l’opposition entre fluidité et opacité qui parcourt tout le film, l’image récurrente du plongeon évoque un vertige plus qu’une chute, et ouvre vers une forme d’épiphanie. La fin est magnifique de douceur. Elle propose une allégorie sur les ruines qui fait mouche. D’aucuns doivent visiter Pompéi pour les contempler; d’autres vivent dans un monde dévasté. Mais les ébranlements de la jeunesse existent partout; quelle que soit leur nature -politique, sociale ou sentimentale-, ils sont une voie vers la connaissance et l’acceptation. Ce film posthume est une ode à la construction de soi, que l’on entreprend quand bien même le monde semble s’effondrer. C’est certainement le plus bel hommage que l’on puisse rendre à celui qui l’a pensé.

Enzo a été présenté à la Quinzaine des Cinéastes lors du festival de Cannes.

Il sort ce mercredi 18 juin.

couleurs, 1h42.

 

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