Billy Wilder – « Spéciale Première » (« The Front Page », 1974)

Pour audacieuse que soit la comparaison – et toutes choses égales par ailleurs -, Spéciale Première pourrait apparaître comme une sorte de version vaudevillesque et burlesque de Douze hommes en colère de Sidney Lumet, sorti quelque quinze années plus tôt, en 1957. Mais surtout, la pièce de Ben Hecht dont le film de Wilder est l’adaptation a connu plusieurs versions filmiques, dont La Dame du vendredi de Howard Hawks, sorti en 1940. L’intrigue de Spéciale Première se déroule en 1929, au cours d’une journée où doit avoir lieu la pendaison d’un jeune homme accusé du meurtre d’un policier. Un journaliste pressé de se marier se voit contraint par son rédacteur en chef, homme avide d’articles à sensation, de retarder son union pour couvrir l’événement.

À partir de cette intrigue criminelle, Billy Wilder dresse une satire sans merci du monde du journalisme et en profite pour tourner en dérision les postures des institutions : la police, la presse à scandales et le gouvernement fédéral, dont le cinéaste raille les moeurs corrompues. Comme toujours chez Wilder, les figures du pouvoir sont grotesques, ce qui place aisément le spectateur du côté des laissés-pour-compte et des personnages des bas-fonds.

Le procès de Earl Williams a déjà eu lieu quand le film commence. Le jeune condamné déjoue l’attention du shérif et, pendant que la police de Chicago parcourt la ville à ses trousses, trouve refuge dans l’enceinte de la prison. Parallèlement, le rédacteur en chef d’un grand journal, Walter Burns (Walter Matthau) tente de persuader Hildy Johnson (Jack Lemmon), sa meilleure plume, de lui fournir un reportage éclatant sur cette affaire. Mais Hildy Johnson a démissionné pour convoler en justes noces avec Peggy Grant (Susan Sarandon). Burns met alors en place un plan machiavélique pour empêcher Johnson de quitter son poste, tandis que ce dernier se trouve aux prises avec sa future épouse d’un côté, l’évadé de l’autre, et enfin une prostituée au grand coeur amoureuse d’Earl Williams, et qui veut tout faire pour le sauver.

Spéciale Première se joue principalement dans le huis clos de la salle de presse de la prison, où l’intrigue galante et l’intrigue policière finissent par former un imbroglio rythmé de savoureux gags. Les sketches et quiproquos, dont le plus délectable est celui qui clôt le film, s’enchaînent avec frénésie, à coups d’entrées et de sorties des personnages dans la salle de presse. Le ton est caustique, souvent irrévérencieux, où les affaires de moeurs s’invitent sur la scène judiciaire, discréditant les autorités et les tenants de la bonne morale. Fidèle à son esprit subversif, Billy Wilder égratigne le puritanisme américain et ridiculise les personnages censés représenter l’ordre et le pouvoir. Car le cinéaste n’a pas son pareil pour réhabiliter les figures de criminels, de prostituées (Irma la Douce) et de déclassés (La Garçonnière) et pour critiquer la déshumanisation des institutions.

Si Spéciale Première peut paraître comme mineur dans la filmographie de Billy Wilder, c’est que le cinéaste privilégie le comique de situation plutôt qu’il n’approfondit l’étude des caractères. Le côté théâtral s’en ressent grandement, mais il est sauvé par l’habile duo formé par Jack Lemmon et Walter Matthau. Plus important, le comique s’accompagne d’un certain pessimisme sur les rapports sociaux et révèle une scène politique jamais très reluisante.

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A propos de Miriem MÉGHAÏZEROU

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