John Carpenter – « Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin »

Alors qu’il semble désormais plus désireux de continuer ses tournées de pop star à travers le monde que de poursuivre dans la voie du cinéma (son dernier long métrage The Ward, date de 2010), John Carpenter voit son hommage ludique et luxuriant au cinéma de Hong-Kong bénéficier d’une ressortie salles dans une superbe restauration 2k.  Culturopoing est fier d’être de la partie. L’occasion pour nous de revenir sur ce film mal-aimé à sa sortie, car au final trop en avance sur son temps.

Sorti en 1986, Big Trouble In Little China marque la fin d’une période dorée pour Carpenter. Car si The Thing ne réalisa pas les scores attendus au box-office, Christine et, dans une moindre mesure, Starman contribuèrent à imposer le réalisateur comme une valeur sûre d’Hollywood, après le succès d’Halloween et de New-York 1997 à la charnière de la décennie. Oeuvres relativement grand public, Christine (on le rappelle, adapté de Stephen King) et Starman (« un E.T. adulte » selon les propres termes du cinéaste) révélaient un Carpenter moins jusqu’auboutiste que ces précédents efforts ne le laissaient supposer (on se souvient évidemment de l’anarchiste New-York 1997, mais aussi du carrément nihiliste Assaut et ses enfants dessoudés en frontal). Nanti d’un budget confortable (pour l’époque) de 25M de dollars, Big Trouble devait marquer les noces populaires de Carpenter et du mainstream, comédie d’aventures trépidantes soutenue par des effets spéciaux signés ILM, la boite de George Lucas, le WETA des 80’s. Seulement voilà, le public fut loin de se bousculer en masse, précipitant le retour de Carpenter aux budgets en peau de chagrin et au cinéma-guérilla (en atteste les deux opus suivants du maître, Prince Of Darkness et They Live, véritables films de crise, œuvres d’un cinéaste en colère).

Les raisons du désaveu sont faciles à comprendre, à posteriori. Peut-être pire même, ces raisons sont clairement parti prenante du plaisir que l’on prend à revoir ces aventures distanciés mais pas cyniques pour un sou. Distancié car Carpenter n’essaie jamais de faire rentrer son héros dans le cadre, Jack Burton apparaissant pendant la quasi-totalité du film comme un grand couillon hâbleur mais sympathique, toujours en retard sur l’action, voire même parfois complètement en dehors (cf. la scène de bataille finale où, alors qu’il se décide enfin à se jeter dans la bataille, Jack s’assomme lui-même). Bien sûr, c’est toutefois grâce à lui au final que le grand méchant sera anéanti et la belle délivrée, mais il le fera à la faveur d’un tour pendable, geste tenant plus du pur réflexe que de la volonté. On comprend les réticences du public venu voir un héros « bigger than life » et découvrant une figure certes sympathique, mais loin des personnages d’actionners comme on en faisait dans les 80’s. Mais cela ne veut pas dire que Big Trouble est une oeuvre cynique, démontant façon postmoderne les mécaniques de l’action et jouant sur les codes avec dédain. Car Carpenter signe avec ce film une véritable déclaration d’amour au cinéma de Hong-Kong, réussissant même à retrouver la légèreté, l’humour azimuté et l’action débridée des classique made in HK. Et ce, sans jamais chercher à subvertir les codes si particuliers de ce cinéma, à les couler dans le moule hollywoodien. D’où la double incompréhension d’un public pas encore familier de l’oeuvre d’un Tsui Ark (auquel Carpenter se réfère souvent), pas encore prêt à voir non pas une oeuvre schizo, mais à deux visages.

La restauration constitue une valeur ajoutée indéniable à Big Trouble, les couleurs sont si éclatantes, les contrastes si saisissants que l’on a l’impression de redécouvrir le film. Bref le support HD paraît l’idéal autant pour les fans que les spectateurs qui ont la chance de ne pas l’avoir encore vu (comme nous envions ces yeux innocents…).  Les Aventures de Jack Burton Dans les Griffes du Mandarin nous rappelle un Eden, ce temps béni où le divertissement pouvait être une oeuvre d’auteur. Et l’on en vient à penser que Carpenter et son cinéma nous manque énormément.

Film d’une sincérité désarmante et d’une intelligence rare (on ne voit guère que Buckaroo Banzaï pour égaler le dispositif scénaristique, plein de respect envers le pop asiate, de Big Trouble – ça tombe bien, c’est en partie l’oeuvre des mêmes mains, celles de W.D. Richter), Big Trouble plongea certes dans les tréfonds du box-office, mais gagna avec le temps son statut de classique. Et apparaît, plus de trente ans après sa conception, toujours aussi frais et jubilatoire.

(Cette chronique est une révision de la chronique publiée le 7 juin 2010 à l’occasion de la sortie blu-ray du film)

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