Amulet est de ces œuvres dont on se demande comment elles ont pu germer dans l’esprit de leur créateur. Si l’on m’avait dit que l’actrice britannique Romola Garai, la frêle héroïne d’Angel de François Ozon, vue régulièrement dans des films à costumes historiques et romantiques, des comédies ou l’excellente série The Hours, créerait la surprise en écrivant et réalisant une œuvre d’épouvante rentre-dedans et subversive, je ne l’aurais sans doute pas cru. Après Amulet, tout est possible, on pourra désormais aisément imaginer Will Ferrell adaptant À La Recherche du temps perdu. Amulet met donc à mal avec bonheur tous nos préjugés. Le film débute comme un avatar de cinéma du réel mille fois traité, observant l’état du monde, dans une certaine mouvance qui ne déteindrait pas avec la sélection « visions de l’Est » du festival d’Arras. Un militaire revenu d’une -nième guerre des Balkans qui ne sera jamais nommée est de retour en Angleterre, dans une ville qui ressemble à Londres. Sans domicile fixe, il est assailli par son passé, lorsqu’il gardait une frontière, où il recueillit une réfugiée, et où il déterra dans la forêt une amulette dont la signification lui échappait. Après un incendie dans le squat qui l’héberge, il se retrouve à l’hôpital.  C’est là qu’une vieille et affable religieuse lui propose de venir tenir compagnie à Magda dans sa maison délabrée, qu’il en profitera pour rafraîchir, rendre plus habitable. Mais Magda n’est pas seule : elle s’occupe de sa mère moribonde qui ne se contente pas de pousser des gémissements, vu les traces de coups et de morsures qu’elle laisse sur les bras de sa fille.

Amulet opte pour un va-et-vient passé/présent, à coups de flash-backs, à vraie dire assez maladroit, qui a tendance à enfermer l’œuvre dans une certaine jroutine narrative. On devine rapidement qu’il y aura une révélation sur ces mois vécus par un héros revenu perturbé, hanté. Amulet, de fait, n’est pas dénué de maladresses d’écriture et de construction, mais au vu de son ambition et de sa singularité, on est tenté de lui pardonner aisément ses imperfections. Amulet frappe en effet par l’originalité de son ton, son basculement des genres et ses partis pris de bifurcation : Romola Garai tisse une atmosphère étouffante et délétère qui se décompose et décompose les sentiments, en miroir de cette maison crade, aux papiers peints déchirés, qui abrite à l’intérieur de ses murs d’improbables chauves-souris, comme un lointain écho aux « rats dans les murs » de Lovecraft. Avec en filigrane cette amulette du titre qui tarde à révéler son sens, l’écœurement de la matière, le suintant et la symbolique des formes, des motifs – tel le coquillage et l’escargot comme totems féminins ou matriciels –, renvoient d’ailleurs ouvertement à l’auteur américain. Le dernier acte, qu’il est impossible de dévoiler, plongera dans un enfer inattendu, quelque part entre le monde de l’écrivain et la satire visqueuse de Society de Brian Yuzna.

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Comment expliquer que tandis que le militantisme féministe échoue régulièrement à convaincre (cf Knives and Skin) lorsqu’il plonge dans le surlignage et le volontarisme, il s’avère aussi jouissif dans le final d’Amulet ? Mystère, ou pas tout à fait.  Sans doute le prisme du fantastique s’avère une fois de plus le meilleur vecteur pour un quelconque message et que paradoxalement la dimension dévastatrice et cathartique opère une forme de prise de distance dans son excès même, son caractère outrancier, laissant la rage intacte sans sombrer dans le moralisme. Une autre explication nous rapprocherait peut-être une fois de plus de Lovecraft : dans sa résolution, Romola Garai semble revenir aux sources des mythologies originelles, avec leurs divinités vengeresses des temps anciens, dieux antiques terrifiants et païens, et à la toute-puissance du destin, à la fatalité des tragédies grecques. Tout est écrit et l’individu est bien naïf s’il croit pouvoir échapper à son destin. Car les dieux ont soif. Dire qu’on attend avec impatience la suite est un euphémisme. (O.R.)

 

 

À l’heure de la chirurgie esthétique aussi accessible qu’un rendez-vous chez le coiffeur et des réseaux sociaux cultivant le culte de l’apparence et la mise en scène de soi-même, le long métrage d’animation coréen Beauty Water de Kyung-Hun Cho loge dans un produit cosmétique un véritable pacte démoniaque. Yaegi est une jeune femme timide complexée par son embonpoint, d’autant plus qu’elle travaille pour une émission de télévision mettant à l’honneur des égéries jolies et populaires. Un jour, après une humiliation de trop, elle reçoit un colis contenant des flacons de « Beauty water », une substance révolutionnaire ayant une action spectaculaire sur la peau. Complètement métamorphosée et épanouie, Yaegi va rapidement déchanter car cette transformation a un prix. La quête de la beauté vire alors au cauchemar… L’atout de Beauty Water est indéniablement son sujet, au premier abord classique (on ne compte plus les émules de Dorian Gray), mais qui tire ici un formidable parti des larges possibilités scénaristiques et plastiques de l’animation. L’embellissement et surtout la dégradation du corps humain, puisque Yaegi va constamment lutter contre le caractère éphémère des résultats obtenus, sont donc traités de manière particulièrement viscérale et graphique. Lambeaux de peau, corps rafistolé, plaies béantes sont la contrepartie organique de tous ces moments où Yaegi rayonne, tous les regards braqués sur sa beauté. Malheureusement, cela patine un peu du côté du scénario, assez répétitif et doté d’une révélation finale totalement inutile en plus d’être peu convaincante. On pourra également trouver l’animation peu fluide, les studios coréens n’ayant pas encore acquis le savoir-faire des japonais dans ce domaine, même si cela n’est au demeurant en rien gênant. Beauty Water vaut pour son atmosphère – une sorte de vertige à la Perfect Blue – sa dimension graphique très percutante lorsqu’il s’agit du corps humain, et sa critique bien sentie de ce culte de la beauté qui peut mener à des extrémités dramatiques. Ainsi on n’oubliera pas le visage décharné des parents de Yaegi, qui ont sacrifié toute la peau qu’ils pouvaient pour raccommoder leur fille ayant abusé du produit miracle, le visage parfait de Yaegi posé sur un corps de poupée de chiffon car elle n’avait pas assez d’argent pour être refaite entièrement et le torse aux yeux de la dernière séquence. En dépit de ses défauts, le film coréen se révèle donc une proposition intéressante donnant envie d’encourager l’animation coréenne. (A.J.)

 

L’idée était bonne, mais en l’absence d’un scénario plus consistant,  le Random Acts of Violence de Jay Baruchel peine à convaincre. Auteur de comic books horrifiques, Todd a trouvé le succès avec Slasherman, qui s’inspire d’un tueur en série ayant réellement sévi. Alors qu’il part en tournée promotionnelle avec son assistante, son éditeur, et sa petite amie qui elle fait des recherches sur les anciennes victimes de Slasherman, commencent à se produire des meurtres reproduisant des séquences imaginées et dessinées par Todd. C’est le début d’un road trip sanglant, en compagnie de l’incarnation vivante de Slasherman… Peu original, donc, également. Au rayon des œuvres littéraires prenant vie et entraînant leur créateur vers l’abîme, on trouvera rarement mieux que L’Antre de La Folie. Ici le réalisateur semble empêtré dans ses modèles et les passages obligés qu’il s’évertue à emprunter. Ainsi, aucun élément ne se démarque vraiment, à part peut-être cette scène de dédicace interrogeant le fanatisme et la responsabilité de l’auteur, question pertinente mais juste esquissée, également au travers du personnage de la petite amie de Todd, qui semble opposer à son réemploi quelque peu opportuniste de faits réels une véritable conscience du passé et la nécessité de rendre hommage aux victimes. Des situations plus écrites et nuancées auraient été préférables à ce final maladroit préparé bien en amont à grands renforts de flash-back. Si après une exposition efficace et une première partie plutôt inspirée on se laisse prendre au jeu, le soufflé retombe à mesure que les cadavres s’amoncellent et que le mystère entourant Todd s’épaissit. Tout juste pourra-t-on se satisfaire d’un certain suspense tout slasherien assorti d’effets bien gore, mais les pistes prometteuses non exploitées finissent par lasser. (A.J.)

 

Dans la catégorie du « casse qui tourne mal », The Owners ne révolutionne pas le genre mais demeure suffisamment efficace pour nous tenir en haleine. Dans la campagne anglaise, Nathan et deux amis à lui guettent le départ d’un couple de personnes âgées de leur élégant manoir pour aller dérober le contenu de leur coffre-fort. L’affaire est censée être rondement menée et Mary, la petite amie de Nathan, se retrouve embringuée dans le délit. Seulement, une fois sur place, les imprévus se succèdent et la partie semble de plus en plus loin d’être gagnée… Julius Berg opte d’emblée pour un ton légèrement décalé, puisque notre bande de gangsters se révèle rapidement être un duo de bras cassés, prolétaires un peu naïfs qui ont monté le coup comme on improvise une soirée. Peu dégourdis puis dépassés par les événements, ils seront bientôt pris au piège. Accompagnés par un malfrat à la petite semaine, chaque caractère se définit à gros traits : le mec lambda, le copain un peu simple et le bad guy. Le couple âgé bénéficie du même traitement : elle sénile et revêche, et lui manipulateur et faussement affable. Seule Mary (Maisie Williams très prometteuse dans d’autres rôles que celui qui la fit connaître) présente une personnalité plus complexe, elle est la vraie héroïne du film, échappant aux archétypes et imposant une belle présence tout en énergie. Pour le reste, on assiste à un grand jeu du chat et de la souris, sans grande surprise mais avec un déroulement suffisamment habile pour que l’on se prenne un minimum au jeu. Pas mémorable, mais efficace le temps d’une projection. (A.J.)

 

 

 

 

 

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