Amélie et la métaphysique des tubes de Mailys Vallade et Liane-Cho Han : divine enfance
Présenté en Séance Spéciale au Festival de Cannes 2025, Amélie et la Métaphysique des tubes marque les débuts prometteurs de Maïlys Vallade et Liane-Cho Han dans le long-métrage d’animation. Adapté du roman éponyme d’Amélie Nothomb, le film retrace les premières années de l’autrice, bercées par la lumière du Japon des années 1970, dans une proposition où l’animation devient langage intime et réflexion existentielle.
Le récit adopte un point de vue singulier : celui d’un nourrisson qui se pense d’abord comme un « tube digestif », puis comme un Dieu omniscient. Cette construction philosophique et absurde, inspirée du roman original, est transposée à l’écran par une animation ondoyante, où chaque émotion fait vaciller la forme. Le monde y est perçu comme un flux, où les repères temporels et spatiaux se dissolvent au profit de sensations primaires : chaleur, lumière, douleur, manque.
L’un des cœurs battants du film réside dans la figure de Nishio-san, tutrice lumineuse et figure d’attachement, dont la disparition agit comme un seuil entre la toute-puissance enfantine et la confrontation au vide. À travers elle, et à travers le geste d’animation, Amélie et la Métaphysique des tubes parle du deuil, mais sans pathos, dans la continuité d’un éveil sensoriel. La guerre, en arrière-plan, apparaît comme un écho sourd, un bruit lointain, jamais frontal mais intimement lié aux fractures intérieures.
© Copyright Haut et Court
La direction artistique, confiée à Eddine Noël, se distingue par sa maîtrise des textures naturelles, du dessin aquarellé et d’une palette lumineuse qui varie au fil des saisons. Ce travail chromatique et sensoriel s’appuie sur une observation attentive de la lumière japonaise — celle filtrée par les paravents, celle qui glisse sur les parquets ou se dépose sur la peau. Chaque décor devient alors une chambre d’éveil, chaque changement climatique un basculement émotionnel.
Du point de vue de l’esthétique de l’animation, le style graphique adopte des textures naturelles, des formes rondes pour une technique d’animation mixte (numérique et aquarelle). Le travail de la lumière est crucial pour l’expression intérieure et s’inspire des saisons, des rayonnements lumineux propres maisons japonaises pour brosser le parcours émotionnel du personnage, de l’éveil de sa conscience à son départ. L’animation revendique un artisanat du flou, une esthétique de l’inaccompli : les personnages bougent avec une imperfection assumée, parfois les arrière-plans semblent des souvenirs incertains, lumineux et acidulés : vus au prisme d’un regard d’enfant.
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Le choix d’éloignement du photoréalisme permet aux réalisateurs Maïlys Vallade et Liane-Cho Han de traduire visuellement le point de vue métaphysique de la petite Amélie : les formes se déforment, les contours vibrent légèrement, comme si l’image elle-même hésitait entre présence et abstraction. Les premières séquences, qui donnent des bribes de situations inachevées, traduisent la focalisation sensorielle d’un enfant qui ne perçoit pas encore le monde dans sa totalité, mais par fragments de sensations et d’émotions. Cette esthétique mouvante donne au film une poésie visuelle, tout en s’inscrivant dans une tradition de cinéma d’animation introspectif.
Cette approche rappelle le cinéma de Isao Takahata (Le Conte de la princesse Kaguya, Mes voisins les Yamada), de Sunao Katabuchi (Dans un recoin de ce monde), ou encore les premiers films de Hayao Miyazaki (Mon voisin Totoro, Kiki la petite sorcière), sans jamais se réduire à l’imitation. Elle s’inscrit dans une tradition contemplative japonaise, inspirée également de l’essai Éloge de l’ombre de Jun’ichirō Tanizaki, où la beauté naît du retrait, de la nuance et de l’imperceptible. Le travail avec Rémi Chayé, réalisateur de Tout en haut du monde, est aussi sensible dans cette attention portée à la texture et au rythme intérieur des images.
La bande originale, signée Mari Fukuhara, prolonge cette exploration introspective : des motifs légers, des harmonies suspendues, des silences habités. À la musique s’ajoute une voix off — celle de l’adulte Amélie — qui éclaire le récit de réflexions à la fois drôles, philosophiques et mélancoliques. Le texte de Nothomb est ici respecté dans son esprit plus que dans sa lettre : il est reconfiguré pour nourrir un dialogue entre le souvenir et la sensation.
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Amélie Nothomb, bien que n’ayant pas participé directement à l’écriture du scénario, a exprimé sa satisfaction quant à cette adaptation, la qualifiant de « meilleure adaptation » de son œuvre. Les réalisateurs ont su préserver l’esprit du roman, en mettant en avant la richesse introspective du récit et en évitant les écueils d’une narration trop explicative. Le film parvient ainsi à capturer l’essence de l’œuvre originale, tout en exploitant pleinement les possibilités euphoriques offertes par le médium de l’animation.
Si l’auteure confie n’avoir jamais imaginé voir un jour la « petite Amélie » portée à l’écran, la découverte du film a suscité chez elle un émerveillement mêlé de joie et de gratitude. Cette transposition visuelle et sensorielle lui a même permis, dit-elle, de reconsidérer certains éléments de son enfance sous un nouveau jour. Ainsi, la fête de l’Obon — rituel japonais honorant les morts — très présente dans le film, lui est apparue comme un moment fondateur qu’elle n’avait jamais pleinement saisi auparavant. Ce retour d’une mémoire enfouie, révélé par le film, participe de la puissance introspective de l’animation : elle ne reconstitue pas le souvenir, elle en reconfigure la portée. En cela, Amélie et la Métaphysique des tubes n’est pas seulement un portrait d’enfance, mais un acte de redécouverte, y compris pour celle qui l’a vécue.
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Amélie et la Métaphysique des tubes s’adresse à un large public, en proposant une réflexion sur la construction de l’identité et la manière dont nous appréhendons le monde dans nos premières années. L’adaptation de La Métaphysique des tubes était loin d’être évidente. Comme le souligne Amélie Nothomb elle-même, le roman ne raconte « quasiment rien » : pas d’action au sens traditionnel, mais une plongée dans l’expérience sensorielle d’un nourrisson. En cela, il s’inscrit dans une tradition de récits initiatiques, tout en apportant une touche d’originalité par son approche spirituelle et sensorielle rendue par les couleurs vives et la juxtaposition de situations, qui façonnent autant de variations de l’expérience enfantine et le parcours d’un éveil au monde.
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