« Sunshine » renaît en splendeur à Cannes Classics
Vingt-six ans après sa sortie, Sunshine d’István Szabó resplendit à nouveau dans une version restaurée en 4K , présentée à Cannes Classics 2025. Cette résurrection cinématographique est l’un des événements les plus attendus de la 78ᵉ édition.
Pilotée par le National Film Institute Hungary en collaboration avec Serendipity Point Films, la restauration 4K de Sunshine a été supervisée par le chef opérateur d’origine, Lajos Koltai. Les tirages 35 mm conservés à l’Université de Californie à Berkeley et à la BFI National Archive ont été minutieusement numérisés et étalonnés, rendant justice à chaque nuance de lumière et de couleur conçue par Szabó et Koltai. Le résultat est une image d’une précision inédite : les vastes décors hongrois, les détails des visages et la texture des costumes reprennent vie avec une clarté et une profondeur bouleversantes.
La présence ce soir d’István Szabó, accompagné du producteur Robert Lantos et de György Ráduly (NFI Hungary), donne à cette projection une portée intime et historique : c’est l’œuvre d’une vie que l’on célèbre, le prolongement cohérent d’une filmographie dédiée à la mémoire et à la résilience. Le public cannois aura l’immense privilège de saluer celui qui, depuis Mephisto jusqu’à Hanussen, n’a cessé d’explorer les tensions de l’Europe moderne.
En offrant à Sunshine cette restauration somptueuse, Cannes Classics rend un hommage mérité à un film ambitieux et universel, réunissant technique de pointe, récit humaniste et performances d’acteurs inoubliables. Ce soir, c’est bien plus qu’une séance : c’est la célébration d’un patrimoine cinématographique retrouvé dans toute sa splendeur.
« Sunshine » d’István Szabó : la lumière tragique de l’Histoire
Œuvre ample, grave, d’une rigueur rare, ce film-somme mérite aujourd’hui plus que jamais sa place parmi les grandes fresques européennes du XXe siècle. Redécouvrir Sunshine en 2025, c’est mesurer à quel point le cinéma peut être, quand il s’en donne le temps et la mémoire, une forme de conscience historique.
De l’Empire austro-hongrois à la fin du communisme, en passant par le nazisme et les purges staliniennes, Sunshine traverse un siècle européen à travers les destins d’une famille juive hongroise, les Sonnenschein. Trois générations d’hommes – Ignatz, Adam, Ivan – incarnées par Ralph Fiennes, dans une performance sobre, magistrale, presque spectrale. Ce triple rôle, loin de tout artifice, devient le fil rouge d’un questionnement profond sur l’identité, la loyauté, l’effacement et la transmission.
Szabó ne cherche jamais l’effet. Il privilégie la progression des idées, la complexité des conflits intérieurs, la lente dépossession des personnages au contact de l’Histoire. Sunshine est un film sur le pouvoir de l’assimilation autant que sur ses illusions, sur ce que l’on accepte de renier pour survivre, et ce que cela coûte.
La mise en scène d’István Szabó, d’une clarté rigoureuse, refuse toute grandiloquence. Le montage fluide, les ellipses silencieuses, les scènes d’intérieur ciselées par la lumière de Lajos Koltai confèrent au film un rythme feutré, presque musical. Les teintes automnales, l’omniprésence du bois, des dorures passées, des visages tirés par le doute ou la peur, composent une esthétique du temps qui ronge, de la lumière qui décline.
La direction d’acteurs est d’une justesse rare. Rachel Weisz, Rosemary Harris et Jennifer Ehle incarnent des figures féminines aussi essentielles que discrètes, piliers invisibles d’un récit d’hommes en crise. Mais c’est bien Fiennes, tout en retenue et en douleur contenue, qui imprime au film sa dimension élégiaque.
À l’heure où les extrémismes, les révisions historiques et les replis identitaires refont surface, Sunshine résonne avec une acuité renouvelée. Ce n’est pas seulement un film sur l’histoire des Juifs en Europe centrale, mais un film sur la mémoire intime des grandes tragédies, sur ce que l’on transmet de génération en génération, consciemment ou non. Sur la fidélité, à soi-même comme à ses morts.
Le scénario coécrit avec Israel Horovitz évite les démonstrations pesantes : il fait confiance à la durée, aux regards, aux silences, pour dire ce que les mots n’osent plus. Sunshine est une méditation sur la dignité discrète, sur les existences que l’histoire brise sans bruit.
La restauration en 4K redonne à Sunshine sa texture organique, son grain chaud, sa noblesse visuelle. Mais ce qui frappe surtout, c’est combien le film n’a pas vieilli. Il n’a rien perdu de sa force morale, de son élégance narrative, de sa résonance humaine.
Dans un cinéma contemporain souvent pressé, éclaté, autocentré, Sunshine apparaît comme un monument de cohérence et de souffle, un hommage à ceux dont les noms s’effacent dans les marges des livres d’histoire. C’est un film qui croit encore à la grandeur tragique, à la mémoire comme acte de résistance. Une œuvre précieuse et humblement bouleversante.
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