Rencontre avec Louise Dumont : « sortir de la photo »

 A la fin de sa vie, Oscar Wilde s’est mis à la photo. Un jour, on lui a demandé ce qu’il préférait photographier : les vaches ou les maisons. Vous savez ce qu’il a répondu ? Eh bien,  » les vaches, parce qu’elles ne bougent pas  » .

Barrie Walker (un peintre de passage)

 

Louise Dumont, c’est d’abord un phrasé. Et puis, surtout, une certaine manière de joindre le geste à la parole. Les gestes sont courts, brefs, jamais trop loin du corps – comme s’ils redoutaient de prendre un peu d’ampleur. Presque repliés sur eux-mêmes, ils s’enchaînent pourtant les uns avec les autres, parvenant ainsi à composer une sorte de mouvement à la fois fluide et discontinu. Morceaux choisis donc, à L’OpenBach, le 5 septembre 2019, où il y avait du vin et des photos.

«  Je suis creusoise. Du coup, y a des Limousines. C’est pas des voitures, c’est des vaches. (…) J’ai eu un camescope à 16 ou 17 ans. Je faisais des photos avec le camescope. Au lycée, je prenais des petites fleurs. Je faisais que de la merde. (…) En fait, au début, j’avais le fantasme de l’écrivain, quoi… C’étaient les mots qui m’intéressaient. Je me voyais pas faire de la photo. Depuis que je suis petite, enfin… J’étais p’têt dans la facilité. Oui, enfin… »

 « J’ai fait une espèce de série avec des phrases, des trucs. C’est mes photos avec le plus de pas de corps. Mais on est carcasse aussi. On fait de l’art vivant avec des carcasses. »

 « Les visages, les émotions, tout ça… Moi, je coupe les têtes. Parce qu’on voit l’émotion dans le visage. J’ai un problème avec mon visage. J’aime bien quand c’est flou, qu’on reconnaisse rien.  Du coup, quand le corps est là et qu’il n’y a pas de visage, si je marque « autoportrait », c’est un autoportrait, mais ça peut être n’importe qui en même temps… Et pour moi, c’est quelqu’un d’autre. Y a pas de visage dans le garage, pour que n’importe qui puisse s’identifier-parce que ça fait autoportrait. Et les gens qui disent, genre, ça te fait pas bizarre que nous, on voit tes photos ? – en fait, ça n’a rien à voir. Même si je suis nue. Ou pas. Ça n’a rien à voir avec moi en nu. »

« Le visage passe mieux en photo. C’est la surface de peau. J’aime pas les trucs trop symétriques. C’est pour ça que j’aime pas les visages. Ça me fait penser à Dorian Gray. Le mal… Ce que tu présentes et ce que tu es. Le visage, tu te retrouves pas. Quand je vois des portraits, j’arrive pas à me projeter. C’est pour ça que je fais pas ça. Le visage, c’est trop joli. »

« Les visages, c’est comme les tatouages. On reconnaît tout de suite. Les tatouages, bof… Ou alors il en faut beaucoup. Pour que ça recouvre. Sinon ça fait un petit truc qui attire l’œil et… le visage, aussi, ça attire l’œil. C’est l’identité, un peu. Mais le corps aussi, on peut reconnaître. »

 

« Je veux pas mettre de trucs, de l’érotisme, des seins, du cul – et y a pas de visage. Mais du coup, il reste plus rien – plus grand-chose – dans le corps. Du coup, y a beaucoup de dos ! (rires) Et l’impression, c’est… enfin, là, si, c’est des fesses quand même… Mais dans ma série dans le garage, j’ai l’impression…qu’il y a pas de visage, y a pas de sexe non plus – parce qu’ils sont souvent dans le sombre. Et qu’il y a que, ouais, des dos – et des torses. Et des torses quand ils sont pas trop en volume. Ou quand on voit les sexes, je retouche. Je supprime des bites ! (rires) En fait, je veux plus que ça ressemble à un humain. J’aime bien ce truc simple. »

Louise Dumont, c’est d’abord un phrasé, disions-nous. On peut juger sur pièces. Elle a des mots. Des mots sans tête. Seule manière de leur rendre l’esprit : l’esprit qu’ils ont perdu à trop prendre le pied de la lettre. Du reste, loin de courir la phrase comme des poulets décapités, ils se constituent plutôt en nœuds, entravent le délié de la langue, se ramassent – à l’image des corps de la série « D’en bas je m’y courbe » – et bougent à leur place dans le dédale obligé du vocabulaire. C’est un flow incantatoire de tachycardie. Du verbe ébréché, qui écorche un peu la bouche. « Sortir de la photo » est le dernier projet en date (forcément flou) de Louise. Il s’agit, pour l’instant, de greffons de tissus divers et de pièces de bois désossées. Le cadre a disparu, et l’objet, enfin libre de tout engagement, s’est réfugié dans un ailleurs qui n’est peut-être pas si loin de chez nous. C’est que l’art a beau avoir  jeté sa gourme depuis longtemps, on le présente encore aujourd’hui en y mettant un peu trop « les formes » : c’est l’invité d’honneur éternel de notre quotidien. Etiquette flatteuse qui n’est, au fond, que l’avers pimpant d’un véritable protocole de l’exil. Un statut VIP pour expulsé.  Avec Louise, cependant, on décompresse : l’art, c’est juste un voisin de palier. Mais pas le bruyant : l’autre, le silencieux. Celui dont on ne sait jamais ni à quelle heure il « sort », ni à quelle heure il « rentre ». D’où le fait qu’il devienne de plus en plus difficile à suivre. D’où le fait qu’il y a tout à gagner à perdre enfin sa trace.

 

(Cela dit, vous pourrez quand même suivre les traces de Louise ! – pour les plus aventureux d’entre vous, du côté de L’Aeon Gallery , à Richmond, Illinois, lors de la « Rapture » exhibition du 26 Octobre prochain, puis le 11 janvier 2020, à cette même galerie, sur le thème aussi prometteur qu’envoûtant de la Muse. Plus accessible peut-être : une expo hexagonale, prévue à la Galerie d’art et d’or de Châtillon sur Seine, du 23 novembre 2019 au 2 Janvier 2020. Donc à vous de jouer désormais !)

Crédit photos : © Louise Dumont

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A propos de Sylvain BESNARD

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