Entretien avec Babetida Sadjo à propos de sa pièce « Les murs murmurent »

Comédienne belge originaire de Guinée-Bissau, Babetida Sadjo partage son talent entre la France et la Belgique, la scène et le cinéma, les courts et les longs métrages ou encore les salles obscures et le petit écran. En mars 2016, elle représente le Afrika Film Festival de Louvain, et son portrait en illumine les affiches, sa présence les cérémonies et les débats à l’issue des séances.

AFF Babetida Sadjo

Avant d’atterrir au Conservatoire Royal de Bruxelles, Babetida Sadjo rencontre le théâtre au Vietnam où elle vit durant quatre ans après avoir quitté Bafatá, capitale de la région du même nom, en Guinée-Bissau. Depuis, elle apparaît dans de nombreuses pièces d’auteurs célèbres dont Race, de David Mamet, dans laquelle elle donne la réplique à Émile Abossolo M’bo. Elle vient de jouer dans Terre Noire, au Théâtre National de Nice, pièce qui rassemble Hippolyte Girardot et Romane Bohringer, avec une mise en scène de Irina Brook. Ce spectacle sera repris à Paris et en province française début 2017.

Cependant, au cinéma, elle reste longtemps cantonnée dans les seconds rôles. Ce qui ne l’empêche pas de remporter, en Flandre, l’Ensor du meilleur second rôle pour Wasteland, de Pieter Van Hees, aux côtés de Jérémie Renier. Cette composition lui vaut également d’être nominée aux Magritte.

WastelandBS

Avant d’interpréter son premier rôle principal dans le long métrage And Breathe Normally, de Isold Uggadottir, elle impose sa première création en tant que dramaturge, Les murs murmurent, et dont les premières représentations auront lieu au mois de juin 2016, à La Samaritaine, à Bruxelles. La jeune comédienne se mue en jeune auteure pour une première pièce qui prend la forme d’un monologue qui évoque l’absence du père et le manque d’amour.

Une femme arrive devant son père vu pour la dernière fois quinze ans plus tôt. Elle veut lui dire le manque de lui. Elle veut lui parler de l’abandon qui n’en finit pas de guérir. Elle arrive dans cet endroit où le silence des morts permet les paroles des vivants. De reproches en déclarations d’amour, elle déroule le fil de sa vie vide de lui et remplie de blessures d’enfance. Elle attend une réponse à ses questions. Serait-il encore temps pour une rencontre entre père et fille, ou bien le bruit du manque du père ne laissera percer que l’écho de celle-ci ?

Les murs murmurent est une supplication à prendre la parole tant que les verbes articulent encore nos émotions. Un cri face au silence !

Qu’est-ce qui vous a amené à écrire ?

J’ai toujours voulu écrire mais le temps me manquait et puis surtout chaque chose en son temps, ici c’est le sujet qui m’a intéressé le lien père fille.

Les murs murmurent est donc votre première pièce…

C’est ma première pièce que j’ai osé terminer, monter, produire et jouer. J’ai décidé de prendre le risque de créer et de restituer le lien père et fille qui m’a toujours fasciné.

Pourquoi cela ?

C’est un mystère puisque je n’ai pas eu de père. Enfin, si, mais c’est un père absent… physiquement. J’ai épinglé la souffrance de l’absence des pères chez des femmes que je côtoies, ainsi que chez moi, et c’est un sujet qui est banalisé. Le lien qu’un père dessine sur le destin relationnel de sa fille. Je trouvais que cela méritait un coup de canif et une opération chirurgicale afin d’ouvrir le débat… J’ai compté le nombre de souffrance des filles et j’ai décidé d’en parler.

Babetida Sadjo

Pourquoi ce choix du monologue ?

J’ai choisi le monologue parce que c’est un sujet intime… et j’avais envie de suivre un personnage qui reflète diffèrent cas de souffrances de ces filles sans pères qui peinent avec la relation à l’homme. Je ne suis qu’un grain de sable, mais je pense que les relations père/fille est le mal le plus destructeur et le plus tue de notre époque.

Dans quel sens ?

Pour une femme, l’amour du père est ce qui donne le ton sur comment elle va gérer sa vie de femme. Or, si cette relation est inexistante, c’est un peu plus compliqué pour comprendre les hommes et donc pour établir une relation sans méfiance ! Après, je ne suis pas psychologue, mais je suis sûre qu’il y aurait moins de conflits au sein du couple si les pères et leurs filles établissaient une relation d’amour, de présence et de dialogues, mais la société a décidé, il y a longtemps, que seules les mères peuvent s’occuper des enfants (même si cela change, maintenant) et les pères ont été mis dans le rôle du « non-emotion ». On parle de l’amour du père et non de son autorité…

Pourquoi n’avez-vous pas mis en scène vous-même ?

Parce qu’il faut le recul, parce que je ne serai que comédienne à partir du moment ou je serai sur scène. Il faut le recul sur l’écrit et je n’ai pas envie de réfléchir et d’analyser ce que j’ai écrit. Et puis, cela me permet de lâcher prise. Alors, je peux laisser place à ce qui est indescriptible, à ce qui échappe et touche les gens. Surtout, c’est plus amusant de créer à plusieurs que seule.

Ce regard extérieur, la mise en scène de Hélène Theunissen vous a-t-elle amené à réfléchir sur certains aspects de votre pièce, à faire des changements ?

On vient de rentrer en création, on avance au fur et à mesure ! C’est une femme extraordinaire, elle était ma prof et elle m’a déjà mise en scéne dans Le masque du dragon de Philippe Blasband. C’est une nouvelle collaboration dont j’ai hâte d’en voir le fruit. Je lui fais totalement confiance et je sais qu’elle m’assistera dans ce bel accouchement.

Propos recueillis via chat le 28 avril 2016.

Les murs murmurent
« Les chants de notre enfance et le silence des pères »
De et avec Babetida Sadjo
Mise en scène: Hélène Theunissen
Scénographie : Noëlle Ginefri

Du 14 au 25 juin à La Samaritaine – 16 rue de la Samaritaine à 1000 Bruxelles. Plus d’informations sur le site de La Samaritaine.

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A propos de Thomas Roland

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