Un artiste inconnu chez nous pour une musique méconnue, voilà les ingrédients de ce triptyque original.
Qu’est ce que l’expérience Noire dans la musique ? Sa place, son message et son rang ? Son miroir, son passage de témoins et son sang. La musique est aussi un langage de l’Histoire. En rencontrant un de ses artisans, Aaron M. Frison, nous poussons les portes de la sémantique du langage musical. Alors qu’il travaille un nouveau projet dont il nous livrera peut être les clés dans la troisième partie, Aaron nous guide entre les lignes pour comprendre, et plus seulement entendre, la musique. Big Bang et Big Band, Afrique et dérive des continents, qui se souvient de l’apport de l’Afrique, par le Jazz et tous ces nombreux enfants, dans les musiques populaires d’aujourd’hui ?
Petite Suite en Soul Majeur donc, voyage modeste sur une montagne sacrée, par ici, et n’oubliez pas le guide à la fin….
Soul et pavés, la page Noire. 1re partie : “Where are the African Gods?”[1]
Dieux d’aujourd’hui et d’hier.
Aaron M. Frison (aka Coultrain mais aussi pilier central de Hawthorn Headhunters) est à mes yeux l’artiste Noir américain le plus passionnant du moment
Né en 1978 à Saint-Louis, dans le Missouri, élevé dans une famille de croyants, il fréquente la chorale que dirigent ses parents à l’église du coin. C’est là qu’il apprend la musique. C’est cependant dans la maison familiale qu’il rencontre le monde de l’expression artistique avec la peinture. Puis il se tourne vers la batterie dans la chorale et pour le groupe de l’école. L’adolescence le pousse vers l’écriture. Le jeune homme connait une vie spirituelle et artistique épanouie et sans dogme. Danse et bientôt chant finissent de parfaire son éducation. Au Collège[2], comme le chantait le groupe The Goats dans les 90’s, c’est “I’m not your typical American”[3]. Il étudie le design et commence à former ses premiers groupes de musique tout en découvrant Shakespeare.
Il représente si peu l’américain moyen que lorsque deux intervieweurs d’une radio lui demandent s’il a vu le dernier match de football de Saint-Louis dont il est originaire, il avoue au grand étonnement des journalistes, son ignorance de l’actualité du football américain.
Rareté extrême aux USA, voire interlope, Aaron a grandi sans poste de télévision, ce qui, dit-il, lui donna la liberté de cultiver un jardin imaginaire peuplé par l’idéologie d’une certaine jeunesse américaine, élevée aux équations de Sun Ra[4], aux écrits et à la posée d’Henry Dumas[5] et Wilson Harris[6], mais aussi Ishmael Reed[7] .
Comme sources d’inspirations se mélangeant pour parler à, -et de, son âme, Aaron M.Frison peut encore, de manière égale, citer Pauline Melville[8], Borges[9] ou Betty Carter[10], comme autant d’influences interchangeables et pénétrantes, formant une idiosyncrasie, dans laquelle, comme il me l’écrit :
« The world will soon recognize the dynamics of the black experience, the « duende » in our music is its magic, and the irony that such a bitter place could be the only place where such beauty could bloom. I choose to listen and create music that digs into the belly, for I too am on a perpetual quest of discovering myself.[11]”
L’artiste protéiforme, que nous allons tenter de suivre, nous mène dans un voyage dans le temps et l’espace. Un de ces voyages que devait tant affectionner le grand Umberto Eco qui vient de nous quitter, et dont on voudrait pouvoir suivre l’élan.
La musique est une écriture, et l’écrivain italien disait, « Un septuagénaire qui ne lit pas n’aura vécu qu’une seule vie. Celui qui lit aura vécu 5 000 ans. La littérature est une immortalité en arrière. »
« Entre le feux onirique et le magicien lui-même »
Puissent toutes ces métamorphoses[12], entre le feu magique et le magicien lui-même, nous mener, comme l’artiste qui tente de se découvrir, vers nos origines, juchés sur les épaules des géants qui nous ont précédé. Dans la profondeur des signes d’un darwinisme culturel, comme un chant (de jeux) de pistes à la Chatwin[13], les messages nous parviennent codés et il faut apprendre à les fredonner pour trouver notre chemin.
C’est une randonnée musicale que nous voulons essayer de faire ici, sans prétendre ne rien lever des mystères de la clé de Si. Au contraire, en laissant cet air de rien remplir le vide au dessus de nos têtes trop courtes sur pattes, nous avançons parmi les mystères de l’être Humain.
Merci et bienvenu, ce que les mots ne pourront écrire, la musique essayera de le dire[14], et dans cet entrelacs vous trouverez peut être la clé de tous ces mystères, alors surtout laissez ouvert et allumez la lumière avant de partir.
Sarah Vaughan, The mystery of man
https://www.youtube.com/watch?v=Clt4WSjG1_E
La route de la soif de soi
Une marche sous le signe « d’une unité perdue, où l’art était le garant d’un accord entre l’Homme et le Monde. C’est le signe de cette gravité que lui lègue, au-delà des métissages et des plateaux d’esclaves, cette vieille terre des ancêtres : l’Afrique.
D’âge en âge, tandis que sa forme se dégageait lentement, l’Afrique était déjà la terre des énigmes. Le noir était déjà la couleur du pêché. Les récits des voyageurs parlaient de monstres de flammes, d’apparitions diaboliques. Déjà le Blanc projetait sur le Noir ses propres démons, pour se purifier. Et pourtant lorsqu’au-delà des déserts et des forêts il croyait aborder au royaume de Satan, le voyageur découvrait des Nations, des Palais. »[15]
Des Palais à l’intérieur desquels de sombres pièces immenses gardent la fraîcheur de princesses qui sont les gemmes de joyaux mystérieux.
Aaron M. Frison aka Coultrain, A Gem Iza Jeawel
Nous marchons sur une route pavée d’ossements. De notre venue au Monde, de notre apparition à la vie, nous gardons la trace mnémonique d’une totalité perdue, essaimée à travers, et qui n’exprime, dans chaque langue étrangère, que la même quête des origines. Un Cosmos, une Terre, une Humanité. Toutes les traces qu’elle laisse derrière elles témoignent de cette obsession de communiquer. De communiquer, mais quoi ?
Marie Pierre, Humanity[16]
Il n’y pas de liberté, seulement des libérations des ghettos que nous nous fabriquons
Des peintures dans des grottes, des toiles dans des musées, des percussions sous des lucioles de braises, des chants dans l’obscurité à peine repoussée par la faible lumière du feu. Pourquoi ce qui était unique est devenu multiple et identique?
Toujours plus loin de nos origines perdues dans le temps, toujours une pulsation plus près de celles qui coulent dans nos veines. N’en déplaise aux racistes, il n’y a qu’une seule race en ce qui nous concerne, la race humaine. La quête identitaire est une quête universelle, que nous résumons par un mot qui trempe dans toutes les sauces : culture.
Si ce que chacune exprime, ce que chacune explore nous touche autant de travers, c’est que nous soulevons tous la même poussière sur les chemins de notre errance au monde, pour nous libérer de l’oppression de notre ignorance. Toute expression est une forme de dépassement. Tout dépassement est une libération ; il n’y pas de liberté, seulement des libérations des ghettos que nous nous fabriquons.
24 Carat Black, et un groupe de Cincinnati, Ohio, entré dans la légende en seulement un album produit en 1973, puis une réédition tardive en 2009 de bandes perdues. Un travail de réédition du label Numero Group, qui force le respect. [17]
Muses mystiques, musiques magiques
Avant d’être un objet de consommation désincarné, la musique est le véhicule d’une spiritualité primordiale, qu’à tort, notre société moderne veut nier ou faire disparaitre plutôt qu’évoluer et se transformer. La véritable mystique n’a pas de hiérarchie, et le message de sa révélation est universel, comme la révolution. Les Aventuriers de la page perdue du Littré le savent bien, musique et mystique partagent la même racine occultée, enterrée par les prêtres de l’Homme roi. D’un mot d’où s’écoule un autre, le déséquilibre de cette marche doit nous sortir de la nuit des temps : muses mystiques, musiques magiques, langage universel du dépassement de la condition humaine vers une même éternité.
Comme un navire sans marin, suivant des courants et des marées bien plus puissants que n’importe quelle volonté….
TL Barret, pasteur et activiste noir de Chicago, enregistre en 1971 l’album éponyme et reste une référence pour des décennies. Easy…
Et ce bateau sur la barre duquel aucune main n’a de grip, vers quel horizon sa proue pointe-t-elle ?
A venir
2e partie….Des origines de la coïncidence des opposés.
Le bateau, les cales remplies d’esclaves, proue vers le Nouveau Monde et travers dans l’océan, laisse derrière lui une houache qui disparait dans le temps, une nouvelle vague efface l’écume de la dernière, et personne ne voit la différence, obsédé par l’horizon.
« Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations » paru en 1776, est un ouvrage important.
…..à suivre donc……
[1] Poème d’Abbey Lincoln
[2] Le « College » américain est un établissement d’études supérieures, accessible aux élèves « gradués », autrement dit « bacheliers »
[3] http://www.youtube.com/watch?v=N_F2FDpU1mM
[4] Compositeur et pianiste de jazz américain
[5] Poète et écrivain afro américain, http://aalbc.com/authors/henry1.htm
[6] Ecrivain, essayiste, poète guyanais, http://www.universalis.fr/encyclopedie/wilson-harris/
[7] Poète Américain romancier, essayiste, parolier, éditeur, connu pour son travail satirique concernant l’oppression politique et culturelle de la communauté Noire. http://www.universalis.fr/encyclopedie/ishmael-reed/
[8] Auteure, comédienne née en Guyanne
[9] Le grand écrivain Argentin
[10] Chanteuse de Jazz américaine
[11] « Le monde réalisera ce qu’est la dynamique de l’expérience Noire, le « duende » de notre musique, c’est là sa magie et son ironie qu’un lieu ausi amer soit l’unique lieu dans lequel une telle beauté puisse fleurir. Je choisi de faire et d’écouter de la musique qui prend aux tripes, car moi-même je suis en perpétuel découverte. »
[12] Protée, qui a donné protéiforme, en est la divinité
[13] Le chant de pistes de Bruce Chatwin
[14] Donc toutes les musiques qui accompagnent cette réflexion sont des morceaux choisi à déceins. Encore une fois n’oubliez pas de laisser allumer, si ça crée une étincelle….
[15] Les Statues Meurent Aussi, 1953 Alains Resnais, Chris Marker et Ghislain Cliquet
[16] Sur le labek Trojan, du reggae à la sauce soul…
[17] http://www.numerogroup.com/
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simon
riche et intéressant vivement la suite…