Mundus est pour les Etrusques le nom de la fosse circulaire destinée aux offrandes pour les divinités souterraines. Son emplacement est défini par le rite du templum, bornage de fondation des villes. On voit par-là que dans la civilisation Etrusque, comme dans les autres civilisations antiques, il n’y a pas de rupture entre le civil et le sacré. Si aujourd’hui le sacré a été sorti de la sphère publique, sa dimension personnelle reste prégnante. Coultrain ne s’éloigne jamais des forces inconscientes qui transforment notre existence. L’art interroge le sacré.

Vous l’aurez compris, A.M. Frison alis Coultrain est un artiste exigeant. Il m’a fallu un peu de temps pour entrer dans l’album. Une fois mes habitus à terre, je pouvais m’élever à la hauteur de l’album. Oui, Coultrain ne sacrifie rien de ses obsessions à un quelconque autel d’ambitions matérielles ou sociales. L’enrichissement d’aller vers une vision créatrice est la base de l’art. On est loin, très loin de la marchandisation. Coultrain est un artiste confidentiel et pourtant extrêmement prolixe.

« Regardez-moi plier le temps comme une étoile filante »1

L’album s’ouvre par un gong et des tambours comme s’il s’agissait d’une cérémonie. Dans son livre, inclassable essai littéraire, Aaron joue librement avec la ponctuation, plaçant les points au milieu des phrases. Je n’avais jamais vu ça et je compris un peu mieux comment se plaçait l’artiste. Sa trajectoire est celle d’un météorite explosé d’une planète perdue qui traverse l’espace et donc le temps, puisque les deux ne sauraient être séparés pour une approche holistique de la réalité. C’est ainsi que le phrasé mélodique de Coultrain peut désorienter à la première écoute. Flirtant avec la dissonance il nous plonge encore dans cette exigence qui n’est pas sans rappeler en d’autres temps les recherches musicales d’un Franck Zappa.

« Wizards ride alpacas like a bacchus when the moon lit wizards ride Alpacas cuz the rage make’em both spit electric, septic tank what you think we the shit don’t it stank? »2

« You cannot escape the law is real between us to close all the distances curses swallow all our tears don’t they ruin the meaning? »3

Le langage est une reconstruction du réel alors pourquoi ne pas le déconstruire pour inventer une nouvelle réalité ? Coultrain manie à la perfection l’art de se débarrasser des étiquettes. Sa musique est pensée et sa pensée est complexe. Sa complexité est rusée, au sens Grec du terme, c’est-à-dire Metis. La Metis signifie en Grecque ancien la ruse. Si Coultrain s’empare de la grammaire c’est qu’elle est pour lui une expression des capacités humaines. Son but est clairement celui d’un explorateur qui veut transcender sa condition pour établir de nouvelle connexion avec l’expérience du vivant. Oui, oui, on parle bien d’un musicien !

Choisir pour ne pas prétendre être.

On parle de la radicalité pour qualifier certains artistes « engagés ». Coultrain est radical par son engagement dans sa quête artistique. Chaque projet qu’il mène à bout est unique et expérimente une nouvelle direction, sans jamais s’enfermer dans autre chose que l’exigence qu’il a envers lui-même.

Créature hybride, fantomatique, il enchantera toutes celles et ceux pour qui la nuit est la porte d’entrée vers un monde plus lumineux.

https://coultrain.bandcamp.com/track/sea-monster

Aaron M. Frison est aussi vidéaste4 :

Interview

Vasken Koutoudjian : Je te suis depuis Hawthorne Headhunters, tu m’as aussi envoyé ton livre « Wet Grass » et tu sembles explorer des formes d’expression pour les travailler comme un sculpteur sa matière. Qu’essayes-tu de créer ? Comment le travailles-tu ?

A.M. Frison : J’étudie beaucoup, cela me pousse à travailler dans différents médiums ; parfois c’est la joie d’essayer de nouvelles façons, de chercher des solutions aux problèmes, d’autres fois pour jouer avec mon imagination, je ne prends pas trop au sérieux les choses idiotes (sérieuses). Le cinéma est mon objectif principal ces jours-ci, parce qu’il l’est, mon travail de poète et de musicien a pu s’étendre, car j’ai dû créer des partitions pour mes films. Je termine aussi un nouveau roman spéculatif, et un autre album, aussi un film. Je termine un projet/pièce, et généralement si j’ai dû écrire longtemps, c’est relaxant de peindre ou de faire un film. Puis quand je dois trop me concentrer sur le montage un film, c’est relaxant de lire, puis être inspiré pour écrire. C’est presque comme une chaîne de montage de mon imagination, pour qu’elle ne s’ennuie pas.

VK : Sur cet album le chant et la musique semblent parfois dissonants. Est-ce exprès et qu’essayes-tu d’atteindre?

A.M.F. : Je ne sais pas si je peux dire quoi que ce soit « exprès » en soi, car je ne suis pas un musicien de formation, mais la musique a toujours été une partie importante de ma culture, évoquer certaines émotions fait partie de cette expérience. Donc je ne pourrais pas dire que je veux ces accords ou cette humeur d’être «dissonante» avec moi-même, et l’exécuter. Il s’agit plutôt de finir une pensée complète. MUNDUS est la 2ème moitié de Phantasmagoria, le LP sorti en 2021. Donc, bien qu’ils partagent beaucoup des mêmes qualités, Phantasmagoria est plus fantaisiste en tant qu’ensemble, tandis que MUNDUS a des qualités plus vastes, épiques et orchestrales dans certaines parties. Par conséquent, son contenu était un complément à l’album précédent, tout en étant le plus ambigüe de l’arbre qui vit dans ces deux mondes. J’essaie seulement d’atteindre les parties les plus profondes de moi.

VK : Le mundus est chez les Étrusques le nom de la fosse circulaire destinée aux offrandes pour les divinités souterraines dont l’emplacement est défini par le rite du templum, démarcation chez les étrusques de la fondation des villes. Alors pourrais-tu nous expliquer ce que tu voies au-delà de la réalité commune ?

A.M.F. : Je vois un lieu imaginaire au-delà de la réalité commune. La particularité de cet endroit est que chacun doit imaginer et boire de ces eaux par lui-même, personne d’autre ne peut vous conduire là.

VK : Désolé pour cette question aussi ingénieuse mais quel est le sens de la vie pour toi ?

A.M.F. : Le sens de la vie est de trouver son but et d’être assez courageux pour le vivre, peu importe la situation ou les conséquences. Ceci incluent également un voyage spirituel mais ces choses ne peuvent pas vraiment être articulés, ils ne peuvent être qu’évoqués, comme la plupart des choses. Alors découvrez la poésie dans la vie, car la souffrance est inévitable.

VK : Quels sont tes projets en ce moment ? Joues-tu en concert ? Avec des musiciens ?

A.M.F. : J’aimerais jouer en « live ». Je n’ai pas eu beaucoup d’opportunités, car je termine mes études d’école de cinéma en ce moment. J’ai de grands musiciens avec qui je reste en contact, j’ai produit mes derniers disques seul. Je serais certainement motivé pour jouer cet été/automne pour ce disque.

VK : Pour cet album qu’est-ce qui te guide ? D’où te vient l’inspiration?

A.M.F. : C’est difficile d’expliquer l’inspiration, c’est tellement constant. Ce n’est pas vraiment caractérisé l’inspiration, c’est juste une partie de l’espace dans mon esprit qui fonctionne pour me garder entre folie et sain d’esprit. La chose qui me guide est la démangeaison. C’est comme si en travaillant sur un album / livre / film, je me rapproche de plus en plus de gratter suffisamment le cœur de cette démangeaison jusqu’à ce que la démangeaison disparaisse, alors je sais que j’ai fini.

VK : Maintenant sur quoi travailles-tu ?

A.M.F. : Je travaille sur un film d’art et d’essai, un roman et le scénario d’un long métrage pour ce roman.

VK : Joues tu en live ? Quel est ton public ?

A.M.F. : Quand j’ai beaucoup tourné, c’était surtout en Europe. Si je joue aux USA, c’est surtout dans le Midwest, puis dispersé sur la côte Est et Ouest. Mais je n’ai pas pu jouer depuis la pandémie, et je me suis habitué à ce rythme, mais jouer sur scène est toujours un summum cela ne peut pas être dupliqué, donc si l’occasion se présentait, je la saisirais probablement.

 VK : Quel avenir pouvons-nous espérer pour l’humanité face aux dangers actuels ?

A.M.F. : Je n’ai aucun espoir pour l’humanité future, je ne pense pas que l’humanité ait d’espoir pour elle-même. Je pense que nous sommes, plus que jamais, seuls, et devons faire face à cela.

VK : Qui sont tes sources d’inspiration dans la culture ? Politique ?

A.M.F. : Je ne parle même pas de politique, en dehors de la référence à une certaine idée. Pour moi c’est tout un cirque et une diversion.

VK : Est-ce qu’être un homme noir est un obstacle à la création de nouvelles formes de poésie et les hommes blancs sont-ils toujours égocentriques ?

A.M.F. : Je me sens au-delà de l’honneur d’être né un homme noir et j’accepte volontiers tout ce qui vient avec. Personnellement, je ne me compare pas aux autres poètes ; il y en a beaucoup que j’aime de tous courants. En dehors de cela, personnellement, je ne m’attarde sur rien dans lequel l’homme blanc est centré, comme nous vivons dans un asile d’aliénés.

J’ai étudié assez d’histoire pour connaître les architectures, ma position actuelle n’a donc aucune conséquence sur ma divinité.

VK : Ton album est-il influencé par le mythe d’orphée ? Et comment si oui ?

A.M.F. : Oui, un de mes préférés. Et l’idée d’aller aux « enfers » pour retrouver un amour perdu est toujours un voyage continu dans mon travail. C’est un rappel constant et un dénouement de ce qui sera; les sons et les images qui nous conduiront au monde à venir.

https://positiveelevation.bandcamp.com/album/mundus

https://www.facebook.com/coultrainseymourliberty


1 In Alpaca

2 La traduction est difficile puisque c’est de la poésie brut. L’écriture de certains mots est plus proche de la phonétique. Je vous laisse donc traduire !

3 in The Unknwbls

4 https://aaronfrison.wordpress.com/film/

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A propos de Vasken Koutoudjian

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