« Polar Star » d’Initiative H (chronique + entretien)

Initiative H, un voyage stellaire les pieds sur Terre.

L’album Solar Star des toulousains Initiative H[1], le cinquième du groupe, commence aussi majestueusement qu’une nouvelle aube abyssale. Très vite cette splendeur s’arrête, suspendue à quelques gouttes de notes perdues dans l’immensité d’un vide baignant dans les ondes. Le saxophone de David Haudrecy ouvre alors la mélodie en la laissant s’échapper comme le sonar d’un animal sous-marin quand sortent les trompettes du nouveau monde à venir. Olivier Sabatier donne la part belle à son trombone dans Ice Breaker, animal (t)ubuesque qui transforme la mélancolie de ses phrases en édifices flottants majestueux comme les bouts de banquise dont ils sont l’évocation.

Polar Star est un oxymore musical. Le rapprochement de deux termes opposés, à l’image de cette étoile polaire qui lui donne son titre.

Alpha Ursae Minoris (étoile polaire en latin), le pays de la coïncidence des opposés, où quel que soit l’instrument, les mains se mêlent pour une même mélodie. Le Pôle Nord est un passage, là où le pôle sud est un désert. Même si les humains le foulent pour la première fois avant le pôle Sud (1909 au Nord, 1911 au Sud) cet exploit en contient un moins connu et pourtant !  A huit ans, Matthew Henson est orphelin quand il se réfugie à Baltimore. L’esclavage est officiellement aboli en 1865. Matthew nait un  an après. C’est aussi un an après la création du Ku Klux Klan. Il s’inscrit alors en totale résilience dans « le chemin des blancs » comme le dit Booker T Washington[2] . Il s’embarque comme marin et parfait son éducation en voyageant autour du monde. A dix-sept ans il revient sur la terre ferme et exerce différents petits métiers de docker à coursier. Il rencontre un ingénieur dans la marine Robert Peary, très impressionné par ses compétences. Il devient dès lors son compagnon d’expédition. Matthew fera ensuite partie des expéditions qui préparent la conquête du pôle Nord. Il va devenir au fil des voyages de Peary un de ses maillons essentiels.

Mieux. Il pourrait être le premier homme à avoir foulé le pôle Nord avant Peary ! Quel symbole ! Quelle histoire ! Le blanc et son ombre sur l’un des trois pôles de notre monde[3]. Ce qui me choque c’est de voir comment aujourd’hui cette histoire est mal célébrée. Nous avons là un symbole qui pourrait tordre le cou aux préjugés et au racisme, mais non. Que serait le monde avec une statue d’un homme noir au pôle Nord ?

La rencontre avec le continent noir est en tous les cas un moment fondateur du monde à venir dans lequel nous sommes.

La musique, de toutes ses fonctions, a aussi le pouvoir réparation. Réparer l’âme. C’est un peu ce que l’on ressent à l’écoute de l’album. Un apaisement de la violence, toujours sous-jacente dans 10 titres de l’album. Qu’elle soit rappelée par les percussions  de Florient Tisseyre et la batterie de Simon Portefaix ou par la violence viscérale, sourde et profonde de l’immense grandeur portée par les thèmes des différents morceaux.(Silent World, Isolation (et ses chœurs), jusqu’au majestueux final en bonus track the « The Watcher » qui proclame en grande pompe la victoire du visionnaire, celui qui voit le chemin là où il n’y a rien vers un but avant toute autre chose, fruit de l’imagination.

Interview

Vasken Koutoudjian : Comment la musique a commencé dans ta vie ?

  • David Haudrechy : J’ai commencé dans l’Est de la France quand j’avais une dizaine d’années, en Franche Comté. J’ai eu un premier flash en jouant dans le big band d’Archie Shepp quand j’étais tout gamin.

VK : Archie Shepp !?! Comment tu es entré dans cette formation ?

  • DH : Son producteur a monté cette formation pour ses soixante ans (je crois) il cherchait une petite mascotte, genre la nouvelle génération. J’avais quatorze/quinze ans. J’étais à l’école de musique de Vesoul et je me suis retrouvé là-dedans par mon professeur de musique. J’avais trois ou quatre ans de pratique de l’instrument mais j’étais bien à bloc déjà !  Mes parents ont alors déménagé à Toulouse, quand j’arrivais au Lycée. Je rentre au conservatoire, jazz, université, un parcours plutôt classique.s

VK : Quand et comment a démarré Initiative H ?

  • DH : Le groupe a démarré en 2012. Dès que j’ai commencé la musique j’avais cette idée de monter un grand orchestre. Je voulais n’être qu’avec des potes, des gens avec qui j’avais étudié.

VK : Combien vous êtes dans la formation ?

  • DH : Douze. Depuis dix ans il y a eu relativement peu de changements. Dix ans après voilà notre cinquième album.

VK : Ta musique tu la situes dans quelle continuité ?

  • DH : J’ai deux sons de chevets « In the court of Crimson King » de King Crimson[4] et la symphonie fantastique de Berlioz[5]. Deux musiques de chevets depuis bien vingt ans !

VK : Ta musique m’a aussi fait penser à Moondog.

  • DH : Dans cet album là je dirais que non. Moondog est un des compositeurs sur lesquels j’ai beaucoup travaillé. J’ai un album qui reprend des titres de lui qui a été censuré pour des histoires de droits. C’est un compositeur que j’ai découvert quand j’étais très jeune. Puis j’ai passé deux ans à travailler sur sa musique pour l’album dont je te parlais.

VK : Qu’est ce qui t’a marqué dans sa musique et son écriture ?

  • DH : Un truc faussement simple de prime abord. Aussi cette écriture presque pop dans le sens où il pond une mélodie et tu as la musique pendant trois jours dans la tête !
  • VK : Comme le génial Bird’s Lament :

  • DH : Alors moi je fais une musique à l’image qui n’est pas faite pour l’image. Je m’inspire de beaucoup de photographies et de vidéos pour faire un disque mais après je ne veux pas que cette musique soit collée à l’image. Par rapport aux albums précédents, celui-là est le plus produit. Réalisé comme genre Muse peut le faire. Il a été enregistré dans plein de lieux à Toulouse, pour des questions de « reverb », de « delay », d’instrumentations. On a été dans des salles de cinéma, des centres d’art et tout ça pendant presque quatre mois.

VK : J’ai trouvé qu’il y avait l’emploi d’oxymores dans les titres des morceaux (ex : Dark Light). Qu’est-ce que cela évoque pour toi ?

  • DH : Les morceaux sont considérés comme des petits mouvements d’un tout. En concert on joue exactement l’ordre de l’album. Il y a donc une espèce de narration. D’où l’importance des titres. Pour Dark Lightning il y a un côté « new wave » qui contraste justement et la partie de voix et de soufflant c’est presque un hymne viking. Je me sers de ce genre de choses pour que le titre fonctionne avec la musique.

VK : Dans l’album j’ai ressenti à travers les titres et la musique une grande solitude. Tu comprends ça comment ?

  • DH : C’est le cas ! C’est un album qui rend hommage aux exploratrices et explorateurs de l’extrême, ou aux gens qui bossent sur les pôles dans les stations.

VK : C’est drôle car je suis parti en 2001 aux Kerguelen et j’ai pu voir les gens qui faisaient les missions sur les bases scientifiques.

  • DH : Oui j’ai un ami qui est aussi parti là-bas et j’ai vu que c’était une épreuve psychologique intense. Alors si tu me dis que tu as ressenti une forme de solitude en écoutant l’album, le pari est gagné pour moi.

VK : Oui. Pour moi tu as vraiment l’impression d’être seul à écouter cette musique, je veux dire comme si tu étais LE seul à l’écouter.

  • DH : Oui on m’a déjà notifié ça.

VK : J’ai trouvé que c’était aussi une musique de « l’après ». Après quoi, je te le demande justement !

  • DH : Alors je ne sais pas si ça va dans le même sens, mais pendant le confinement de l’année dernière, il y a eu un truc où c’était très dark autour de moi. Pour beaucoup de gens il y avait quelque chose qui s’effondrait. J’ai continué d’enseigner au pôle supérieur de musique de Toulouse. Nous avions le droit de continuer étant donné la structure. Donc pour moi ça n’allait pas trop mal. Mais autour de moi j’ai vu beaucoup de gens souffrir de la situation. J’ai voulu me sortir de ça. J’ai fait alors la rencontre d’un photographe, Chris Burkard[6], qui photographie pas mal ce genre de lieux. Je me suis aussi replongé dans les trucs de Shackleton[7] et je suis tombé sur un podcast de Jean Louis Etienne[8] qui faisait le lien avec un ressenti humain et pas seulement scientifique de ce genre d’exploration. Au départ de cet album il y a un sentiment très généreux et positif.

VK : Qu’est-ce qu’il reste de ces grandes questions aujourd’hui ?

  • DH : Oh ben je te dirais qu’il n’en reste rien. On nous a fait miroiter que c’était merveilleux, qu’on avait pris conscience de….Quand les portes ont re-ouvertes tout a recommencé comme avant.

VK : Les projets pour le groupe ?

  • DH : On fait la sortie de l’album le 27 Mai à Toulouse au métronome ainsi qu’une grosse soirée pour la sortie de l’album en vinyle de l’album avec un concert à Toulouse, le 28 Octobre à l’écluse.  On travaille aussi sur un projet de tournée.

VK : Je reste à l’écoute et j’espère en parler très vite.

 

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Deux concerts toulousains suivront :

– V 27 mai 2022 au Métronum pour la sortie de l’album CD

– V 28 octobre 2022 à L’Ecluse pour la sortie du vinyle.

POLAR STAR (2022)

Production NUIT D’ORAGE

Label NEUKLANG

https://initiative-h.com/

https://www.facebook.com/initiative.h/

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A propos de Vasken Koutoudjian

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