Leron Thomas, l’obligation de liberté (entretien)

Leron Thomas est encore un musicien méconnu chez nous, alors qu’il tient déjà une solide réputation de « maître du genre » aux USA ou en Angleterre. Né en 1979 à Huston dans le Texas et intègre pour le secondaire l’école Kinder des arts visuels et d’interprétations. Trompettiste, il joue sur scène avec Billy Harper[1], saxophoniste, « génération Coltrane », qui accompagnait en son temps sur scène  les légendaires Jazz Messengers de Art Blackey de 1968 à 1970.

Leron se tourne rapidement vers New-York. Sa rencontre avec le chanteur de R&B, Bilal[2], va le mettre sur la route du Erykah Badu‘s Mama’s Gun World Tour. Il devient, en 2001, trompettiste pour le chanteur qui fait alors la première partie de la lady. La ballade joyeuse de cette trompette le conduira des USA à l’Asie, en passant par l’Europe. Son C.V. s’étoffe de collaboration aussi éloignées en apparences que celle d’un Dennis Ferrer, musicien et producteur de House Music, et d’un Roy Hargrove, un des chefs de fil de la trompette dans le jazz contemporain. Toutes ces expériences donnent à Leron des connaissances dont il va se servir pour dépasser les frontières du genre. De l’embouchure au pavillon, il réorganise son groupe, et amène des complexités harmoniques et rythmiques. En parallèle il rejoint les musiciens de Lauren Hill et continue de jouer avec Bilal, notamment sur son album Love for Sale en 2005. De toutes ces collaborations, Leron commence petit à petit à sortir le son particulier qui fait de son jeu et de sa voix, l’étincelle auditive qui vient titiller le nerf facial quand on l’écoute. Le visage ce détend, et des lèvres se lève un large sourire.

De 2006 à 2010, Leron multiplie les performances. Après que son premier album[3] ait attiré l’attention du New York Times, dont voici un extrait :

Il enregistre Dirty Draws vol.2, sans se donner de frontières tandis qu’il continue d’explorer des terres vierges qu’il crée tout en les déchiffrant[4]. Electro, rythmes hybrides et toujours une façon de chanter qui convoque autant les tessitures soul légèrement en deçà ou dessus de la note, que les accents P-Funk, le tout remasterisé à l’ingénierie contemporaine de l’éléctro et du rock, le tout né dans la pouponnière du jazz.

Exemple avec Blush, extrait du volume 3[5].

Pendant toute cette période Leron ne cesse de jouer live, dans des clubs, des bars, presque sans interruption avant d’être fatigué de convaincre les tourneurs que les différents styles dans les quels il jouait, se battaient pour n’en faire qu’un, le sien. Le Musée National de Jazz de Harlem l’invite alors en 2007 pour travailler en compagnie de Loren Schoenberg[6] auprès des jeunes publiques.

En 2010 de retour d’une tournée avec Bilal en Afrique du sud, il enregistre deux productions à lui, dont Juxtaposed qui ouvrent, pour moi, grand les chemins sur lesquels Leron est parti vers les hauteurs.

 C’est en 2011 qu’un morceau, un petit morceau, tombe sur le plateau pour faire basculer la balance. Love For Life du Dirty Draws vol.1 tourne sur la radio indépendante de Melbourne, à 17000 km de Londres. Londres où Gilles Peterson lui aussi commence à passer le morceau sur la BBC. A New York les deux hommes se rencontrent lors d’un évènement du DJ Londonien organisé par Giant Step[7].

Début 2013, c’est l’album Take It, qui marque une inflexion très net dans l’œuvre de Leron. Il est coutume de  dire de cet album qu’aux premières notes, on, adore ou on déteste. Ou tout, ou rien. Sans savoir ce que c’était, quand je l’ai écouté chez mon disquaire, donc[8], le souffle me propulsa dans son espace sonore.

Avoir été un jazzman accompli et d’avant-garde,  avoir fleureté avec un George Clinton déguisé en NEPTUNES au travers de ses différents albums, après avoir tourné dans l’orchestre de Guts sur scène ce shapeshifter sonique est toujours dans sa prochaine métamorphose. A ne pas rater.


Nous avons l’honneur que Leron Thomas ait bien voulu nous consacrer du temps pour écrire de ces propres mots, son histoire, à travers nos questions.

Leron Thomas : Je suis donc de Houston dans le Texas, où j’ai grandi dans la banlieue de Houston avec des parents adorable et une famille extraordinaire. Il y avait toujours de la musique dans la famille et même des chanteurs très talentueux. En fait je peux même dire que j’ai appris comment utiliser la radio, celle de mon père, avant même de savoir marcher. Il secouait la tête quand je tournais bouton et que ça ne lui plaisait pas, alors je continuais de tourner le bouton jusqu’à ce que son visage me dise oui ! Et c’était de la bonne musique !

Ecouter de la musique si jeune est une chose très commune pour beaucoup d’enfants. Mais pour certain ça devient un appel sérieux. Cela devient même le meilleur moyen de vivre avec les autres et de coexister avec la société. La fréquence (sonore)[9] est un véritable don de Dieu auquel prendre part. Je me sens honoré chaque jour de pouvoir exprimer combien je suis heureux de prendre part à tout ça. Bien que les vibrations et les sons soient les plus évidentes des fréquences, nous en tant qu’humain prenons ça pour acquis, et je crois que nous retreindre dans l’espace des fréquences sonores, handicape nos percées  dans la véritable compréhension. C’est pourquoi je pense que ma musique tend vers l’aléatoire et se libère d’être étiqueté à une catégorie. J’aime vibrer. J’aurais pratiquées le classique en cours de Jazz, et le Jazz en cours de classique. Parce que j’aime l’état d’esprit qui va contre l’esprit. La vibration, le sentiment écorché d’être vivant. Mon premier contact avec le jeu de la trompette me vient de l’église. Pour l’église blanche je devais jouer la messe de Handel (sur une trompette en en si bémol !!!) ce qui était difficile parce que elle n’est pas écrite pour ça. A la fin l’arrangement qu’il m’avait écrit n’était pas trop dur. L’église noire me payait pour ses extras, ça a été mon premier contrat pro ! A l’église on chante à l’opposé des chanteurs professionnels. On peut entendre vraiment des voix particulières qui font un son extraordinaire. Même si on n’entend jamais ce genre de voix en radio. Plus le temps passe et plus je réalise comment ces chanteurs dans les églises locales avec leur talent unique dans leur famille ont été ma première véritable influence. C’est à partir de là que j’ai tout naturellement cherché des voix qui casseraient avec la musique dominante. Des voix que personne ne pourrait reproduire et qui seraient honnêtes. Comme par exemple la voix de la première icône pop : Louis Armstrong !

Vasken Koutoudjian : Be Bop, Pop, Hip Hop, comment explique tu le lien entre le Hip Hop et ta musique ?

Leron Thomas : Le Hip Hop est toute une culture. Qu’on l’admette ou non, des catégories de musiques ont fait le hip hop. Je suis du Texas, nous avons eu Scarface, UGK, Black Monk, Ghetto Boys, etc…

Actuellement c’est Sauce Twinz et Beat Knig, je les adore tous, surtout Busta Rhymes. Mais c’est le coté Rap du jeu. C’est-à-dire, si on prend tout le monde de Debussy à Aerosmith, ils ont tous été samplé !

VK : Aujourd’hui que fais tu et quels sont tes projets ?

LT : Je dois avoir une dizaine de projets en cours ! On dirait que mes différents sens ont besoin de plus d’espace pour s’exprimer. J’essaie actuellement de me concentrer sur un aspect de moi-même. Je fais cela depuis l’album « Take It ». Après il y a eu « Whatever » (un album entièrement Jazz) puis « Cliquish » sous mon label parisien, Heavenly Sweetness. Puis un E.P. « Good Kung Fu ». Le prochain sur lequel je travail sera plus du coté « crooner ».

VK : Que recherches-tu avec la musique ? Quels ont les musiciens qui t’inspirent, avec lesquels tu voudrais jouer ? Et enfin si tu n’avais pas fait de musique ?

LT : Je pense que je suis en quête de plus de compréhension, surtout quand il s’agit d’art et de musique. Il ya trop de musiciens qui m’inspirent pour pouvoir les nommer. Tout avec lesquels j’ai joué comme ceux avec qui je joue en ce moment, certainement ! Pour ta dernière question, honnêtement, je ne sais pas ce que j’aurai pu faire d’autre. Je me suis déjà confronté  à ça plusieurs fois et je ne suis pas d’une nature très réfléchie. Même sous cette pression, je ne sais toujours pas….

Sans doute la marque des vrais grand artistes, ceux pour lesquels la libération de leur art n’est pas un choix.


[1] Aussi originaire de Huston.

[2] Dans l’Islam Bilal ibn Rabâhest le premier Muezzin de l’histoire. Le Muezzin est celui qui lance par la voix l’appel à la prière depuis le minaret. 

[3] Dirty Draws Vol.1

[4] Si on défriche l’inconnu, on déchiffre la parition.

[5] Peu de temps après avoir joué avec la bassiste Meshell Ndedeocello un tribute à Fats Waller et au club dans lequel il jouait à Harlem

[6] Saxophoniste et historien du jazz.

[7] http://www.giantstep.net/#landing

[8] Flip flap on retombe sur nos pates pour ceux qui ont lu la kronik sur Heavenbly Sweetness

[9] Ici Leron va employer plusieurs fois le terme Frequency, difficile de trouver un équivalent précis dans ce contexte. La fréquence n’est pas l’onde sonore, c’est pourquoi je garderais le terme de fréquence sonore. 

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A propos de Vasken Koutoudjian

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