Entretien avec Arnaud Fleurent-Didier à propos de « La Reproduction » (archives)

Pour beaucoup, nous y compris, Arnaud Fleurent-Didier est LA révélation musicale de ces derniers mois, même si ses débuts discographiques remontent à bien plus longtemps que ça. Que ce soit sous le nom (peu engageant) de Notre-Dame, avec les albums Chansons originales (1995) puis Chansons françaises (1998), ou sous son propre nom avec Portrait du jeune homme en artiste (2004), Fleurent-Didier distillait déjà une « variété pop » (rien de péjoratif là-dedans, au contraire) d’une folle ambition musicale, mais parfois contrariée par des moyens (autoproduction) pas toujours à la hauteur de ses ambitions.

La Reproduction ne propose pas un changement de décor radical, la méthode, au fond, n’a pas changé, mais la reconnaissance est, enfin, au rendez-vous. Comme Arnaud Fleurent-Didier fait lui-même référence à Morrissey, c’est comme si cet album avait soudainement fait mentir, sans qu’il s’y attende vraiment lui-même, la prédiction des Smiths : the world won’t listen (titre d’une de leurs nombreuses compilations).
Si vous êtes un(s) lecteur(trice) attentif(ve) de Culturopoing, vous savez à quel point nous sommes quelques uns à être tombés sous le charme, désarmés, de la musique de Fleurent-Didier (cf. les liens en bas de cet article pour en avoir quelques aperçus…). Il était donc tout naturel que nous le rencontrions, dans son « fief » de la place de la Clichy, where else ? On aurait pu s’attendre à ce que le soudain « succès » (notion relative) lui monte à la tête. C’est tout le contraire.

 

En écrivant puis en enregistrant La Reproduction, aviez-vous la sensation de faire un disque qui allait compter et vous faire changer de statut, aussi bien auprès de la critique que du public ?

Non, pas à ce moment-là. Mais j’ai commencé à la ressentir très fort au moment du mix. En apportant chaque jour un nouveau morceau à « Alf » Briat (le mixeur), j’étais très sceptique sur leur qualité, pas du tout sûr que ça fonctionne. En plus, ayant mixé tout seul, en autarcie, Portrait du jeune homme en artiste, soumettre ainsi mes chansons au jugement d’autrui était assez douloureux. Mais ça lui a plu assez vite et comme ça défile pas mal dans son studio, j’ai rencontré des directeurs artistiques, à qui les chansons ont plu également.

C’est à ce moment-là que Columbia Sony est entré dans la danse ?

Le label est intervenu très tard, le disque était déjà terminé. Je n’ai pas cherché de label, en fait. J’avais déjà l’expérience de l’autoproduction avec l’album précédent. Pour La Reproduction, j’avais pressé une première version vinyle, qui n’est pas celle qui est qui a été commercialisée, je pensais que j’allais créer un site pour vendre le disque, et puis voilà…

Ah bon ?

Ah oui, oui, ça va finir comme ça, de toute façon. L’industrie du disque va disparaître, un jour ou l’autre.

Et comment expliquez-vous que cet album ait reçu un accueil sans rapport avec vos disques précédents ? Vous trouvez ça logique ?

La situation n’est pas si différente qu’avant, en fait. Je vois peut-être mal les choses mais ça n’est pas un disque grand public, acclamé…

Avec beaucoup de presse, quand même ?

Oui, mais avant, j’étais très fier de nos petits résultats d’entrepreneur, sans moyens, sans marketing. Juste avec la force de notre travail et de nos convictions, on arrivait à vendre des disques et à avoir de la presse aussi. La différence, aujourd’hui, c’est qu’il y a un nom qui commence à se faire. Mais je le vois comme une suite logique, pas comme une rupture. La Reproduction est plus ouvert dans son propos, plus généreux, il parle du passage à l’âge adulte, de sexe, de politique, un peu, de tout ce qui concerne et inquiète les gens…

Je vous posais la première question parce que, sur Portrait…, vous jouiez pas mal, avec distance, de ce statut de musicien et chanteur confidentiel (Mon disque dort, Rock critic…). Sur Chansons françaises (le disque précédent enregistré sous le nom de Notre-Dame) également (Devenir quelqu’un). Sur La Reproduction, plus du tout.

(pensif, après un long silence) Oui, c’est vrai… En fait, j’étais très heureux d’avoir fait Portrait d’un jeune homme en artiste. C’est un disque qui parle de prétention et ma prétention était comblée. Le succès, ou plutôt le non succès, était un détail. L’important, c’était d’arriver à faire le disque. Il est bourré de défauts, mal mixé, certaines chansons n’ont rien à y faire,.. Mais c’est le petit bébé, il fonctionne et j’en suis fier. Il correspond à ce que j’étais à l’époque et ça, c’est vraiment important. Je suis moins content de La Reproduction.

Vraiment ?

Mais par contre, je suis content qu’il parle aux gens, d’avoir des retours, c’est une autre satisfaction. Mais comme j’étais à la « hauteur de ma prétention » avec mon album précédent, je n’ai plus besoin de dire vouloir « devenir quelqu’un ».

N’avez-vous pas eu peur de vous piéger vous-même avec la première chanson dévoilée de l’album, celle qui a créé le buzz, France Culture, dans un cadre socioculturel un peu étroit ?

Si, un peu. Parce que c’est une chanson maladroite, aussi : le name dropping, cette espèce de culte des valeurs bourgeoises… Je n’ai pas peur du propos lui-même, j’en suis même fier, mais je crains l’interprétation qui peut en être faite. Beaucoup de gens détestent La Reproduction dans sa globalité, et aussi France Culture, parce qu’ils ne savent pas si c’est vrai ou pas, quelle est la part de second degré… et ça, ça m’ennuie. J’ai envie de dire à ces gens : « Mais non, y’en a pas, de second degré, ça s’appelle La Reproduction, y’a un début, une fin, ça parle de ça, quoi… ».

Quand il y a des éléments humoristiques dans certaines chansons, je trouve qu’on les identifie assez bien…

Ben oui ! C’est ce que je me dis. Mais certains doivent prendre ça comme de la fausse sincérité, comme une fuite, ça doit se traduire pour eux par un inconfort… Enfin, personne ne me l’a manifesté clairement mais j’aimerais bien qu’on le fasse… Quand je fais France Culture, j’ai conscience que je fais du name dropping, comme chez Delerm, je sais que c’est un défaut, que je n’aime pas ça chez les autres, mais je le fais.

Est-ce que vous avez la sensation que ça peut devenir une chanson générationnelle ?

Je l’ai découvert et ça m’a plu, évidemment. C’est une grande récompense. Et plus encore que la « chanson générationnelle », c’est quand on me signale que des personnes âgées sautent sur le disque. Les enfants qui aiment beaucoup Mémé 68, j’adore ! Mais le plus touchant, c’est quand un journaliste suisse m’a dit que lorsque son facteur lui a apporté une série de disques promo, sa mère de 75 ans a regardé la pile, a pris La Reproduction et a dit « Ça, c’est pour moi ! – Mais pourquoi tu as pris celui-là ? – Je les ai vus l’autre jour à la télé, c’est super ! ». Accrocher les gens de plus de 70 ans, j’adore ! (rires)

A la fin de La Reproduction, pour le coup, il y a une chanson qui semble vraiment très premier degré (Si on se dit pas tout), un peu en rupture avec le reste de l’album…

Les changements de ton, ça me plait énormément. En fait, cette chanson a été écrite en premier et je trouve qu’elle est un peu dans la veine de Portrait d’un jeune homme en artiste, des chansons que j’écrivais avant. J’ai écouté des chansons en anglais pendant toute ma jeune. Quand j’ai découvert la chanson française, le chant en français, l’envie de chanter en français, au début, je ne misais que sur la sincérité. Je voulais vraiment coller au plus juste de nos vies, comme dit Morrissey. Dire des mots comme « divorce », par exemple. Et c’est un énorme défaut, je crois. J’ai fait beaucoup trop de chansons comme ça, trop proches de la vie. Et celle-là est un peu comme ça, je n’aurais pas dû dire « divorce », je trouve ça maladroit, ça crée des choses indigestes. Mais c’était aussi une manière de donner le la du disque. Je suis donc parti de cette chanson trop sincère, qui utilisait des mots qu’il ne faut pas dire, et après, il fallait faire des choses différentes.

C’est une chanson qui peut presque paraître impudique…

Voilà, l’impudeur ! Je crois que c’est une maladresse, il faut faire attention.

En même temps, c’est touchant…

Oui mais le touchant est toujours à la limite de l’insupportable.

Commençant par France Culture et finissant par Si on se dit pas tout, qui semble lui répondre, est-ce que le disque peut-être considéré comme le cheminement d’une personne ?

Complètement. Je pense d’abord une problématique, puis une progression, secrète. Parce que ce n’est pas un disque qui raconte vraiment une histoire, plutôt des séquences dans un ordre logique. La deuxième que je voulais introduire (L’Origine du monde), c’était le sexe, la reproduction possible. Et, juste derrière, France Culture. Mais, musicalement, c’était bien mieux de mettre France Culture en premier. Ensuite, on rentre dans la vie dissolue et amoureuse difficile du héros, jusqu’au désarroi complet de Ne sois pas trop exigeant, une manière d’accepter le monde tel qu’il est dans MySpace Oddity, qui permet de le décomplexer et de faire l’amour tranquillement dans Risotto aux courgettes (rires). Un petit cheminement comme ça. Le sexe se fait quand il se tait, c’est la musique qui parle. Et, du coup, comme il arrive à trouver une copine, il peut dire à son papa « si on se dit pas tout, c’est pas grave »…

D’où vient cette obsession pour Lucio Battisti ou Pierre Vassiliu, pour des chanteurs pas très connus du grand public ou un peu oubliés ? Vous avez rencontré Vassiliu, d’ailleurs ?

Je l’ai eu au téléphone plusieurs fois mais je ne l’ai pas rencontré. J’avais une collection de « chansons poches », avant, dans un format particulier, de CD cartes, et je voulais en faire une avec lui. Il a été très cordial, à l’écoute de tout ce que je lui ai envoyé, mais un petit peu agaçant dans son envie de jeunisme. Il ne veut pas entendre parler des chansons que j’adore de lui, peut-être à cause de sa rupture d’avec sa femme de l’époque, qui s’appelait Marie (celle de la chanson Marie en Provence, sur le magnifique album Qui c’est celui-là ?), une séparation très douloureuse. Peut-être qu’il a fait une croix là-dessus, ou alors c’est le souvenir de Qui c’est celui-là ? (le tube), qui est un peu l’arbre qui cache la forêt, je ne sais pas trop…

Il continue à faire de la musique ?

Ah oui, oui, il fait des tournées, en ce moment. De chansons paillardes, uniquement. Des chansons blagues. Dans lesquelles il excelle, mais… Je lui parlais de chansons que j’adore comme Pourquoi ou Film, et il me répondait « Oh, je sais pas ce que j’ai fumé, ce soir-là, c’est pas très intéressant, tout ça… ». Je pense qu’il ment, car quelques années après le single Qui c’est celui-là ?, il disait que cette chanson l’avait emmerdé et qu’il l’avait faite pour la face B, Film, qu’il adorait. Je n’ai pas de fascination pour lui mais c’est le chanteur que j’écoute le plus à la maison.

A propos de film, le cinéma, comme acteur, auteur ou réalisateur, c’est quelque chose qui vous attire, au-delà de votre cinéphilie ?

Pendant longtemps, adolescent, je rêvais de ça, oui. J’écrivais des bouts de scénario. Plus que la musique. Et puis c’est passé. Peut-être que ça reviendra, oui… Mais plus je rencontre des gens de cinéma, plus je trouve ça décourageant… J’ai fréquenté un peu Godard, récemment, il est insupportable, j’ai travaillé pour Agnès Varda, elle est invivable, tout ça, ça use. Il n’empêche que ce sont les plus grands créateurs du cinéma français. Mais je préfère programmer Alain Resnais (Je t’aime, je t’aime, dans le cadre des Reprojections au MK2 Quai de Seine, en février dernier), que je ne connais pas et qui est sans doute un ange. (rires)

Jusqu’à quel point doit-on prendre au premier degré votre profession de foi sur la bien nommé Chanson française, sur l’album de Notre-Dame ? Pourquoi cet amour pour la chanson française ou en français quand on vient plutôt culturellement de la pop anglo-saxonne ?

C’est ma culture, mon héritage culturel, je ne peux pas être autant touché par des chansons en anglais.

C’est quoi, d’ailleurs, pour vous, la « chanson française » ? Et est-ce que vous considérez vous-même faire plutôt de la « pop » française ou de la « variété » ?

Peu importe le nom, je n’ai pas de problème avec le fait de ranger les choses dans des cases, de toute façon. C’est marrant, parce que l’un de mes premières télés, c’était l’émission de Daniela Lumbroso exclusivement consacrée à la chanson française, Chabada

Et des chabadas, vos chansons en sont pleines !

(rires) Oui, c’est vrai. Et il y avait notamment Philippe Lavil et Jean-Luc Lahaye. Et en fait, ce milieu de la variété, c’est un milieu très sain, très accueillant. Evidemment, ça m’a surpris, mais après m’avoir entendu chanter France Culture, Lahaye m’a tapé sur l’épaule en me disant « c’est vachement bien, tu vas être disque de platine, avec ça ! ». Et puis c’est un joli mot, « variété », je trouve…

Et cette obsession apparente pour le son des années 70 ?…

Il est marqué dans La Reproduction, mais, compte tenu du sujet du disque, il était logique d’en reproduire aussi un peu le son… C’est vrai que j’ai une affection particulière pour les chansons enregistrées en 1974. Et même en juin 1974 ! (rires) Ou autour de cette date, en tout cas. Mon disque préféré d’Ennio Morricone, c’est la BO de Mon nom est Personne, sorti fin 73. De 74 à 77, on est au sommet de la technicité dans les studios, les tables de mixage sont au top, ça rend un son très mat. Et puis les musiciens de studio commençaient à avoir plusieurs années d’expérience derrière eux, ça jouait super bien ! Tout était là pour donner une grande pop music. D’ailleurs, c’est tout sauf un hasard si je préfère sincèrement les Wings aux Beatles ! *

* Le clin d’œil à leur Let’em in (pourtant daté de 1976…) sur la version live de France Culture au MK2 Quai de Seine le 15 février dernier n’avait donc rien d’un hasard…

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A propos de Cyril COSSARDEAUX

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