Laurent Rivelaygue – « Albert et l’argent du beurre »

C’est un beau roman, c’est une belle histoire, qui démarre alors que Bruce, tout de muscles et au volant de sa Forsche, gare celle-ci près de la villa provençale (4.5 étoiles sur tripadvisor), qui servira de cadre à l’intrigue de notre Albert et l’argent du beurre de Laurent Rivelaygue, tout juste paru (ie. Avant le confinement mais l’expression est aujourd’hui convenue) aux Editions du Sonneur.

« Ce n’était que le début mais l’auteur qui venait de se lancer pour la première fois à l’assaut d’une œuvre d’envergure, éprouvait un sentiment mêlé de satisfaction gaie (il avait réussi à créer cette tension minuscule qui allait plonger le lecteur dans un tourbillon littéraire) et d’inquiétude relative (pourquoi Manon avait-elle subitement décidé de changer de patronyme ? Il allait falloir s’expliquer sans détour) »

En descend donc Manon-Sophie-Tatiana (souvent femme varie), vite accueillie par ledit Albert du titre, personnage secondaire et pas même intéressant, majordome obsessionnel de la sardine qu’il annonce avoir cuisiné à tous les repas. La dite TatianaSophieMarion profitant là de ses derniers instants et dernières pages de roman car, ayant chauffé un peu trop ledit auteur, elle se retrouvera bien vite sous piano, menace funeste dudit créateur à ses personnages, qui commencent un peu trop à lui cuire en préférant discuter chacune des actions ou rebondissements entrepris plutôt que vivre lesdits (de Nantes) moments.

  • Les séditions Flemmard

Démarre alors un loufoque duel sans issue entre les apeurés créatures et le dieu-créateur, tout à la fois flegmatique et sentant bien que le pouvoir lui échappe, œuvrant malgré vents et marées pour faire redémarrer une intrigue qu’on a grand-peine à se voir dessiner malgré, c’est pourtant peu, un trou percé à la va-vite dans un mur dont le suspens tiendra tout entier le souffle éreinté des dernières pages.

« -Je vais, pour une fois, faire un petit aparté, plomba Bruce.
L’esprit de l’auteur fut à cet instant précis traversé par l’idée d’acheter un flingue : il tenait à l’ordre et à la loi qu’il dictait au détriment de la liberté individuelle de ses personnages.
-Je voulais intervenir sur le choix du titre, qui nous a été infligé d’autorité. Je suis proprement dévasté par le fait qu’Albert soit le seul cité, comme s’il était le protagoniste principal de cette affaire, alors que ses seules occupations sont de tricoter une chaussette géante et de faire cuire des sardines. Je suis obligé de rappeler à votre bon souvenir que c’est moi qui ai percé le trou dans le mur, et que ce fameux trou est à la fois le centre névralgique et le poteau de soutènement de l’haletante intrigue qui supporte ce roman, continua Bruce qui ne se mouchait pas du coude. »

  • Je rajoute à l’ouvrage une Pierre, Dac ?

Caracolant en cancanant dans une sorte de croisement impossible entre Tex Avery (les pianos y tombent de manière sensible) et le théatre de boulevard mâtiné du Magnifique de de Broca, ce vaudeville échevelé mais sans sexe (pauvre Bruce priapique) verra alors se succéder dans un désordre centrifuge le plus total : Charlotte, assistante éditrice qui en fait va s’appeler Jeanne, Jean-Christophe Flammard, des célèbres éditions Flammard (le rêve de tout écrivain), un docte avocat ou un sémillant transsexuel du nom de Coraya, sans compter de troubles personnages du nom de Krasimir (lointain cousin sans doute du flippant bonhomme enfantin), une commercante sosie exacte d’Edouard Philippe (l’ex-premier ministre de la France, dixit Laurent Rivelaygue qui n’insulte pas la postérité de son livre), un vitrier propice remplaçant une fenêtre par du bois (plus solide) ou un inspecteur de police à la vie trop brève et bien vite remplacé par sa mère. Le tout sous le regard tendre d’Albert qui, vite émasculé, continue pourtant de tisser tant bien que mal une chaussette géante qui l’occupe au moins en attendant Godot ou un quelconque rebondissement.

Dans ce grand maelstrom, train stupide (comme dirait John Fante) lancé à toute berzingue vers le rigolard, les clins d’œil abondent, de la moustache de Carrère au nénuphar de Vian (qui se transforme, une fois n’est pas coutume, en presse-purée dans le cœur), quand ce n’est pas la Mort de Pratchett qui vient faire un petit tour (l’auteur partageant une forme finalement assez proche d’humour) ou Michel Houellebecq qui apparait dans un foie de veau (confirmation faite par le Vatican, il ne s’agit ni de Dieu, ni de l’auteur droopy et libertin, mais de Cédric Villani), le tout pour accompagner, telle une sauce réduite, le feu d’artifice d’invention langagière dont s’amuse le maitre de pas grand-chose derrière son clavier.

  • Sinon, Nîmes ?

Car pétulant de Pirandello au Prince des mots tordus, Laurent Rivelaygue use des glissements (le beurre doit aider)sémantiques  autant que de son sous-texte méta non pour seulement enchaîner les bons mots mais pour nourrir à sa source vocable un moteur narratif sans cesse perfusé à ceux-ci : du running gag au pas de côté, du comique de situation au rebond grammatical, Albert se place en bon enfant putatif d’un Raymond Devos qui aurait abusé du calva en compagnie de Beckett (le tout sous le regard attendri d’Achille Talon et de Gotlib), primesautant à chaque détour ou trouvaille dans un brainstorming couillon.

« Après avoir descendu quelques verres odorants et grignoté des postiches, une variété portugaise de pistaches à moustaches, il se séparèrent en se tapant dans la main. »

Un verbe potache (et ils pullulent : du célèbre « margarita Bruce » proposant un cocktail au  « Quelle moustache ?, pilosita Albert ») devient rebond d’action, un zeugma (un des personnages finira d’ailleurs par souffrir d’allergies à ceux-ci) reliera deux termes absurdement éloigné, et tous finiront par réorienter dans une loufoquerie très punk la non-action stagnante de ce livre sans Surmoi, nourrissant comme autant de portes qui claquent ce petit théâtre de la bêtise, du non-sens et de l’aquoibonisme.

« Bruce, qui faisait des mouvements de membres en tenue de gym, proposa de noyer l’une des deux Coraya dans la Vologne, avant de se rendre compte, grâce à l’application viamichelin, que la demeure provençale se trouvait exactement à 748,4 kilomètres du cours d’eau par l’A7, soit 7 heures et 26 minutes de voiture, que leur vieille Forsche ne serait sans doute pas en mesure de couvrir. »

Et si, alors que l’auteur, épuisé, croit perdre définitivement la lutte et qu’on referme la dernière page de ce petit Xanax sur Munken Print White 90 g, pour paraphraser ce hippie baboss de Lennon, « le livre était ce qui survenait quand on était occupé à d’autres projets » ?

  • Social Justice et éditions (Francis) Blanche.

Bien sûr, pour qui veut justifier intellectuellement son achat (après tout, il faut bien que chacun puisse exister socialement), on pourra distinguer à loisir sous cette TV Novela stupide une certaine forme de la bêtise crasse du monde moderne, où on se bat à coups de BFM TV, où on fuit en courant les discussions politiques et où même les personnages s’inquiètent de leur nombre de likes quand ils ne se font pas défendre par de médiatiques avocats, se plaignent des conditions d’embauche dans l’édition ou balancent des pétitions absurdes sur change.org pour soulager leur besoin d’indignation sans trop en faire.

Bien sûr, on pourra aussi, selon sa sensibilité, et tandis que l’ouvrage se déploie de plus en plus comme un chausse-trappes méta entre la réalité de son auteur et l’absurde du diégétique, y lire une critique amoureuse désenchantée d’un monde de l’édition nécrosé, où des êtres sous-payés se battent au SMIC tandis que les grands Flammard gouvernent au destin de chacun en octroyant budget, le flegme narratif devenant tout à la fois coup de génie (être édité en rédigeant une blague encore plus grande que les ineptes autofictions foisonnant dans les rayonnages) et dernier geste de résistance passive et pas trop calorifère.

« -On s’emmerde un peu, non ? couina Albert d’une voix de colvert.
-J’ai recu un courriel d’un lecteur qui me dit avoir failli mourir d’ennui à la lecture du premier mot. Mais ne généralisons pas, il ne s’agit que d’un parmi un, soupira Coraya avec un petit bruit d’aspirateur sans sac.
-Franchement ne nous plaignons pas, j’ai déjà fait pire comme boulot, absorba Bruce qui se souvenait parfaitement de son unique expérience dans la littérature en tant que doublure-jambes d’un cheval de trait dans un petit roman sibérien. »

  • Germano-patin

Bien sûr enfin, lu d’une traite, le procédé peut finir par lasser et, la pochade stagnant, la truculence du décalage s’amenuiser, alors que les clins d’œil éditoriaux propulsent le livre par moments dans un quant-à-soi qui risque de laisser sur le carreau plus d’un lecteur non parisiano-édité, certaines blagues fleurant bon le rire sous cape à destination d’une certaine intelligentsia bon chic bon genre mais cool à la fois car capable de rire d’elle-même.

L’auteur, chafouin, s’en amuse :

« L’auteur décida alors d’en terminer avec cet épisode dont le name dropping frétillant titillerait peut-être le jury du prix de Flore. Il devait reprendre des forces car le chapitre du lendemain propulserait le texte dans une dimension vierge et inexplorée : les toilettes de la maison. Probablement une première dans l’histoire romanesque, mais se disait l’auteur, comment appeler encore ceci un roman alors qu’il se préparait, éparpillant les codes et transcendant toutes les règles du récit, à funambuler sur le rebord des âmes avant de tirer la chasse ? »

Car m’enfin, du second degré au pipi-caca, ouvrage il y a : et Dieu qu’on on y rit. Ce qui, dans un monde éditorial (et moderne) bien trop orienté vers le sérieux ou la prétention d’être la chambre d’échos d’une civilisation se cassant la gueule sur les contreforts irritants du capitalisme destructeur et outrageant des populations minoritaires, transgenres, exploitées, souffrantes (placer ici une respiration), n’est pas la moindre de ses qualités et bonheur, suffisant sans doute, nécessaire du moins.

On pourra rétorquer que l’ouvrage sera sans doute vite oublié de la mémoire du lecteur, tant il abreuve de sourires roboratifs vite éclipsés, ne semblant s’attacher à rien, ni à ses personnages, encore moins à lui-même. Mais par son rythme échevelé, cette épopée menfoutiste et souvent grasse, où le no future s’appliquerait au niveau de la page (qu’est-ce qu’on va foutre dans 2 pages ?), petit fétu anarchiste pétaradant d’humour et de mots se savoure sur l’instant, on the rocks et lettres à lettres comme un laboratoire de jouissance ludique tout entier orienté vers le plaisir. Ce qui n’est pas rien.

Editions Le Sonneur, 224 pages, 15 euros. en librairie.

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Jean-Nicolas Schoeser

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.