«
Los mejores temas » (le titre original du film), renvoie plus que sa traduction française, aux compilations de chansons bon marché vantées à renfort de superlatifs comme les réclames d’un autre âge, à l’oralité aussi proverbiale qu’artisanale. Gabino, le protagoniste du film, pas encore ou juste trentenaire, est un vendeur ambulant de CDs de contrefaçon, sur lesquels sont compilés des soixantaines de morceaux au format mp3. Pour haranguer le passant, il récite, à même son stand de fortune, l’ensemble des titres enchaînés dans un « flow » quasi hip hop.
Ces grands succès populaires d’un sentimentalisme un peu sirupeux, narrent autant le désir que l’abandon. Ce sont des romances et des mélodrames au charme très naïf, ciment d’une culture populaire que l’on devine encore très orale, et qui alimentent le karaoké perpétuel des cuisines, des échoppes et des rues.
On suivra donc la préparation tortueuse de Gabino, le voyant s’entraîner du lever au coucher avec un zèle très professionnel, mémorisant des listes infinies de titres avec l’aide de quelques répétiteurs de fortune : sa mère, une collègue et amie de travail. En contrepoint mélodique à cette chronique de la débrouillardise ordinaire (il faut survivre, même de petits métiers clandestins), on verra un contrechant familial emblématique de nombreuses familles mexicaines : mères célibataires, pères et oncles absents, déserteurs, immatures… C’est donc l’autre grande chanson populaire, d’une amère et ironique saveur, celle de ces familles monoparentales où fils et filles, laissés à eux-mêmes, en viennent à assumer le rôle de chef de famille dans un tendre tête à tête avec le parent restant. « Les chansons populaires » n’ont pourtant rien du drame social, le film est davantage une chronique, doucement mélancolique, mais le plus souvent rieuse de ce « faire avec » ou surtout « sans ». Le moteur de la fiction s’active avec le retour éhonté du père. En transit et sans logement, il demande le gîte et le toit, sans prendre la peine de s’excuser ou de s’expliquer. Il s’agit pour lui de monter, une nouvelle fois, une entreprise professionnelle que l’on sent très hasardeuse. La famille, un temps, se réactive sans heurts, dans un commerce bonhomme des affects avant que la situation, prolongée avec abus, ne fasse craqueler un peu cette ritournelle réchauffée.
Le film de Nicolas Pereda est une très belle surprise, pleine d’humour et de fraîcheur, qui se joue d’un entre deux entre son assise documentaire et sa réinterprétation sur un mode fictionnel. Tissé comme une série de variations, il décline ses situations au son des Variations Goldberg de Bach. Le film est aussi une réflexion très ludique sur la représentation et la mise en scène. On verra dans des drôles d’instantanés, chacun des personnages entrer dans le cadre, faire face à la caméra, et prendre la pose, un peu tremblant devant une chambre photographique qui peine à se déclencher. D’autres fois, ce sont des proches, des acteurs non professionnels, qui viennent répéter le rôle du père, infléchissant le récit, de leurs propres êtres et fantaisies. Là, ce sera carrément l’équipe du film qui fera irruption dans le champ, questionnant les acteurs sur leurs propres relations familiales avec une curiosité remplie de voyeurisme. Au final, l’économie du film est un peu perturbée entre le vrai père, le père fictionnel, l’oncle, le vrai mari, la vraie mère décédée et l’autre… Ce bouillonnement pourrait paraître un peu confus si ne s’en dégageait pas une grande vitalité et une inventivité très joueuse. Le charme du film de Pereda, tient à cette forme qui s’invente et s’offre tous les détours possibles pour faire exister ses personnages au-delà de leurs rôles fictionnels dans un entrelacs des vies personnelle et fabulée. Les masques de comédie s’enchaînent même si la ritournelle est en mode mineur. Elle interroge tant le spectateur avec nombre de procédés qui mettent à distance le récit que la réalité de la représentation et des acteurs, professionnels ou non.
En somme, « les chansons populaires » est une sorte de petite comédie, savoureuse et un peu expérimentale, portée par d’excellents interprètes (Gabino Rodriguez et Teresa Sanchez) et par un art de la mise en scène, modeste mais inventif, qui est ici conçu comme une succession de variations se déclinant ou se transformant à l’infini. C’est un beau film, plein d’intelligence, de finesse et de fraîcheur, qui ne tombe jamais dans une cérébralité excessive. Il se laisse consommer comme une chanson d’été et mime par sa forme les milles variations affectives dont peut se charger cette chanson en accompagnant notre ordinaire.
Sortie en salles le 31 juillet
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