Jumpei Matsumoto – « Satoshi »/ « A mother’s touch »

Si Satoshi n’était tiré d’une histoire vraie, on dirait que Jumpei Matsumoto charge un peu la barque. Qu’on en juge: enfant, Satoshi (Taketo Tanaka) perd son oeil droit, puis son oeil gauche. Alors qu’il semble tant bien que mal s’adapter à cette vie privée de lumière puis tombe amoureux d’une jeune pianiste, il perd l’audition. À ses côtés, sa mère (Koyuki) tente de l’épauler, succombant à de fréquents assauts de désespoir ou de culpabilité. À l’issue d’un parcours douloureux, Satoshi devient le premier aveugle et sourd à entrer à l’université. Dans la plus pure tradition du biopic, un texte final révèle qu’il y est ensuite devenu professeur.  Le braille tactile (ou « finger braille ») inventé par sa mère pour communiquer avec lui est une méthode désormais reconnue mondialement. Autour de cet « Helen Keller du Japon », que le TIME intronisa «Héros de l’Asie », se déploie un récit où le mélodrame le dispute à l’exercice d’admiration.

À ce stade, on est en droit de redouter le pire des tire-larmes, l’ode doucereuse à l’amour maternel et à la résilience, ce concept dont l’on nous rebat les oreilles, avec son lot de commandements à rebondir et à être fort puisque, c’est bien connu, tout ce qui ne tue pas … 

On pleure, évidemment. On s’émeut de la force d’un amour maternel indéfectible, évidemment. Mais la délicatesse des scènes, la subtilité du jeu des acteurs, la volonté de ne pas taire les abimes de souffrance et de solitude, permettent au film de ne pas trop sombrer, tant dans l’épanchement facile que dans la « positive attitude ». Ce n’est pas Nietzsche qui accompagne Satoshi sur son chemin de croix. Avec Goethe ( dont la légende dit qu’il réclama « de la  lumière! » avant de mourir), Beethoven et Kafka, qu’il lit et relit avidement, il apprend à apprivoiser sa propre métamorphose.

Un noir sépare les différents chapitres de l’histoire, et le procédé cinématographique classique prend alors un relief tout nouveau. Il y a aussi ces très beaux moments où le héros, plongé dans la pénombre, téléphone à l’horloge parlante pour évaluer la perte de son audition. On le voit simplement reposer le combiné avec une lenteur de plus en plus douloureuse. Ce sont ces petites trouvailles qui rendent le film touchant. Le titre anglais, A mother’s touch, en donne une des clefs: celle de l’effleurement. Pas d’étreintes dramatiques ici, pas d’effusions lacrymales. La partition musicale fait la part belle aux cordes et au piano, mais avec une salutaire retenue ( même si le recours à la Pathétique de Beethoven, qu’il composa alors qu’il devenait sourd, est un message un peu appuyé). Dans le beau compagnonnage qui unit la mère et le fils, un simple frôlement de l’épaule peut signifier: attends-moi ici. En se servant de ses doigts posés sur ceux de son fils comme sur une machine à écrire, Reiko parvient finalement à communiquer avec lui, inventant pour eux seuls une relation qui relève conjointement du langage et de la caresse.

https://fr.web.img4.acsta.net/r_1920_1080/pictures/23/07/11/11/26/1569993.jpg

Copyright Wayna Pitch

Matsumoto aime à restituer les sensations de la douceur du vent ou du soleil de printemps sur un visage. De petites épiphanies émaillent ainsi le film de leurs moments lumineux : un champ de fleurs jaunes, une virée familiale à la mer, un moment de complicité. La sortie à la plage n’est pas sans rappeler la manière dont Kore-Eda saisit, dans un moment suspendu, la tendresse familiale. Mais l’impression d’écrasement n’est jamais loin, portée par les sur-cadrages, l’exiguïté de l’appartement familial, les couloirs grisâtres des hôpitaux ou autres institutions impuissantes, les plafonds bas. Et c’est finalement à une double évasion que l’on assiste: celle d’un jeune homme qui manqua d’être emmuré vivant dans un corps ennemi, comme celle d’une femme dont l’environnement patriarcal -discours condescendants ou délirants des médecins, reproches du mari délaissé- ne parvient pas à saper les forces. Le vent, les embruns, les voix mêlées du fils et de la mère qui récitent un poème, sont autant de douceurs ailées qui ont été arrachées à l’enfermement.  

https://fr.web.img3.acsta.net/r_1920_1080/pictures/23/07/11/11/26/1707275.jpg

Copyright Wayna Pitch

 

Il faut savoir gré au réalisateur d’aborder, de film en film, et avec une grande cohérence, le thème du handicap : dans son précédent opus, Perfect Revolution, il s’intéressait à la vie sentimentale et sexuelle d’un paraplégique. D’interview en interview, il dit son désir de rendre visibles ceux sur lesquels le regard ne s’attarde pas. C’est louable. On peut cependant regretter que, dans Satoshi, le récit ne tourne à l’hagiographie: le destin exceptionnel du héros empêche le propos de tendre vers l’universel. De même, le choix de se concentrer presque uniquement sur le couple mère-fils, s’il suscite l’empathie et l’émotion, tend à reléguer les autres personnages dans un second plan un peu flou et, surtout, à oblitérer la critique sociale que l’on aurait aimée plus ample: celle d’un monde patriarcal et d’une société de la performance.

Satoshi, 1h53

En salles le 28 février

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Noëlle Gires

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.