Le verdict est sans appel ! Jeff Wadlow se rend coupable de trahison en adaptant pour le grand écran L’Île fantastique, la série télévisée créée par Gene Levitt pour la Columbia en 1977. Aujourd’hui, qui se souvient encore de ce feuilleton ? Oui, qui à part des quadragénaires et des quinquagénaires se rappellent d’Hervé Villechaize formant un étrange duo avec un Ricardo Montalban vieillissant et campant les joyeux et bienveillants gardiens de cette île mystérieuse. L’acteur d’origine mexicaine espérait peut-être, grâce aux pouvoirs de la surnaturelle oasis, y trouver la revanche sur le Capitaine Kirk dont il rêvait tant ?

Dans la version de Jeff Wadlow, Michael Peña revêt l’immaculé costume de Ricardo Montalban pour accueillir cinq jeunes gens en quête d’un bonheur perdu. Mr. Roarke possède le don de réaliser les fantasmes de ses hôtes, presque tous aussi insipides et antipathiques les uns que les autres. Seulement, les rêves et fantasmes de chacun ne se déroulent pas toujours de la façon souhaitée et il faut les laisser se terminer d’eux-même, les avertit-il. Voilà les cinq protagonistes embarquer avec insouciance dans leur fantasme, à la recherche de leur passé, de simples plaisirs ou pour éclipser des regrets. Seulement, petit à petit, les rêves de chacun vont être parasités par d’étranges visions.

Producteur roublard et opportuniste, Jason Blum semblait s’être racheté une conduite en étant à l’initiative de quelques films d’horreur parmi les meilleurs de ces dernières années. Get Out et Us de Jordan Peel donnent encore à Blumhouse l’illusion de la respectabilité. Sauf que le producteur semble aimer les montagnes russes, en atteignant les sommets pour ensuite s’abimer dans les profondeurs les plus nanardesques. En 2018, avec Jeff Wadlow, ils commettent déjà Action ou vérité, et Nightmare Island marque leur second méfait. Les nostalgiques de la série originale peuvent prendre un autre cap : à l’évidence, la cible des deux compères se situe chez un public plus jeune, plus branché, plus avide d’éprouver des sensations fortes que de ressentir des émotions. Le film de Jeff Wadlow s’apparente à un gloubi-boulga indigeste dans lequel sont mixés le slasher, l’aventure exotique avec des séquences guerrières. Saupoudrez d’un zeste de torture porn pour obtenir un Nightmare Island sans saveur, qui pâtit de cette écriture entendue et de cette mise en scène impersonnelle ne cherchant jamais à se démarquer de ces autres productions Blumhouse dont le seul but est d’engranger de l’argent.

Après un prologue qui évoque fortement une ambiance proche des Chasses du Comte Zaroff d’Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel, la mise en scène de Jeff Wadlow se fait clinquante, alterne à foison travellings inutiles et plans d’hélicoptère, multiplie les montages en parallèle sans jamais prendre de distance avec ce qui est filmé. À la rigueur la direction de la photographie, avec ses couleurs saturées, ses tons orangés, telles des cartes postales de vacances, pourrait paraître comme un contrepoint à ce qui est raconté. Seulement, l’image est tellement surchargée, la bande son saturée de la musique – très clichée avec ses percussions ethniques – de Bear McCreary que le métrage tourne à vide. Pourtant, le scénario part d’un concept intéressant, possède un certain potentiel très sartrien, avec ces différents fantasmes qui finissent par entrer en collision. Cela aurait pu donner un film d’horreur plus profond, plus dérangeant, mais que Jeff Wadlow et ses scénaristes effleurent à peine. Il devient alors difficile d’avoir de l’empathie pour des personnages qui se complaisent dans l’apparence et les divertissements superficiels. Soudain, parmi cette distribution aussi lisse que la peau d’un bébé, Michael Rooker fait une apparition remarquée, mais est éclipsé presque aussitôt. Peut-être que son personnage détonnait trop au milieu de ces clichés encore pire que les plus mauvais slashers des années 80. Heureusement, Maggie Q arrive à insuffler de la vie et de l’émotion à son personnage, plus complexe que les autres. Dans son égoïsme, elle aspire à une vie conformiste et tranquille, ce qui sera l’occasion d’introduire les thèmes du remord et de la culpabilité. Finalement, avec ses différents motifs, Nightmare Island devient une sorte de film hybride et bancale, émaillé de bonnes idées peu exploitées, comme celle des intérêts des uns pouvant nuire aux autres. Les scénaristes préfèrent pourtant s’insinuer vers une intrigue plus balisée, avec mièvreries et autres petites leçons de morale qui vont avec. L’histoire devient alors un simple prétexte, prends des chemins convenus avec péripéties aussi farfelues qu’improbables et final à rallonge, et se met au service de la mise en scène et non le contraire. Comme si le réalisateur se souciait plus de rendre un film à l’esthétique léchée que de raconter quelque chose. Il ne laisse d’ailleurs aucun temps mort, ne cédant aucun répit au spectateur, qui ressort épuisé.

Alors oui, Jeff Wadlow se rend condamnable d’avoir commis un nouvel outrage cinématographique, mais peut-être seuls les grands cinéastes comme Fritz Lang sont capables de cas de conscience. Quant à l’amateur de fantastique et d’horreur, celui qui ne connaît pas la honte, il pourra prendre devant Nightmare Island un certain plaisir… coupable.

Nightmare Island
(USA – 2020 – 110min)
Titre original : Blumhouse’s Fantasy Island
Réalisation : Jeff Wadlow
Scénario : Jillian Jacobs, Christopher Roach, Jef Wadlow
Direction de la photographie : Toby Oliver
Montage : Sean Albertson
Musique : Bear McCreary
Interprètes : Lucy Hale, Michael Peña, Charlotte McKinney, Maggie Q, Portia Doubleday, Michael Rooker…
En salles, le 12 février 2020.

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